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agressions sexuelles

Ce qui s’est passé quand le milieu des clubs à Vancouver a nommé ses présumés violeurs

Un DJ s’est suicidé après qu’une liste de présumés agresseurs sexuels a circulé dans les réseaux sociaux.
Une marche #MoiAussi à Vancouver, samedi le 4 novembre dernier. Photo par Olivia Leigh Nowak

Dès que l’image signalant que le DJ vancouvérois Zachary McLean Webb était porté disparu a commencé à circuler, les habitués de la vie nocturne vancouvéroise se sont préparés à recevoir une mauvaise nouvelle.

Son nom était l’un des sept d’une liste de présumés agresseurs sexuels qui a abondamment circulé dans les réseaux sociaux le mois dernier. Ses amis et connaissances ne pouvaient que formuler des hypothèses, depuis qu’il ne s’était pas présenté au travail le jour avant la mise en ligne de la liste. Alors que la vague de #moiaussi prenait de l’ampleur, il en allait de même de la crainte qu’il se soit enlevé la vie. Quatre jours après qu’on l’a accusé de viol sur Facebook, sa famille confirmait sa mort.

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« Il y a de la controverse entourant le décès de mon fils et oui, ça rend les choses plus difficiles », a écrit la mère de Zachary sur Facebook, mentionnant qu’une enquête policière est en cours. « Soyez prudent avec vos mots, vos messages, vos partages. Nous ne sommes pas juges, jurés et bourreaux. »

Des médias ont dépeint l’incident comme un dérapage de l’activisme par mot-clic incitant à la prudence, une campagne de diffamationqui a produit plus de douleur que de justice. Bien que les experts estiment qu’un suicide n’a rarement qu’une seule cause, beaucoup des personnes concernées n’ont pu s’empêcher de tirer leurs conclusions.

Les femmes qui ont dénoncé les présumés violeurs ont été qualifiées d’intimidatrices et même de meurtrières, puis menacées de poursuite en justice. Les amis de Zachary ont même comparé ce cas à celui d’Amanda Todd, une adolescente qui s’est enlevé la vie après qu’un homme l’a menacée et intimidée sur internet. Toutefois, si vous posez la question à beaucoup des femmes qui travaillent dans les clubs et les afters, « la liste » a déclenché une prise de conscience impérative. Elle a fait d’un phénomène malsain et invisible une réalité impossible à ignorer.

VICE a parlé à six femmes qui ont nommé sur internet leur présumé agresseur et à de nombreuses autres personnes qui gravitent dans l’univers des clubs et des afters à Vancouver. Mis en commun, leurs constats donnent à penser qu’il existe bien un phénomène qui dépasse de loin les quelques cas isolés : des hommes de pouvoir paient des verres, donnent de la drogue, organisent des partys et en profitent pour abuser de jeunes femmes, parfois d’adolescentes.

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Photo : Geoff Webb

Une photographe à qui VICE a parlé avait 16 ans quand un DJ populaire l’a embauchée pour prendre des photos dans les clubs. Il avait presque le double de son âge à ce moment et organisait fréquemment des partys chez lui. « Comme j’étais très jeune, c’était super cool que ces gars plus vieux veuillent qu’on soit là et qu’on fasse partie du milieu », a-t-elle raconté.

À deux occasions, le DJ l’aurait forcée à avoir une relation sexuelle avec lui et, pendant des années après, elle s’est sentie coupable de ne pas s’être débattue ou l’avoir dénoncé. « Je n’avais jamais eu de chum, dit-elle, je ne savais pas ce qu’étaient l’amour ou le consentement. Je n’ai jamais vraiment dit non ou essayé de le repousser, j’étais vraiment détachée. »

Elle ajoute qu’elle n’avait pas les mots ou le soutien émotionnel pour ensuite bien gérer ce qui lui était arrivé et qu’elle ne voulait pas perdre sa place dans le milieu. « Il y a dix ans, c’était très différent, on n’était pas aussi conscientes qu’on l’est aujourd’hui. À l’époque, nos amies pensaient que le seul type de viol qui existait, c’était quand un gars avec un chandail à capuchon entrait par effraction chez toi, comme dans Law & Order. »

Elle a continué de travailler pour le DJ et, pendant quelque temps, aucun des deux n’a fait allusion à l’incident. « Après la première fois, il agissait comme si rien ne s’était passé. Il me faisait sentir comme s’il n’avait rien fait de mal », explique-t-elle.

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Quelques mois plus tard, à peu près la même chose s’est produite alors qu’elle avait perdu connaissance, raconte la photographe. « Je me rappelle juste m’être réveillée alors que ça se produisait. Dans mes souvenirs, il était très fort et très brutal. »

Des messages de plusieurs femmes publiés sur Facebook contiennent des allégations semblables contre le même DJ. Dans un autre message qui a beaucoup circulé, une femme raconte qu’il a aussi abusé d’elle quand elle avait 17 ans, alors qu’elle avait perdu connaissance.

La photographe, maintenant âgée de 27 ans, dit qu’elle n’a pas décidé de parler du viol pour avoir de l’attention, se faire connaître, faire avancer sa carrière ou se venger de quelqu’un qu’elle n’aurait pas aimé. Si elle a participé au mouvement #moiaussi le mois dernier, c’était en soutien aux autres femmes qui ont été critiquées pour avoir osé nommer leur agresseur.

« Je veux simplement que le monde sache que ces femmes ne mentent pas. Je ne veux pas le revivre chaque seconde de chaque jour. Mais c’est difficile de m’en souvenir parce que j’étais très jeune, qu’il y avait de la drogue, et on a tendance à faire une dissociation après de mauvaises expériences. »

L’avocat du DJ a déclaré à VICE qu’il n’a été inculpé d’aucun crime et qu’il a nié avoir commis les sérieuses inconduites dont on l’accuse.

La photographe reconnaît que des commentaires ont suivi les révélations. La présomption que des femmes comme elle regrettent leurs décisions et cherchent à blâmer les autres, c’est exactement ce contre quoi elle et d’autres essaient de se battre. Le débat sur ce qui est considéré comme un consentement suffisant se poursuit, et elle espère que les hommes joueront un rôle plus actif en confrontant d’autres hommes.

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À première vue, la mort de Zachary McLean Webb a alimenté ce débat délicat. Il y a beaucoup d’émotions, et les DJ que VICE a rencontrés se disent nerveux et craignent de faire un faux pas s’ils parlent.

Si vous demandez aux femmes qui allèguent avoir été victimes de Webb, elles répondent que sa mort ne change rien. Les confrontations directes, la police et les autres recours n’ont rien donné, c’est pourquoi elles ont cherché la sûreté et crédibilité dans le nombre.

Deux des femmes à qui VICE a parlé ont décrit les agressions sexuelles qu’aurait commis Webb à leur endroit. Elles ont toutes deux exigé l’anonymat par crainte de représailles ou de poursuites en justice.

Une d’elles a dit qu’elle a anonymement porté plainte à la police contre lui en juin. Elle soupçonne qu’on l’avait droguée il y a deux ans dans un petit rassemblement après la fermeture des bars et affirme qu’ensuite Zachary McLean Webb et un autre homme l’ont tripotée alors qu’elle pouvait à peine bouger. « Je n’ai jamais voulu cette relation sexuelle, je n’ai pas du tout donné mon consentement », assure-t-elle.

L’avocate du deuxième homme a affirmé que son client « n’a jamais fait l’objet d’accusations relatives à ces allégations ».

La femme explique qu’il lui a fallu des années pour arriver à en parler. Maintenant que ce qu’elle a vécu a été révélé publiquement et qu’elle voit que beaucoup d’autres femmes sont encouragées à prendre la parole, elle se sent libérée d’un fardeau.

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« Si les policiers ne font rien, c’est malheureusement la voie qu’on doit prendre », affirme Erica Lapadat-Janzen, une artiste locale et ancienne colocataire de Zachary McLean Webb. « Le temps de se taire est fini. »

Certains des incontournables de la vie nocturne à Vancouver se sont faits remarquablement silencieux récemment, mais en privé ils ont dit à VICE qu’il y a un besoin de nouveaux artistes, de nouveaux partys, et de femmes qui prennent les décisions.

Mais les femmes auxquelles VICE a parlé estiment qu’il y a plus à faire. Celles qui ont dénoncé publiquement leur agresseur sont des photographes, musiciennes, artistes établies et pour la plupart blanches. « Pour chaque femme qui nomment son agresseur, il y a des personnes non binaires, des trans, des femmes de couleur trop vulnérables pour prendre la parole », estime Erica Lapadat-Janzen.

Des femmes disent que l’effusion de soutien commence à peser plus lourd que le scepticisme. Presque tout le monde dans le milieu a été horrifié par l’étendue du phénomène révélé par les allégations et, à l’intérieur, on commence à examiner sérieusement la relation de pouvoir entre les hommes qui dirigent l’industrie depuis des décennies et les jeunes femmes en état d’ébriété.

« Je suis triste pour la famille et les amis de Zachary, a dit une des femmes que VICE a rencontrées. Mais celles qui survivent à une agression sexuelle courent beaucoup plus le risque d’avoir des idées suicidaires, et même de passer à l’acte, que ceux qui commettent ces viols. La comparaison avec Amanda Todd est super injuste, poursuit-elle. C’est ce qu’on a vécu, et je ne vois pas en quoi le dire serait de l’intimidation. »

Suivez Sarah Berman sur Twitter.