Gaming

On a testé le solo de Modern Warfare parce qu'on est trop nul pour le multi

Le nouveau Call of Duty se présente comme un nouveau départ pour la série. Nous sommes au regret de vous annoncer qu'il a un peu menti.
Modern warfare mode solo

Ça ne vous a sans doute pas échappé, le nouveau Call of Duty : Modern Warfare est arrivé vendredi dernier. Il est le seizième épisode de sa licence et le huitième Call of Duty développé par Infinity Ward, ce qui commence à faire beaucoup, même pour les gamers. C’est sans doute pour cela qu’il a été présenté comme un nouveau départ pour la série. Modern Warfare devait être plus mature, plus beau, plus dur, avec une campagne solo « sans concession » et un multijoueur plus nerveux et riche que jamais. Qu’en est-il réellement ? Comme nous sommes trop mauvais pour apprécier le multijoueur et que nous n’avons pas le temps de grinder dans l’espoir de faire taire les voix infantiles qui insultent notre mère dans le chat, nous avons surtout étudié la campagne solo. Voici nos impressions.

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Ce qui frappe en premier est évidemment l’aspect du jeu. Les environnements sont riches et beaux quoi que « Call-of-Dutesques » : une bonne partie de la campagne baigne dans une poussière beige ou dans une lumière électrique tantôt blafarde, tantôt jaunâtre. Par contre, les combattants et les armes sont frappants de diversité et de réalisme, par l’aspect comme les animations. Les gilets tactiques pèsent lourd sur les torses bombés, l’acier des mitrailleuses tressaute avec force, les jets de grenade flash sont bizarrement plaisants. C’est superbe, dynamique, criant de vérité. Une ambiance sonore impeccable renforce l’immersion : les culasses coulissent avec un cliquetis détaillé, les douilles tintent en frappant le béton, les doublages (anglais, pas français) sont parfaits. Et… Voilà, c’est à peu près tout.

« La campagne de Modern Warfare cherche d’abord à « faire vrai » avec un scénario lourdement inspiré de la guerre civile syrienne. »

Ces changements sont plaisants mais essentiellement cosmétiques. Dans le gameplay même, les ajustements sont moins des améliorations que des mises à niveau : enfin, les armes ont du recul et les balles obéissent à la physique, adieu les canons lasers stables comme des vaches sacrées qui ont fait le cachet de la licence. Sonnez hautbois, résonnez musettes ! Call of Duty est désormais doté de mécanismes dignes d’un jeu de tir de son temps. Bien que cette implémentation tardive vise manifestement à rattraper le retard de la licence sur les autres FPS multijoueur, elle participe aussi de la quête de réalisme effrénée qui définit l’expérience solo du nouveau titre.

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La campagne de Modern Warfare cherche d’abord à « faire vrai » avec un scénario lourdement inspiré de la guerre civile syrienne. Quelques missions renvoient à des événements terribles, notamment l’attaque au gaz de la Ghouta et la prise de l’ambassade américaine de Benghazi. Les citations qui s’affichent à chacune de vos morts sont attribuées à Platon et Tariq Ramadan (!) mais aussi à des personnages du jeu. Et pour faire bonne mesure, Infinity Ward a saupoudré l’aventure de moments forts, sinon frappants. Exemple : des terroristes ouvrent le feu en plein Londres, les kamikazes éclatent en nuages de bouts de viande, les civils cavalent mais vous devez tirer. Autre exemple : transporté au Moyen-Orient dans la peau d’une petite fille, vous survivez à une attaque au gaz et poignardez un soldat russe avec un tournevis. Et cetera, et cetera.

Taylor Kurosaki, directeur de la narration chez Infinity Ward, a déclaré au magazine Inverse en mai dernier que ces moments cherchaient à représenter la réalité des conflits armés : « Nous ne vous avons pas présenté ces choses pour montrer à quel point nous pouvons être provocants, mais plutôt pour montrer que la guerre moderne n’est pas toujours plaisante, que c’est une affaire sérieuse et parfois un peu sale. » Quelle délicate attention.

Malheureusement, Modern Warfare montre tellement d’horreurs qu’on se demande vite s’il ne confond pas réalisme et visceralité, « faire vrai » et « faire parler ». Car après tout, pourquoi ne pas chercher à choquer ? La mission No Russian, qui proposait au joueur d’ouvrir le feu dans une foule de civils, a apporté une publicité considérable à Modern Warfare 2. En fait, la quête du moment-choc est si prégnante dans la campagne de ce dernier opus qu’elle en devient gênante. Ainsi, après un attentat et la vision d’une rangée de pendus, la séquence de crapahutage dans un charnier qui devait nous faire toucher la réalité de la « guerre moderne » semble trop scénographiée pour ne pas rompre l’illusion. C’est dommage, car le jeu offre aussi des moments mémorables sans forcer, notamment lorsqu’il nous demande de traverser un coin d’hôpital rempli de blessés qui n’en sont peut-être pas.

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« Modern Warfare a clairement été conçu pour des niveaux de difficulté inférieurs, ceux qui transforment le joueur en éponge à bastos pour préserver le rythme du jeu et donc son aspect spectaculaire. »

Histoire de prendre toute la mesure de l’élan vers le vrai par la violence de Modern Warfare, nous avons lancé le jeu en mode réaliste. Dans ce niveau de difficulté, les hordes d’ennemis braillards qui se jettent sur vous communient avec la matrice : inutile d’attendre caché derrière une caisse au détour d’un couloir, ces Terminator débarquent en sprintant et cartonnent le petit bout de crâne que vous avez laissé dépasser sans ralentir ou vous laisser le temps de réagir. Ils dégainent à la vitesse de l’éclair et comme leurs fusils à pompe tuent en un coup au-dessous d’une certaine distance, on se retrouve régulièrement foudroyé par un tir surgi d’on-ne-sait où. Nous voilà servis en réalisme, direz-vous. Mais non.

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Modern Warfare a clairement été conçu pour des niveaux de difficulté inférieurs, ceux qui transforment le joueur en éponge à bastos pour préserver le rythme du jeu et donc son aspect spectaculaire. En mode réaliste, le jeu perd cette qualité pour se changer en bullet hell à gros budget : votre seule chance de survie est de vous faire fumer assez de fois pour apprendre les pattern des niveaux, notamment les déplacement des ennemis. Dès lors, le réalisme s’effrite pour laisser place au schéma basique de l’arcade : mourir, recommencer, digérer ses erreurs pour devenir plus malin. Vous savez qu’un combattant va surgir de cette porte et vous coller un headshot instantané ? Après avoir été foudroyé trois fois en essayant de le fumer de façon réglementaire, vous commencez à tirer avant même qu’il n’ait passé l’encadrure.

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Cette approche « Die & retry » agit comme un sérum de vérité sur Modern Warfare. Ces fusillades répétées trois, cinq, dix fois révèlent tous les scripts qui donnent sa qualité cinématographique à l’aventure, et donc les grosses baguettes avec lesquelles Infinity Ward guide le joueur : tel véhicule arrivera par tel chemin donc je dois me positionner ici, tel terroriste sera embusqué à tel endroit donc je dois lancer une flashbang… On se croirait dans ces entraînements militaires qui visent à graver certains gestes dans la « mémoire musculaire » des combattants par la répétition. Est-ce une manifestation des limites de la recette réalistoïde de Modern Warfare ? Une observation pointue sur la guerre et ses horreurs sans cesse reproduites ? Un parallèle bizarre entre jeux vidéo et combat, deux domaines dans lesquels l’expérience et la répétition peuvent être renversées par la chance ? Aucune idée. Peut-être est-ce simplement la preuve que nous sommes mauvais à Call of Duty.

Conformément à cette théorie et pour notre malheur, nous nous sommes fait salement botter en multijoueur. Comme prévu, les affrontements sont extrêmement nerveux : il faut bouger intelligemment et viser vite sous peine d’être abattu, parfois en une fraction de seconde. Bref, nous avons souffert, d’autant plus que notre FPS de référence est Battlefield depuis des années. Modern Warfare essaye de piétiner les plates-bandes de ce concurrent en introduisant un mode conquête appelé « Ground war » qui nous a semblé trop chaotique pour être plaisant.

Pour ce qui est du deathmatch classique, la douleur et les ratios négatifs ont été les maîtres-mots de nos sessions. Le mode escarmouche, qui fait s’affronter deux équipes de deux joueurs dotés des mêmes armes sur une petite map, a été plus intense et humiliant encore. Pourtant, l’aspect impeccable du jeu nous a toujours donné envie de retourner se faire massacrer. On en revient aux modèles 3D, aux animations, aux sons : tout a été calibré pour que Modern Warfare soit plaisant à jouer, tout simplement. Ce souci du plaisir fait oublier les défauts du jeu, en solo comme en multi. Et c’est pour ça que même s’il reste un digne représentant de sa licence, c’est-à-dire une machine trop coûteuse pour tenter quoi ce soit de réellement novateur, on va sans doute le lancer ce soir, et demain, et ainsi de suite. Un éternel recommencement, en somme. Comme la guerre, comme Call of Duty.

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