La Station, reportage, Megatterra
Photos : Rebecca Topakian pour VICE FR
Noisey

La Station abrite un label DIY et solidaire (et il n'y a aucune raison de fuir)

S'appuyant sur les ressources du lieu, le micro-label Megattera, implanté porte d'Aubervilliers, débauche la scène locale et reverse ses maigres bénéfices à une association du quartier d'aide aux migrants.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR

« Quasiment personne ne vient plus à la Station pour les concerts de rock. Les gens viennent surtout pour la techno et la teuf. » Ce constat mi-lapidaire, mi-désabusé (avec tout de même une petite louche de balec’ au milieu) nous vient de Paul, batteur des éternels ados Bryan’s Magic Tears (qu’on cuisinait déjà dans ces pages), lors d’une pluvieuse soirée d’avril à la porte d’Aubervilliers. Si l’humeur est plutôt de type badine-tropicale ce soir (il y des bananes qui volent, ce genre de trucs), l’heure est tout de même à la fébrilité – enfin à peine, disons - 3 ou - 4 sur l’échelle du battage de couilles.

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Outre le lancement du tout nouveau label Megattera (qui a la particularité de reverser ses – maigres – bénéfices à l'association Solidarité Migrants Wilson) initié par Juliette et Baptiste (la première s’occupe de la radio maison StationStation, le deuxième joue dans le groupe résident Bracco, les deux font souvent du bar et de la billetterie), c’est également le premier concert du projet solo (et première sortie du label) du susnommé Paul, Pleasure Principle, groupe de fortune monté à partir de fonds de tiroirs enregistrés dans sa chambre ces dernières années, morceaux-prototypes sur lesquels il « s’arrache depuis des mois ».

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Paul, de Pleasure Principle.

Difficile de ne pas voir en creux dans l’initiative une volonté de documenter, non seulement quelque chose de l’ordre de la récup’, mais aussi une niche de plus en plus exiguë, celle d’un rock garage et affiliés qui pouvait se la coller il y a quelques années dans des rades pourris à des soirées Vice (au hasard), et dont il ne subsiste aujourd’hui de l’esprit déglingo qu’une poignée de représentants fiérots – Bryan’s Magic Tears donc, mais aussi et forcément le Villejuif Underground, Bracco, Jessica 93 – d’ailleurs tous résidents à la Station. Une scène, qu’on appellera ainsi faute de mieux, personnifiée par la Station en ce qui concerne l'espace, laboratoire d’idées et ancre géographique pour agrégat de sagouins.

Menacée de fermeture au moment de la soirée, on a appris ensuite que son bail avait été renouvelé pour trois ans, pour le bonheur des petits et des glands de mocassins. Ce qui a plus ou moins motivé la création de Megattera selon l'avis, relativement extérieur, de Paul : « Tout est un peu parti de l'avenir incertain de la Station, on ne savait pas si ça allait disparaitre à cause du village olympique ou quoi. L’idée était d’utiliser des moyens de pression mais pas faire un truc d'enculé, type on va faire du faux humanitaire pour rester. Faire un truc qui aille plus loin que juste des mecs qui se la collent le samedi justement. »

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Penser l'habitation du lieu

En cela, ils sont aidés par les ressources de la Station, qui abrite donc studio de répétition, d’enregistrement, de radio, en plus des bureaux et des espaces de diffusion de musique. Juliette insiste ainsi sur l'importance du lieu : « C'est un projet qu'on ne pourrait pas faire seuls. C'est le fait qu'on soit implantés à la Station, qu'on puisse utiliser le matos ici, les salles de répète qu’on nous file vraiment gratos, contrairement à Bryan's Magic Tears ou d'autres qui doivent payer quand ils répètent. Le deal avec la Station, c'est que pour tout ce qui est lié au label, on peut utiliser leur matos, leurs salles, faire des concerts, et ça c'est des frais en moins de production. »

L’accent est ainsi mis sur la manière d’habiter le lieu plus que sur ce qui s’y trame en terme de musique. Ce qui a pu être un frein au début, selon Paul : « Luce [coordinatrice des actions culturelles, NDLR] me disait il y a 6 mois qu'elle allait distribuer des flyers dans les cités autour, pour les activités des dimanches stationnaires ouverts aux gosses, et les mecs leurs disaient : "Mais en fait vous nous cassez les couilles, vous faites trop de bruit tous les week-ends". Si tu veux faire quelque chose pour le quartier, tu vas voir les éducs spé, les centres sociaux du coin, tu laisses des salles ouvertes pour que les mecs du coin fassent du rap, je sais pas. Faut être honnête, les gens autour n’en ont rien à branler de venir voir notre musique. »

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« Il faut faire attention à ça, on n'a pas envie d'être catalogués comme LE label qui vient en aide aux migrants. Ça c'est le travail des associations, qu'on aide seulement à notre toute petite échelle » – Juliette

Vendus par Gonzai comme le-label-qui-vient-en-aide-aux-migrants, ce qui n’est pas totalement faux mais tend dangereusement vers un gimmick de white savior (alors qu’encore une fois, les bénéfices de ce micro-micro label sont, dans le meilleur des cas, faméliques), Megattera a pour objectif premier de diffuser de la musique à moindre coût, pour des projets souvent fragiles qui ne bénéficient pas d'exposition ailleurs. L'engagement est donc circonstanciel, selon Juliette : « Il faut faire attention à ça, on n'a pas envie d'être catalogués comme LE label qui vient en aide aux migrants. Ça c'est le travail des associations, qu'on aide seulement à notre toute petite échelle. Nous, on se dit juste qu'une fois qu’on est implanté là, est-ce qu'on ferme les yeux ou est-ce qu'on essaie de trouver une solution ? Tout le monde ici essaie d'aider à sa manière, et la manière de la Station c'est de faire ce qu'ils savent faire, organiser des évènements, et filer du benef’ collectif. » Baptiste surenchérit : « À la base on veut surtout sortir des groupes qui nous importent. À aucun moment on pense faire quelque chose d'humanitaire. Il y a des assos qui font déjà ça. Ce qu'on sait faire c'est de la musique ou des concerts. Mais il y a forcément d'autres discussions qui découlent de ça. »

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Baptiste et Juliette, du label Megattera.

Des discussions qui sont nées dès l'arrivée du collectif MU dans les locaux de la Station, vainqueur d'un appel à projet de la SNCF Immobilier il y a trois ans qui entendait réinvestir des friches parisiennes laissées à l'abandon, pour des projets à vocation plus ou moins éphémères. À la base, le collectif faisait surtout de la musique, et ne versait pas spécialement dans le caritatif. Seulement, en arrivant sur les lieux, ils se rendent compte qu'ils sont entourés par des campements de migrants, lesquels escaladent les grillages lors de la soirée d'ouverture pour voir les concerts. Line, qui officie à la Station comme responsable des actions culturelles et du public, revient sur les échanges qui ont commencé à prendre place ici, notamment en ce qui concerne le fil rouge de la question du voisinage : « C’est compliqué voire impossible de résumer rapidement ce qu’il se passe ici, mais ce qui est certain c’est qu’on commence à comprendre pas mal de choses, tant sur les enjeux du Grand Paris qu’à la plus petite échelle de notre voisinage. Toutes les personnes qui sont déjà venues à la Station ont probablement ressenti la même chose face au spectacle de ce contexte : surprise, colère, impuissance. Ce qui se joue dans le fait qu’on y travaille (et qu’on développe une connaissance située de ce qu’il s’y passe, et non pas théorique ou lointaine) c’est de passer de ces sentiments à la mise en place de petits réseaux de solidarités. »

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Une initiative qui semble de plus en plus couler de source au fil du temps : « On ne va pas résoudre de problème, mais on s’en occupe, on s’y attarde et on considère la situation des personnes qui vivent autour de nous. D'une part cette situation donne lieu à tout un tas d'initiatives personnelles qui traversent la vie du lieu : généralement quelqu’un de l’équipe a une idée, on en discute et on essaie de mettre en place quelque chose. Après on n’est pas seuls vis à vis de ces questions-là, des associations, des psychologues, certains artistes contribuent à ces élans qui sont modestes, des tentatives dont on apprend tous les jours. D'autre part, il est vrai que le collectif MU ne s'est pas construit autour des questions des précarités, comme objet principal, au contraire du collectif Solidarité Migrant Wilson par exemple. »

Musique de plage et petits culs blancs

Ce soir, tout le monde bosse gratuitement, « sauf la sécu et un responsable bar ». Le prix de l’entrée est relativement ok pour Paris, on parle de 8 euros sur place, mais Juliette m’indique que les quelques personnes qui mettent plus leur indiquent de garder la monnaie. Paul, toujours dans le chinage : « C'est une mini carotte, mais dans le bon sens du terme, pas une carotte dans le cul quoi. »

Cette ironie constante sied plutôt bien à ce qui se passe sur scène et dans la salle – c’est aussi un trait de l’époque, me direz-vous. Qu'on parle des prestations de Danse avec les Shlags, de Pleasure Principle ou encore de Vincent Ce Soir, l’impression d’assister à des mecs qui font tout pour ne pas avoir l'air d'y toucher, des Noir Boy Georges qui auraient viré Beach Boys - ou Manitas de la bitas selon le moment. Mais c’est paradoxalement ce qui fait le charme de la musique et de la démarche générale : le sentiment qu’il faut lire entre les blagues, qu'il faut aller chercher la fragilité de ces chansons en construction, qui portent encore autour d'elles leurs échafaudages. En sortant du concert de Danse avec les Shlags, projet solo d’Antonio, le claviériste du Villejuif Underground, un de ses compères de groupe me sort qu’il aimerait bien le voir jouer « au stade de France. » C’est un peu l’idée qui sous-tend la soirée, celle d'effleurer tout ce qu'on touche, d'être toujours un peu dans la blague, sans être non plus à l'abri d'y croire vraiment.

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Danse avec les Shlags.

In Bed With Marietta

C’est peu ou prou la même chose pour Pleasure Principle qui passe ensuite. Sur scène, on y retrouve également des membres du Villejuif et d’autres, qui entourent Paul qui se saisit de sa guitare et s’empare un peu moins du chant, pour le laisser à d’autres. La musique ressemble à une mosaïque de tout ce qui s'est fait en matière de guitare ces dernières années à Paris, avec tout de même son lot de fulgurances saillantes, comme cette très belle reprise de « Videolife » du soldat Chris Spedding, guitariste à tout faire injustement oublié des 80's. On y trouve des changements d'accords héroïques de chambre qui font penser à Guillaume Marietta, influence officieuse de tout ce petit monde (d'ailleurs il est ce soir à la billetterie, ou alors c'est une autre soirée). Entre deux morceaux, Paul introduit sa musique comme « un mélange entre Zebda et Deerhunter ». C’est exactement ça.

« Ça pourrait passer au stade de France »

Dans la salle, il n’y a certes pas de migrants ni de faune particulièrement démunie, en tout cas pas ce soir, mais plutôt de plus ou moins jeunes gens, plus ou moins bien mis. Tout le monde joue dans d'autres groupes, on croise des visages d'autres soirées sans vraiment pouvoir mettre de nom dessus. C’est un peu la nuit des seconds couteaux, sauf qu’il n’y a pas de nazis (a priori) et que personne ne se fait planter à la fin. Ça reste léger quoi.

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Pleasure Principle.

Une musique branlante, fragile et sincère, ce qui ne l’empêche pas de porter les attributs de la musique de plage - un peu crâneuse, j'en-foutre, lunettes de soleil sur le nez et doigts de pieds dans l'eau. Ce qui n'est pas du tout un reproche : sur la première compilation du label, Primavera, on trouve de très belles choses, comme ce morceau d'un dénommé Ray Jane, vrai faux inconnu au bataillon, ou ce titre de Danse avec les Shlags, qui a le culot sous ses claviers tristes de faire rimer « OTAN » et « au temps », « sentiment » et « ressentiment » - d'accord, ce sont des rimes riches, mais quel move de branleur. Ce qui restera toujours un pas de côté par rapport à, au hasard, cet autre axe de la musique cabossée de chez nous, cette fameuse chanson française dégénérée portraiturée dans un excellent article du confrère et contributeur Julien Bécourt dans le dernier hors-série d'Art Press. Car si les Noir Boy George, les Ventre de Biche et les Colombey de ce monde (qui apparait d'ailleurs sur le disque, comme quoi l'affiliation n'est pas si éloignée que ça) manient également le Casio pourri et la boite à rythme en broc, leur ironie est quant à elle plus grinçante et désespérée que leurs compères de Paris. Ici, ce sera toujours un peu plus cool que dark, plus mignon-joli que chien d'la casse. Et donc fatalement toujours un peu plus hors-sol, un peu plus inconséquent que le reste. Tant mieux dans un sens : mieux vaut avoir affaire à de sympathiques zazous modestement conscientisés qu'à des fumistes qui pèteraient plus haut que leur petit cul blanc en essayant de se la jouer woke. Ce qui est vite arrivé de nos jours.

Les trois sorties à ce jour du label Megattera sont disponibles sur leur Bandcamp.

Danse avec les Shlags jouera le 25 juillet à Petit Bain.

UPDATE : À noter que la Station organise ce dimanche un évènement en soutien aux migrants où les recettes seront reversées au collectif Solidarité Migrants Wilson et à l'association Coucou Crew. Les infos sont disponibles ici.

Marc-Aurèle Baly est vaguement sur Twitter.

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