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Culture

Sur le tournage du dernier clip de l’artiste punk bruxellois Jardin

« On reprend les archétypes du clip de rap et on se les approprie dans un délire plus queer. »
Souria Cheurfi
Brussels, BE

Jardin , c'est des productions électroniques intenses, du story telling, une présence envoutante et une évolution constante par l'expérimentation. Si vous avez déjà entendu sa musique ou assisté à l'une de ses performances, vous n'y êtes probablement pas restés indifférents. Au mois de mai, il a sorti son ep One World, One Shit, qui change clairement de direction en mêlant du rap français aux prod’ électroniques plutôt expérimentales auxquelles il nous avait habitués. À l’occasion de la sortie de son clip Débordement, on a discuté avec Jardin et la réalisatrice Tiphaine (également connue sous son nom d’artiste Summer Satana) de leur collectif Cultural Workers, d'antinatalisme et de barbecues vegans.

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VICE: Salut Jardin et Tiphaine, du coup, c’est quoi le script de votre nouveau clip Débordement ?
Tiphaine : Tu veux raconter?
Jardin: Non, vas-y toi !
Tiphaine: C’est toi qui l’avait écrite au début cette idée du barbecue vegan !
Jardin: Je crois que ça vient plutôt de discussions qu’on a eues où on savait que c’était le morceau manifeste de cet ep, d’où l’idée de faire un clip avec une réunion de potes, assez simplement. Tu vois un groupe d’amis et t’as envie d’être avec eux. On veut donner envie aux gens de venir partager avec nous les idées qu’on incarne. On croit, ou du moins on espère, que l’amour qui voyage entre les individus dans ce clip transpire et donne envie d’être partagé au-delà de ce groupe.
Tiphaine: C’était le morceau le plus mainstream et central en terme de message. On voulait faire quelque chose de pas trop bizarre en marquant la présence du chanteur pour qu’on puisse mettre un visage sur notre musique. Le point central c’était de reprendre les archétypes du clip de rap et de se les approprier dans un délire plus queer, avec plus de mixité.

Quel message voulez-vous transmettre avec ce barbecue vegan?
Jardin: Il faut consommer moins et avoir un meilleur rapport au monde vivant. Ça fait des années qu’on a changé de mode d’alimentation et qu’on ne mange de la viande que très rarement. La vie c’est pas exploiter des animaux entrain de crever dans des abattoirs géants ou des cages à poules. Avoir un peu de respect pour le vivant, c’est super central. En fait le morceau Débordement est à écouter de plusieurs manières ; il y a le débordement festif dans un premier temps, mais aussi le débordement de l’over-exploitation de la planète et ses ressources. En gros, montrer un barbecue vegan et parler de « presser la pastèque », c’est juste une manière de ramener une dimension politique au centre de la vie de tous les jours. Se questionner et trouver des solutions pour moins consommer, c’est loin d’être facile, mais il faut continuer à la faire.

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« Ce monde, cette merde, y’en a qu’un et on doit s’en occuper. »

Cet ep a été intégralement produit par Cultural Workers. C’est votre propre label?
Tiphaine: À la base, Cultural Workers c’est la réunion de quatre artistes éclectiques. L’idée c’était d’apparaître sur les réseaux et se donner un nom pour réunir nos projets, au lieu de se disperser à droite et à gauche. C’est notre entête de tournée, de soirées quand on en organise, d'es éditions quand on en publie et c'est aussi un show/magazine d’art filmé. Pour l’instant, le label c’est plutôt un outil pour sortir nos propres projets en indépendant, mais à l’avenir, on aimerait sortir des projets d’autres artistes aussi.

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Jardin & Tiphaine

Ton ep s’intitule One World One Shit, c’est pas très réjouissant ce titre. Pourquoi le monde c’est de la merde?
Jardin: Tu peux aussi le voir d’un angle positif, dans le sens où ce monde, cette merde, y’en a qu’un et on doit s’en occuper. Débordement est le morceau le plus révolté je pense. Après y’a aussi Factory Body, le morceau enregistré avec Tiphaine…
Tiphaine: Dans ce morceau je parle de la manière dont nos corps sont façonnés par la construction sociale, entre autres par les nouvelles technologies et la représentation du corps dans les médias, tout ça à travers mon prisme de femme.
Jardin: La question de la construction des identités sexuelles est vachement présente. J’ai emprunté la phrase « One World One Shit » à l’artiste punk Chris Korda, fondateur la Church of Euthanasia, une église alternative créée en 1992 aux valeurs anti-reproduction humaine. Dans le clip, les citations sur les pancartes représentent l’esthétique de la Church of Euthanasia - « Planet is in trouble » - ou encore les lyrics de Chris Korda comme « I like to watch ».

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Ça rejoint cette idée de surconsommation que tu mets en avant dans Débordement.
Jardin: Oui j’aborde la question de savoir ce qu’on fait d’un enfant et ce qu’il représente. Est-ce l’enfant d’un ménage qui est la construction d’un système économique qui a besoin de ménages pour fabriquer des travailleurs pour alimenter une économie qui fonce droit dans le mur? Ou est-ce l’enfant d’une société, d’un groupe et dans ce cas, a-t-on vraiment besoin de faire soi-même un enfant?

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Tu parles aussi de drogues dans le morceau Avant + extase. C’est toujours dans un esprit dénonciateur?
Jardin: Ça parle de drogues, de sexe, et d’expériences et j’avoue que je ne savais pas vraiment comment écrire sur le sujet donc c’était la première fois que j’empruntais des textes à quelqu’un, en l'occurrence à Simon Johannin (jeune auteur). Mais je ne pense pas que je dénonce quoique ce soit là-dedans! C’est plutôt l’expérience de la drogue.

« Nique la censure des plateformes ! »

Pour la sortie de ton ep t’as eu plus de presse en France qu’en Belgique au final. Comment ça se fait?
Jardin: Oui, oui, il y a eu des articles sur i-D, et d’autres interviews web. Je suis français, et au départ j’étais sorti sur un label français, donc toute l’équipe avec laquelle je travaille est basée à Paris.
Tiphaine : De plus, le paysage médiatique français est plus vaste.

Y’a des médias plus généraux aussi. Vous voulez restez dans une niche?
Jardin: Je suis entrain de bosser sur un album où il y a beaucoup de morceaux de rap, et pour moi l’idée c’était de trouver une manière un peu plus pop de pouvoir partager des discours et des idées à un public qui n’est pas de mon milieu. Du coup l’ep One World One Shit s’inscrit dans cette transition, car seule la moitié des morceaux est plus électronique, plus proche de l’album précédent Epée. L’idée avec ce nouvel EP, c’est de pouvoir partager les idées qu’on porte avec un public différent, de rencontrer d’autres gens et de voir ce que ça crée.

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C’est pour ça que ce clip est si différent de tes vidéos précédentes ?
Tiphaine: C’est la première fois qu’on a une vraie équipe avec une première assistante réal’, un cadreur, une chaîne de post prod’, etc. Au final, on est une petite quinzaine en dehors des figurants sur le plateau. On sort vraiment du DIY et ça rentre en adéquation avec la nouvelle direction de Jardin. À force de faire des clips où il fait peur aux gens…
Jardin: Ouais, des clips où je suis tout le temps nu! Ça stressait les gens et ça stresse même les plateformes donc je ne pouvais pas les poster comme je voulais.

« Une réunion autour de la musique et la bouffe, c’est quand même un peu la base quoi. »

Tu te formates un peu pour toucher plus de gens et être moins censuré?
Jardin: Nique la censure des plateformes! C’est évident qu’elles formatent complètement. Mais de manière générale, quand on parle de la Church of Euthanasia, il y a une forme de radicalité que moi, Jardin, j’ai dans mes propos depuis le début. Malgré tout je pense avoir envie de la même chose que plein de gens ; on parle quand-même d’amour, de vivre ensemble et d’un monde meilleur. Ça, normalement, ça touche tout le monde! Donc pour transmettre ces messages, tu dois réfléchir à comment ne pas heurter au premier abord des gens qui ne sont pas dans le même milieu que toi et qui ne partagent pas les mêmes codes.
Tiphaine: Ça a un coté hyper entre-soi d’avoir la mentalité: « si ça ne leur plaît pas ils n’ont qu’à pas regarder », il faut quand même prendre en compte les autres et donner des clés de lecture.

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Les personnes présentes sur le tournage ne sont pas que des figurants, mais aussi des créatifs bruxellois, ça influence le script?
Jardin: Oui! Ce sont nos copains et on est hyper heureux d’avoir réussi à réunir tout le monde à la Brasserie Atlas en un temps record, parce que l’auto-production c’est toujours un sacré risque à prendre. Ils portent hyper bien l’énergie du morceau. Et tout le monde a rencontré ma daronne!
Tiphaine: C’est une super journée passée entre potes et le barbecue on l’a vraiment mangé. Une réunion autour de la musique et la bouffe, c’est quand même un peu la base quoi.

Vous êtes maintenant bien inscrits dans la scène bruxelloise. Ça fait combien de temps que vous êtes ici?
Jardin: Quatre ans.
Tiphaine: Moi trois, mais j’ai longtemps fait les allers-retours à Paris. La communauté qu’on a trouvée ici fait trop plaisir. Je ne peux parler que pour moi, mais je me sens super à l’aise ici.
Jardin: Et on est tous les deux gémeaux et Bruxelles c'est une ville de gémeaux. On y rencontre plein de petits enfants fous comme nous. Les gémeaux et leurs amis bien sûr, pas d’exclusion!

Jamais. Merci Jardin et Tiphaine!

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