Une histoire secrète de l’extrême droite violente
Le 13 avril 1976, à Paris, des membres du personnel de sécurité du GUD, Groupe Union Defence, réunis à l'université d’Assas après qu’un étudiant d’extrême droite français eut été blessé. © Dominique Faget / AFP

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Fachosphère

Une histoire secrète de l’extrême droite violente

Anciens collabos, nostalgiques de l’Algérie française ou skins néonazis : l’ultra droite a toujours eu des penchants sanguinaires. La preuve en cinq affaires oubliées.
Pierre Longeray
Paris, FR

Au printemps dernier, en pleine période de blocage des facs, l’extrême droite violente - et ses battes de base-ball - a de nouveau fait parler d’elle. À Tolbiac, à l’université de Montpellier ou au Lycée Autogéré de Paris, les crânes rasés ont débarqué, bastonnant tout ce qui bougeait et coursant les étudiants dans les couloirs aux cris de « courez, bande de gauchistes, sinon on vous butte ! ». Dans la foulée, les membres d’un groupuscule baptisé AFO (Action des forces opérationnelles) ont été arrêtés, car soupçonnés de vouloir empoisonner de la nourriture halal.

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Ça n’était pas, loin de là, la première fois que l’ultra droite française passait à l’action. La violence est même une constante au sein du mouvement.

Dans son dernier ouvrage, Les plastiqueurs (La Découverte), Frédéric Charpier, spécialiste du renseignement et de l’ultra droite, revient sur l’histoire secrète de cette extrême droite brutale – et parfois même sanguinaire – qui semble aujourd’hui en plein revival.

Vice a sélectionné cinq anecdotes particulièrement hardcore parmi les centaines que recèle ce livre passionnant. Au casting : anciens collabos, nostalgiques l’« Algérie française » et skins néonazis…

Nièce de Christian Dior et « hitlérienne de toujours »

Dans les années 1950, pas mal de monde passe au 9, rue de Hanovre à Paris, où se retrouve la fine fleur de l’ultra-droite de l’époque, chapeautée par le Front d’Action Nationale. On y retrouve notamment le Comité pour la défense des persécutés (une organisation anticommuniste) ou le Front des combattants pour la défense de l’Union française (pro Algérie française).

Parmi les visiteurs récurrents, Françoise Dior, nièce du célèbre couturier et « hitlérienne de toujours ». Dior, qui porte une croix gammée autour du cou, ne manque pas d’idées pour faire perdurer l’idéologie nauséabonde du Führer. Elle pense notamment à créer des « sections d’assaut » visant à se défendre contre les « juifs et les communistes ».

En 1962, la dame va plus loin et créé la section française de la World Union of National-Socialists (WUNS). Après avoir confié pendant deux ans la WUNS France à un certain Yves Jeanne, Françoise Dior fait appel à un autre néonazi coiffé d’un célèbre patronyme : Jean-Claude Monet, petit-neveu du peintre. Lui aussi habitué de la rue de Hanovre, Monet en tient une sacrée couche, persuadé d’être la réincarnation d’Hitler, et son fils putatif – le Führer ayant couché avec une Lorraine.

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Dior comme Monet, et contrairement à l’ensemble de l’ultra-droite de l’époque, ne soutiendront pas l’Algérie française, qui au travers de l’OAS, va rythmer le début des années 1960 de l’extrême droite violente.

Étudiants en prépa et plastiqueurs

Créée en 1961, l’Organisation de l’armée secrète – ou OAS pour les intimes – n’accepte pas que l’Algérie reprenne son indépendance. Suivant le slogan « l'OAS frappe où elle veut et quand elle veut », ses membres ne rechignent devant aucun moyen d’action, dont le terrorisme, et recrute chez les jeunes étudiants en prépa et les lycéens, pour filer un coup de main lors des campagnes de plastiquage.

Quatre groupes de jeunes plastiqueurs, baptisés « Alpha », sont ainsi créés. À leur tête, un certain Jean-Marie Vincent, maître d’internat du collège Sainte-Barbe, dans le Ve arrondissement de Paris. À leur tableau de chasse, ceux qui se retrouvaient parfois dans des chambres de bonne pour confectionner des explosifs ont notamment fait péter des permanences communistes ou les domiciles de soutiens du Front de Libération Nationale (FLN) en plein Paris.

Le 17 janvier 1962, c’est l’appartement de Pierre Coquet, un membre d’un réseau de soutien du FLN, qui est visé. Deux jeunes de l’OAS déposent 500 grammes de nitrate d’ammonium devant sa porte et allument la mèche de la bombe avec leur clope. Trois semaines plus tard, c’est au tour de l’agence de voyages Paris-Prague – « choisie pour ses liens avec les pays de l’Est, » explique Charpier – qui est détruite par une explosion. Le 17 février, 10 kg de TNT sont utilisés contre des permanences communistes et des organisations d’extrême gauche.

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Les groupes Alpha finiront par être démantelés peu de temps après cette vague de plastiquage, entraînant dans leur chute une des « huiles » de l’OAS : André Canal, surnommé « Le Monocle » et chargé des finances et des « actions directes » de l’organisation en métropole.

Le Poulailler, rade des anciens de l’OAS

Après la fin de l’OAS, certains de ses activistes se retrouvent souvent dans un bar du XVIIe arrondissement de Paris, au Poulailler, posé dans la rue Brey. Ici, des ex-militaires, barbouzes et baroudeurs en tout genre, viennent boire des canons dans l’espoir de se faire embaucher comme mercenaires. On y trouve aussi des officiers des renseignements américains ou portugais (Lisbonne étant devenu un point de chute préférentiel des anticommunistes de l’époque).

Habitué du Poulailler, l’ancien chef de l’OAS en métropole, Pierre Sergent, y rencontrera par exemple un agent américain et un Portugais, qui lui proposeront de monter un réseau européen d’activistes d’extrême droite, en lien avec la John Birch Society, une organisation qui prônait un anticommunisme violent.

D’autres anciennes huiles de l’OAS, comme Jean Lecrivain, qui avait aussi son rond de serviette au Poulailler, s’associeront avec les services de renseignement français pour des missions relativement spéciales. Lecrivain sera notamment l’organisateur d’une importante vente d’armes adressée à la Syrie, et plus spécifiquement au Fatha, l’organisation palestinienne.

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Paris, 11 mai 1986, durant les célébrations de Jeanne d’Arc, des militants des groupes d’extrême droite du GUD et de «Jeune Garde» arborant une bannière demandant à Alain Madelin, ministre de l’Industrie et ancien activiste du GUD, de «payer sa cotisation». © Stringer/AFP

Serge Ayoub, tête de gondole des skins

Le goût des membres de l’OAS pour la violence et l’extrémisme va continuer à perdurer et faire des petits, notamment dans le mouvement skin des années 1980. Au temps de Mitterrand, un personnage va s’imposer comme la figure de proue de l’extrême droite activiste : Serge Ayoub. Après avoir milité au PS, Ayoub se rapproche des skins, puis vire à droite toute. Prenant le surnom de « Batskin » – jonction de batte de baseball et skinhead –, Ayoub est le visage des néofascistes bagarreurs de l’époque.

Avec la « bande de Gambetta », Ayoub colle des affiches pour Le Pen, avant de s’en détacher et de frayer avec l’Œuvre Française. Le Klan (un des autres surnoms du groupe d’Ayoub) se spécialise dans les provocations, comme lors de la manifestation traditionnelle en l’honneur de Jeanne d’Arc, le 12 mai 1985, où ils défilent avec une banderole « Amis de Klaus Barbie ». La bande d’Ayoub continue ses coups d’éclat, notamment en attaquant les locaux de SOS Racisme en 1986.

Après une guerre d’influence avec le GUD et d’autres groupes skins rassemblés autour du groupe néonazi Légion 88, Ayoub et sa bande fraye ensuite avec le Pitbull Hop, un groupe de hools du Paris Saint-Germain – et le Parti national français (PNF). Mais à cette époque, les skins d’Ayoub doivent aussi composer avec les néonazis purs et durs, adeptes comme eux de l’ultra-violence.

Survivaliste asocial et wannabe terroriste

En 1987, un café arabe du Petit-Quevilly (Seine Maritime) est visé par une attaque à la bombe, qui ne fera aucun blessé. L’homme qui a déposé et fabriqué l’explosif s’appelle Michel Lajoye, un type qui se revendique néonazi, nationaliste et raciste, et n’hésite pas à appeler à l’action directe.

Le profil de Lajoye est relativement singulier. Une sorte de « survivaliste asocial », pour reprendre l’expression Charpier, qui raconte que Lajoye a arrêté de se pointer à l’école vers ses 12 ans, pour se consacrer à la chasse de rats d’eau et à la revente de leur peau. En 1984, trois ans avec l’attentat du Petit-Quevilly, il rallie un parti qui commence à monter : le Front national.

Mais rapidement, le FN ne lui convient pas - le discours n’y étant pas assez musclé. Après un passage en prison, il rencontre un certain Christophe Arcini, militant à l’Œuvre française, que Lajoye a rejoint après son départ du FN. Artificier démineur de métier, Arcini peut aisément se fournir du plastic et des détonateurs. C’est avec lui que Lajoye dépose la bombe au Petit-Quevilly.

Lors de son procès en juin 1990, Lajoye sera condamné à une peine de réclusion criminelle à perpétuité, assortie de 18 ans de sûreté – la sévérité de la peine s’expliquant sans doute par les longues diatribes antisémites qu’il a déblatéré pendant son procès.