vampirologue français
Marine Peixoto pour VICE FR 

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J'ai rencontré un vampirologue français

Jacques Sirgent est tellement fan de Dracula qu’il en a fait son métier, entre volonté universitaire et récits surnaturels.

Que ce soit par peur ou déformation professionnelle, je suis quelqu’un de sceptique. Disons que je ne crois pas à l’existence d’un monstre plus terrifiant qu’un découvert bancaire. Pour cette fête des morts de la Toussaint où personne ne bosse, j’ai voulu tenter le grand frisson en me confrontant à un pro du surnaturel : Jacques Sirgent, vampirologue.

À 63 ans, l’homme a eu plusieurs vies : ex-prof de littérature française et anglaise, il dit avoir enseigné à l’université Paris 13 et au CNRS. Mais depuis qu’il a laissé tomber le professorat en 2002, il publie en moyenne un livre par an, anime tous les jours des visites guidées à Paris et se fait inviter dans des conférences à l’autre bout du monde. Son nouveau job ? Spécialiste des vampires. J’ai profité ce week-end de l'une de ses journées de visite un peu spéciale au cimetière du Père-Lachaise pour en savoir plus sur cet homme mystérieux au long manteau en cuir noir tout droit sorti de Blade – et aussi sur l'existence des vampires parmi nous.

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VICE : Bonjour Jacques. En quoi consiste le boulot de « vampirologue » ?
Jacques Sirgent : J’ai fait mes études en Suisse, à Genève, où j’ai obtenu un DEUG de linguistique sur l’étymologie du nom de Dracula, une licence d’anglais sur la personnification du mal dans le roman gothique, et un master de lettres modernes sur le diabolisme dans l’oeuvre de Barbey d’Aurevilly, un de mes écrivains fétiches du XIXe siècle. Mais je ne suis pas le seul spécialiste du vampire : il y a aussi le professeur de littérature Jean Marigny ou l’historien du cinéma Georges Sadoul, par exemple.

Mon métier, c’est l’étude de la symbolique du sang à travers l’histoire. Souvent, il représente la mort. Dans l’Antiquité par exemple, il fallait se nettoyer dès qu’on avait une goutte de sang sur soi. Les femmes qui avaient leurs règles étaient ostracisées… Mais le sang a une signification plus joyeuse avec les vampires : celle de la victoire de la vie sur la mort.

Depuis quand êtes-vous mordu de vampires ?
J’ai été élevé à la dure, au Canada, dans un établissement catholique, le genre d’endroit où on fouettait les élèves. À sept ans, j’ai vu le film Nosferatu de l’Allemand Friedrich Wilhelm Murnau. Et j’ai trouvé que, comparé aux humains, il avait plutôt l’air sympa. Comme « les méchants » adultes présentaient le vampire comme étant méchant, je me suis dit que c’était peut-être lui le gentil de l’affaire.

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Il y a une dizaine d’années, vous avez ouvert chez vous, dans la banlieue de Paris, un « musée des vampires et monstres de l’imaginaire ». Qu’est-ce qu’on y trouve ?
Des photographies dédicacées de tous les acteurs qui ont joué Dracula, des masques, une machine à écrire de Bram Stoker — l’auteur du roman Dracula, en 1897 —, une bibliothèque avec à peu près 1 500 ouvrages dont des centaines remontent à plusieurs siècles — ce qui fait que, quand j’écris des livres, je peux rester enfermé chez moi sans chercher de sources extérieures —, des tableaux rares, une collection personnelle de 1 528 films de vampires — y compris les pornos —, un piège à loups-garous, et une boîte d’armes anti-vampires de la fin du XIXe siècle que j’estime être authentique.

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Moi qui commençais à les trouver fréquentables… S’il faut s’en protéger, c’est qu’ils existent ?
Pas du tout. Les vampires, ça ne tient pas la route : il n’y aurait pas assez d’humains pour les nourrir. Et on peut dater la propagation de cette croyance, au début du XVIIIe, de façon si précise et chronologique que c’est clairement une invention. En revanche, je crois dur comme fer à certaines catégories de phénomènes surnaturels. Ceux dont j’ai été témoin. Ici, au cimetière du Père-Lachaise, j’ai rencontré 19 fois une femme — jamais la même mais toujours avec un style identique, une bourgeoise bohème entre 30 et 60 ans — qui m’a indirectement donné des nouvelles de la femme que j’aime et qui est partie, en me répétant mot à mot des phrases complexes qu’elle me disait il y a six ans, quand on était encore ensemble. Une fois ou deux je veux bien, mais 19 fois ce n’est plus une coïncidence.

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Vous trouvez donc le surnaturel plus vraisemblable que les vampires ?
D’accord, il y a beaucoup d’escrocs. Des voyants qui n’ont pas de pouvoir, d’autres qui en ont moins que ce qu’ils prétendent… Mais, parfois, c’est vrai. Il y a deux ans, j’ai présenté une amie à un astrologue. Pas tellement diplomate, il lui a dit : « Votre mari est mort, ou c’est tout comme. » Son compagnon est décédé la semaine d’après. Des histoires comme ça, j’en ai beaucoup !

Avec un discours pareil, j’imagine que vous n’êtes pas pris au sérieux par le milieu académique.
Je le fréquente ! J’ai fait des conférences à la Sorbonne, Dijon, Lille, Ottawa… Moi, je me livre. Je ne prêche rien, car lorsqu’on traite du surnaturel, on n’a pas intérêt à mentir. Sinon, on n’est plus crédible. C’est déjà à la limite du ridicule d’en parler… Pourtant, je n’ai jamais eu de problème, même de la part de scientifiques. Au contraire : je rencontre parfois des gens qui y croient encore plus que moi. Prenez les hommes politiques : ils ont tous eu des voyants auprès d’eux ! On exagère tout : soit on accorde trop d’importance au surnaturel, soit on se dit que c’est comique d’y croire.

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Et vous répondez quoi à la seconde catégorie, les sceptiques, comme moi ?
Que vous l’êtes par manque d’imagination, comme les gens qui n’aiment pas les légendes. Il ne s’agit pas d’être trop superstitieux, mais d’avoir des qualités de coeur. Il y a trois choses essentielles dans ma vie : l’amour, l’amitié et l’écriture. Pour certaines personnes, ce serait plutôt l’argent, la réussite, la jalousie, écraser les autres… C’est même plutôt ce qui est à la mode en ce moment. Mais je préfère ceux qui croient aux contes de fées — même si ce n’est pas mon cas. Tout ce que je demande, c’est qu’on puisse imaginer qu’il y a autre chose que ce qu’on voit.

Merci Jacques.

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