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Culture

En 2017, vous avez raté Eric Judor. C’est mal

« Problemos » est le meilleur film de 2017 et tout le monde s’en fout. Pour VICE, Eric Judor revient sur ce rendez-vous manqué.
Eric Judor Problemos
Image extraite du film Problemos 

(Eric Judor, 2017) 

Problemos est sorti en salle le 10 mai 2017, et ce jour-là, vous avez encore oublié d’aller au cinéma. N’ayons pas peur des mots, le deuxième long métrage réalisé par Eric Judor en solo est un four : 192 758 entrées, un chiffre qui illustre assez bien l’expression « ne pas rencontrer son public ». C’est un mystère, et surtout, une injustice. Car Problemos est la lumière au bout du tunnel de la comédie française populaire made in France avec ses jeunes premiers tête-à-claques, ses barons noirs indéboulonnés, sa droitisation régionaliste… Problemos, c’est un scénario cruel et terriblement malin, une satire de Nuit Debout et des ZAD farci de personnages fabuleux et de dialogues brillants, un film autant biberonné au non-sens anglo-saxon, à la férocité de la comédie italienne des années 1960-1970, qu’aux mises en scène de Jean Yanne ou au charme obsolète des comédies françaises post-hippies comme Psy ou Les Babas cool. Oui, Problemos est un chef d’œuvre, et tout le monde s’en fout. En cette traditionnelle période de bilan de fin d’année, nous avons eu l’envie – sadique certes – de remuer le couteau dans la plaie. Invité au dernier Festival International du Film Indépendant de Bordeaux, Eric Judor a gentiment accepté de revenir sur ce rendez-vous manqué. Avec beaucoup de rires un peu tristes.

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VICE : J’ai vu Problemos lors de sa première séance matinale dans un multiplex de Grenoble, une ville très marquée à gauche, ambiance Nuit Debout. J’étais quasiment le seul à rire. J’observais en douce les autres spectateurs, certains avaient l’air en colère.
Eric Judor : Sans déconner ? Franchement, avec Blanche Gardin et Noé Debré, les deux scénaristes, on a essayé de faire un film qui montre ses personnages sous un jour … peut-être pas positif, mais en tout cas plein de vraies bonnes volontés à vouloir changer le monde. Mais confrontés à la difficulté de mettre ça en place dans la réalité. Pendant le premier quart d’heure, on rentre dans le film avec ce parisien moqueur, on se fout de leur gueule, de leurs fringues, de leurs coupes de cheveux. Mais ensuite j’espérais – enfin, j’espère toujours – qu’on s’attache à ces personnages et qu’on prenne fait et cause pour leur combat.

Est-ce que ce film n’a pas justement remué le sentiment d’échec de Nuit Debout ?
Peut-être que le timing n’était pas le bon pour eux, pour qu’ils le voient. Peut-être que les gens dont tu me parles dans cette salle n’avaient pas de recul, mais bon, ils ont quand même fait l’effort d’y aller !

Est-ce que ce n’est pas lié aux crispations de l’époque, aussi ?
Carrément. Maintenant, on a plein de petits groupes qui s’insurgent dès qu’on touche à leurs valeurs. Tout devient affaire d’État, systématiquement, pour tout et n’importe quoi. On ne peut plus bouger, faut arrondir les angles, essayer d’éviter de cross the line. Pour les gens, l’irrévérence n’est plus drôle, c’est devenu une agression. C’est compliqué pour Ramzy et moi parce que l’irrévérence, c’est un peu notre mode de fonctionnement.

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Problemos est sorti dans la foulée d’À bras ouverts et Gangsterdam qui ont engendré des polémiques plutôt justifiées…
Mais Problemos n’a pas fait de polémique ! Il n’a pas fait de vagues, les gens ne sont pas allés le voir. Il n’y a pas de polémique, à part à Grenoble ! [rires] On a fait une projo à Notre-Dame des Landes figure-toi. Je ne sais pas comment ça s’est passé.

C’était pas tentant d’y aller pour la préparation ?
Si évidemment, mais je me suis contenté d’aller à Nuit Debout. Question anonymat, ça aurait été plus dur, j’aurais été séquestré, tout ça [rires]. Et puis, finalement, ça n’est pas vraiment le sujet. Le film interroge plutôt les rapports humains, et comment, quand on veut changer les choses, on redevient vite cupide, on veut protéger ses propres enfants, ne pas tendre la main vers les autres. Ça va au-delà de l’anecdote de la ZAD.

Est-ce que votre repositionnement artistique depuis quelques années ne vous a pas coupé d’une grande partie de votre public ?
Je discutais avec un mec à un mariage qui me disait « je viens de voir Problemos en VOD, c’est génial, je ne suis pas allé le voir en salle parce que comme toute la presse disait que c’était génial, malin, je me suis dit que ça allait être un film chiant ». J’ai l’impression que beaucoup de gens se sont dit ça. Quand la presse t’encense, c’est louche pour une comédie.

C’est aussi ce qui s’est passé pour La Tour 2 Contrôle Infernale, non ?
Et ouais. Autre souffrance, autre blessure [rires]… Je me rappelle, à une époque, quand mes parents me lisaient les critiques des films de Jim Carrey dans Télérama, ils me disaient « tu ne vas pas aller voir ça, t’as vu ce qu’ils en disent ? » Du coup, moi, je me disais « je vais y aller parce qu’ils n’ont rien compris à l’humour, Télérama ! ». J’allais voir Dumb & Dumber et c’était absolument génial. Donc je peux comprendre que pour le grand public, c’est un mauvais signal quand la presse est unanime sur une comédie. Ça va être relou, on ne va pas vraiment se marrer alors que c’est notre seule sortie du mois.

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Est-ce que la couverture des Cahiers du cinéma ne vous a pas flingué, quelque part ?
Écoute, c’est mon Oscar à moi « Les Cahiers du Cinéma », OK ? Tu ne me l’enlèveras jamais, OK ? Je peux reposer en paix. [rires] Franchement, je ne sais pas ce qui s’est passé. Ça a été un choc au moment où on nous a annoncé les chiffres de la sortie. On avait fait une tournée en France, 130 dates, 130 cinémas, 40 000 entrées en avant-premières où les gens étaient ultra positifs sur le film, ils étaient hystériques quand on arrivait dans les salles, on a vu qu’il y avait une vraie attente pour La Tour 2… Puis la sortie a fait pschitt. Incompréhensible. Le distributeur, le producteur, personne n’a su comprendre, analyser ce qui s’est passé. Donc oui, deuxième souffrance, La Tour 2 Contrôle Infernale. Mais figure-toi que depuis que je suis heureux et épanoui artistiquement, je ne subis que des échecs. Platane, c’était un vrai renouvellement de mon genre, de ma façon d’être drôle, de filmer, de jouer. Ça s’est planté en audience à la sortie, mais on m’en parle beaucoup maintenant.

Peut-être que cela ça va faire pareil pour La Tour 2 et Problemos !
J’espère ! Les gens consomment différemment les films, les séries, se les repassent, et le film trouve son public comme ça au fil des années. Par exemple, en ce moment on me parle beaucoup de Seuls Two, parce qu’il est sur Netflix depuis trois mois.

Et bosser pour Netflix alors ? Ça ne vous crèverait pas le cœur de pas sortir en salle ?
Ah je m’en fous, moi. Je veux que les choses soient vues. Mais bon, faudrait que Netflix m’appelle, je n’ai pas de nouvelles [rires]. Mais ouais, à fond, j’adore, les gens sont sur leur ordi, maintenant. La sortie salle devient un événement et reste conditionné comme tel. X-Men, Les Tuche 2, Dany Boon, ce sont des événements, le public est conditionné pour qu’on lui dise « ça tu dois y aller, pour ça, tu dois claquer 14 euros ».

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L’année où Réalité de Quentin Dupieux et The Voices de Marjane Satrapi s’étaient retrouvés en compétition au Festival International du Film de Comédie de l’Alpe d’Huez, l’un des membres du jury avait dit sur scène, pendant la cérémonie de clôture, que ces films n’avaient pas grand-chose à faire là. N’y a-t-il pas une forme de marginalisation inconsciente de tout ce qui ne rentre pas dans les cases de la comédie populaire d’aujourd’hui ?
Ce n’est pas la comédie française qui met ces films à la marge, c’est que le public ne veut pas les voir. Il y a un genre de comédie qui ne parle pas du tout aux Français, celui qui a une filiation avec la comédie anglo-saxonne, absurde, où il y a un peu d’abstrait, où il n’y a pas de guerre sociale dans le film. Ça manque aux gens, il faut qu’il y ait un riche/un pauvre. Personne ne nous met à la marge, c’est nous qui sommes marginaux.

Mais justement, est-ce que ce cinéma marginal peut exister ?
La Tour 2 Contrôle Infernale a eu 400 copies, Problemos sensiblement pareil. Je suis vraiment le dernier à pouvoir dire « c’est eux les cons, ils m’ont marginalisé, rien donné comme visibilité ». Non, ce n’est pas vrai. J’ai fait les émissions de télé que je voulais, on a fait de la promo sur le net, les bandes annonces sont passées un peu partout… les gens n’ont pas eu envie d’y aller. Ils commencent tout juste avec son arrivée en VOD. Mais il fallait aller le voir au cinoche putain !

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Est-ce que le fait d’être sorti après la présidentielle, trois jours après l’élection d’Emmanuel Macron, ça n’a pas joué aussi ?
C’était notre contre-argument : aérons-nous l’esprit, pensons à autre chose ! Qu’est-ce qui se passe les gens ?! Un des auteurs avec qui j’écris le Late show pour Canal Plus me faisait lire une compilation de mes interviews où je râlais tout le temps, et je me dis que c’est facile de me trouver aigri [rires]… Mais ça va, je sais que je suis marginal. Mon public est une feuille très fine, mais indéchirable, et de qualité !

Est-ce que le Late show, vous y croyez vraiment ?
[rires] Bah vous non, visiblement !

Non, mais c’est très anglo-saxon, justement…
J’espère qu’on aura le même succès que quand on a démarré une série en public, H, quand le format n’existait pas encore en France. J’espère avoir réussi Platane, au même titre, j’espère qu’on aura la même clairvoyance pour faire le bon Late show qui nous ressemble, sans faire le truc à l’Américaine mais en disant « on est Eric et Ramzy, la scène nous manque », devant 300 personnes avec des invités, déconner avec eux. Je pense qu’on saura le faire sans singer d’autres gens comme Conan O’Brien ou Jimmy Fallon. En fait, ce sera « Eric et Ramzy interviewent des gens ».

Problemos, Eric Judor, 2017, 1h25. En VOD sur la plupart des plateformes, en DVD chez StudioCanal.

François Cau est sur Twitter.

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