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Santé

Ce que ça fait de ne pas pouvoir visualiser d’images dans sa tête

L’aphantasie est un phénomène commun et pourtant méconnu qui désigne l’impossibilité de se représenter mentalement un visage, un lieu, ou même une forme.

La plupart des gens s’imaginent difficilement une vie sans imagination. Nous visualisons des images mentales au quotidien : ce qui reste dans le frigo, le visage froissé d'un grand-parent décédé. Nous utilisons non seulement ces images pour nous souvenir du passé, mais aussi pour imaginer notre avenir. Lequel d’entre nous n'a pas déjà, dans sa tête, les plans du petit appartement qu'il espère un jour pouvoir se permettre d'acheter ?

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Mais qu’en est-il de ceux qui ne peuvent pas imaginer ces choses ? Qui ne peuvent même pas imaginer un arbre alors même qu’ils pensent à un arbre ?

Arfie Mansfield, un analyste de 32 ans, est atteint d’aphantasie – une maladie qui l’empêche de former des images dans son esprit. Ce trouble a été découvert pour la première fois en 1880 et a été évoqué dans une étude publiée en 2015 par Adam Zeman, professeur de neurologie cognitive et comportementale. Il est possible que cette maladie affecte jusqu'à 1 personne sur 50.

La capacité d’une personne à visualiser se situe quelque part sur un spectre ; certaines imaginent les choses avec vivacité – le logo sur la brique de lait, les rides de mamie, le moindre recoin d’un minuscule appartement. D’autres, en revanche, n’en ont qu’un vague aperçu. Arfie est quant à lui plus proche de l’aphantasie totale, ce qui – selon le site web aphant. asia – signifie qu'il lui est pratiquement impossible de « créer des images, des sons, des goûts, des odeurs ou des touchers » dans son esprit.

Photo : PxHere/CC0

VICE : Salut, Arfie. Alors comme ça, tu ne peux pas visualiser d’images dans ton esprit ?
Arfie : C’est exact, je ne peux pas.

Comment penses-tu, dans ce cas ?
Je ne sais pas – je ne visualise pas de mots non plus. Il m’arrive de le faire, mais il s’agit de l'exception plutôt que de la règle. Si je veux penser en mots, je dois le faire délibérément ; ce n'est pas par défaut.

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Donc tu ne penses ni en images, ni en mots – en concepts, peut-être ?
J'ai toujours imaginé que je pensais en pensées. Je visualise la façon dont les choses se rapportent à d'autres choses.

As-tu toujours eu conscience que ta manière de penser est différente de celle des autres ?
Un ami m’a parlé d’un Grec qu’il connaissait. Ce mec avait vécu dix ans en Angleterre, et mon ami se demandait s'il pensait désormais en anglais ou en grec. Jusque là, je ne savais même pas qu’il était possible de penser en langues. Il en va de même pour les images mentales : lorsque les gens me parlaient d’« images mentales », je ne comprenais pas que c’était dans le sens littéral du terme – je pensais que c'était une manière poétique de présenter les choses. Il m’a fallu du temps pour m'habituer à l'idée que tout le monde ne pense pas de la même façon. Ce qui semble facile, mais…

Mais ça ne l’est pas. C'est assez aliénant, d'un certain côté.
Oui, c'est très aliénant, car quand ça arrive, bizarrement, les gens sont toujours surpris et sur la défensive.

Sur la défensive ? Comment ça ?
Quand je leur explique que je ne pense pas en images ou en mots, ils ont l’impression que je suis en quelque sorte en train d'attaquer leur approche. Le fait qu'il existe un autre moyen de penser rend les gens mal à l'aise. Tout le monde me pose toujours les mêmes questions : « Tu es incapable de me dire à quoi ressemble ton père ? »

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Tu es incapable de me dire à quoi ressemble ton père ?
Je sais à quoi ressemble mon père – je sais à quoi ressemble toute ma famille, mais la seule raison pour laquelle je suis capable de te dire de quelle couleur sont les yeux de mon père, c'est parce que j'ai un jour vérifié après que quelqu'un me l'a demandé. Une amie m'a demandé de lui décrire les membres de ma famille, et j’ai décrit comment ils étaient en tant que personnes. Elle a insisté : « Mais à quoi ressemblent-ils, physiquement ? » Je lui ai répondu que je ne savais pas.

Du coup, les apparences sont moins importantes pour toi ?
J’aimerais pouvoir te dire que oui, mais ce n’est pas le cas. Je pense que je suis aussi superficiel que n'importe qui.

N’as-tu jamais visualisé une image dans ton esprit ?
Ca m'est arrivé une fois. J’étais un peu défoncé et j’ai vu des images dans mon esprit, ce qui était pour moi un concept très nouveau. Dès que c'est arrivé, je me suis dit : « Oh, alors c'est ça que les gens voulaient dire ! »

Maintenant que je l'ai vécu une fois, j’essaie de forcer un peu les choses pour le revivre. Je sais que j’en suis capable. Peut-être qu’il me suffit d’un peu d’entraînement pour être capable de visualiser les choses dans mon esprit, comme les gens « normaux ».

Quand les gens lisent un livre, ils créent tout un monde dans leur tête. Que se passe-t-il lorsque tu lis un livre ?
Les mots entrent et je les comprends. Je me concentre sur la relation entre les personnages, les concepts et les lieux. Je ne peux pas me représenter les personnages, même s'ils sont décrits de manière saisissante.

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Photo : MaxPixel, via/CC0

Comment fantasmes-tu ?
À l’aide des événements, des relations et des concepts, je suppose. De la même manière que je pense. Je peux imaginer que les choses arrivent, mais pas de quoi elles ont l’air.

Cela affecte-t-il ta mémoire ?
Je peux me souvenir des choses ; mais pas les visualiser en tant que tel. C'est comme si elles étaient stockées dans un code machine. Là-dedans [il montre sa tête], elles ne sont pas traitées en tant que substances visuelles. Je sais à quoi ressemble la Tour Eiffel, mais je ne peux pas m’en souvenir sous la forme d'une image. Je peux seulement penser à ses caractéristiques.

Penses-tu que cela rende certaines choses plus difficiles ?
J’imagine que oui – en même temps, je n’ai jamais vécu autrement. Je pense parfois à des choses qui ne sont pas forcément facilement exprimables en anglais. J'ai ensuite du mal à les exprimer tout court.

Ce doit être frustrant de traduire une pensée en mots, si ce n'est pas ce que tu penses.
En effet – je peux parfois la décrire. Je décris quelque chose en dehors du langage, en utilisant le langage ; c'est à ça qu’il sert. Si nous n'avons pas un mot exact en anglais, nous avons des mots qui s’y rapportent.

Les mots ont des connotations différentes pour tout le monde. Ce qu'un mot évoque pour moi n’évoquera peut-être pas exactement la même chose pour toi.
C'est vrai, il n’y a qu’à prendre le mot « images », par exemple.

@wernerspenguin