Daniel Darc accoudé au bar du Berghain : vous en rêviez, Perez l’a fait

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Daniel Darc accoudé au bar du Berghain : vous en rêviez, Perez l’a fait

Après un premier album en major, Julien Perez revient en totale indépendance avec « Cavernes », nouveau disque bourré de risques, d'expérimentations et d'EBM.

De Pôle Emploi à un poste de programmateur de Smac, la musique noise mène à tout pourvu qu’on en réchappe. Pour le Bordelais Julien Perez, tout s’est joué au sein d’Adam Kesher, formation punk-funk tricolore, qui a déversé plusieurs hectolitres de sueur, le temps de deux albums et de quelques EP, entre 2007 et 2010. Après le split, le chanteur s'est débarrassé de son prénom et a tracé son chemin en solo et en français dans le texte, entouré de synthés, boite à rythmes et ordinateurs garantis d'arriver toujours à l'heure aux répétitions.

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En 2013, un premier maxi publié en indé précède l’album Saltos, sorti deux ans plus tard sur une major. Fini le survêtement, place aux chemises bariolées. Malgré le succès critique, les résultats déçoivent et Perez ne devient pas le Alain Chamfort version Kompakt qu’il incarne pourtant à la perfection.

De retour en indépendant sur son propre micro-label, son deuxième album Cavernes dévoile un Perez libéré, laissant les couleurs poppy à ses ex-voisins de palier de Paradis, pour mieux badigeonner la chanson française à la sauce Nitzer Ebb et Robert Wyatt, avec, à ses côtés, un vieil ami girondin désormais installé à Berlin, Théo Pozoga, producteur techno sous le nom de Strip Steve. Les douze titres évoquent une cuve de à fuel où barboteraient Suicide, Thierry Matioszek, Vince Taylor, DAF, Jean-Jacques Burnel, Mohini Geisweiller, Visible, Scratch Massive, Daniel Darc, Depeche Mode et Boys Noize -et on aime ça. Douze chansons au vocabulaire riche et imagé, magnétisées par ses rêveries, ses fantasmes et ses cauchemars, qui donnent naissance à certains textes français parmi les moins cons de l’année. Sacré compliment.

Noisey : Comment as-tu vécu l’échec commercial de Saltos, ton premier album solo ?Perez : J’avais commencé par un premier maxi sur le label Dirty avant cet album chez Barclay. J’ai l’impression qu’à chaque nouveau disque, tu as l’impression de t’être trouvé après t’être cherché sur le précédent. Depuis le début, ma volonté est de faire se rencontrer une certaine idée de la chanson française, un peu talk-over, à la Dashiell Hedayat, certains morceaux de Gainsbourg, Brigitte Fontaine pour les années 70, et puis Christophe, Bashung pour les années 80, tout ça croisé avec la musique électronique contemporaine, de la techno à la house en passant par l’acid et la synth-pop. Dès le départ, j’ai essayé plein de directions, en particulier sur Saltos. C’est un album dont je suis toujours content, qui correspond à quelque chose que je voulais romantique, encore vachement sous l’influence d’Etienne Daho. Après cette double expérience de premier album et de major, j’ai eu envie d’une plus grande liberté artistique, de me sortir de mes influences. Tous les concerts donnés, les projets de musique dans l’art contemporain, m’ont permis d’expérimenter et d’aller vers un truc un peu plus radical.

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Le choix tout-électro s’est imposé dès que tu t’es lancé en solo ?
Je n’ai jamais été guitariste. Je n’ai toujours utilisé que des synthés et des boites à rythmes, et bossé sur ordi. J’étais assez jeune quand j’ai démarré Adam Kesher et c’est entre 20 et 30 ans que tu as tendance à affirmer tes goûts. Je me suis de plus en plus détaché des influences rock pour aller vers les musiques électroniques. Quand il y a eu cette rupture et que j’ai eu l’occasion de repartir à zéro, je suis donc allé vers le tout-électronique.

C’en était aussi fini de l’idée de groupe ?
Oui car j’avais envie de pouvoir repartir rapidement, d’être efficace. Pour un groupe, il fallait retrouver des gens. Même dans la composition, ça demande d’accepter le consensus.

Adam Kesher avait travaillé avec pas mal de producteurs électro comme Dave One de Chromeo, Philippe Zdar, A-Trak… As-tu appris à leur contact ?
Je m’impliquais déjà dans la production et c’est vrai qu’ils m’ont permis d’apprendre pas mal de trucs. Quand j’ai commencé en solo, j’avais en tête d’aller vers l’indépendance en termes de production. Car aujourd’hui, il y un truc un peu foireux dans le rapport au studio. Comme il n’y a plus d’argent dans la musique, tu ne peux plus y passer trois mois. Quand un label daigne te donner de l’argent pour enregistrer, tu te retrouves pris dans une course contre la montre qui empêche d’expérimenter. Ça pousse à aller vers un son formaté. Alors qu’avec les home-studios, tu peux passer une semaine entière à refaire une voix jusqu’à choper le bon truc. Tous les disques que j’adore des années 70 et 80 sont aussi ceux où les musiciens avaient le temps d’expérimenter jusqu’à trouver des textures intéressantes. Et ça, je n’en ai pas été capable dès le départ. Le premier EP a été réalisé avec Pilooski, Saltos avec Pierrick Devin et Jean-Louis Piérot. Pour le nouveau, j’ai aussi bossé avec quelqu’un, Strip Steve, mais différemment, comme en ping-pong, un travail à deux musiciens. L'idée, c'était de faire le disque ensemble, de zoner en club, d’écouter plein de musique, de lier la production du disque à la vie, au final.

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Je voulais pousser l’axe club là où les disques précédents sonnaient plus électro-pop. On sent donc plus les influences acid, techno, house, voire même Electronic Body Music. On s’est échangés plein de morceaux-références pour se créer une constellation de sons et d’ambiances. Ça allait de Deux à DJ Funk en passant par Nightmares on Wax et Nitzer Ebb, avec des morceaux comme « State Trooper » de Bruce Springsteen pour l’ambiance crépusculaire et minimaliste. Il y avait aussi pas mal de rap hyper crado de Memphis. Sur chaque morceau, on a tenté de faire se rencontrer des motifs de différents genres, avec le défi que ça reste une chanson et que les paroles soient intelligibles.

L’écriture en français a aussi suivi naturellement ?
J’ai sauté sur l’occasion dès la fin d’Adam Kesher où j’ai fini par avoir des problèmes avec l’anglais. Je ne savais pas toujours si l’écriture était correcte ou non, si telle formule relevait de la licence poétique ou juste de la maladresse. Quand on jouait en Angleterre ou aux États-Unis, je me demandais comment le public percevait ça. Il y avait ce fantasme de chanter en anglais pour toucher l’international mais en fait, c'est des conneries car assumer une spécificité peut être aussi porteur, si ce n'est plus. Et puis c’est pas très malin de se pointer en Angleterre en chantant en anglais alors qu’ils ont 300 nouveaux groupes par semaine…

Vu que la langue française a été moins exploitée dans ces styles de musique, c’est intéressant de chercher des équivalences, de retrouver les quelques sonorités en français qui correspondent au « yaourt » avec lesquels je démarre un morceau. Et ça devient une contrainte excitante, au final, de devoir faire autour de ce mot.

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Tu évoquais Nitzer Ebb là où ton premier album flirtait musicalement avec la pop et la variété 80’s.
Oui, ça doit être un relent de mes années hardcore et metal. Je suis plus sensible aux harmonies en mineur, lorsqu’il y a de légères dissonances, ce que je n’arrivais pas à retranscrire avant dans un format chanson.

Ça t’amène à faire un truc assez unique en France.
Je me suis vraiment dit qu’en montant mon label et en n’ayant pas à me battre sur le nombre de singles potentiels et tout le reste, je pourrai faire selon mon intuition.

Sur le morceau « Apocalypse », tu chantais « le dernier jour de l’été », là tu as le titre « Le dernier Tube de l’Été ». C'est quoi ce délire avec l’été ?
J’aime le soleil, la torpeur, le contraste entre la légèreté des vacances et ce soleil écrasant, les autoroutes encombrées… Ce paroxysme d’une existence pénible. L’été, pour moi, c’est plus Sous le soleil de Satan que Les Bronzés.

Les musiques électroniques, t’es donc tombé dedans très jeune ?
J’allais beaucoup en club du temps d’Adam Kesher. C’était l’époque des débuts de Jennifer Cardini, The Hacker… On était très influencés par le label DFA, et puis Syclops, In Flagranti… Ça a vraiment pris le pas sur tout le plaisir que je pouvais trouver dans l’indie-rock. Les seuls trucs à guitare que j’écoute encore, c’est la folk 70’s pour le storytelling qui me touche beaucoup. Les grosses guitares électriques m’indiffèrent un peu, maintenant.

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Comment s’était fini Adam Kesher ?
Par un split à l’amiable. On est restés hyper potes. Pierrick produit, Mathieu, qui était aux synthés, a un projet nommé Zooey. Les autres ne font plus de musique. Et ne s’en portent pas plus mal !

Quel regard portes-tu sur ces années-là ?
C’est stressant de porter un projet musical, sortir des disques… Il y a eu des trucs super cool mais il reste le problème du deuxième album qui marche moins bien que le premier. Tu subis les effets de mode. Au premier disque, tu es invité partout, tout le monde ne jure que par toi. Puis au suivant, les gens sont passés à autre chose. C’est pour ça que je cherche à développer un projet plus « racé » dans le sens où je n’ai pas envie d’être pris dans ces effets de mode.

Tu as suivi la carrière de Justin Theroux, l’acteur qui jouait le personnage d’Adam Kesher ?
Oui, je suis un gros fan de The Leftovers. Avec la saison 3 de Twin Peaks, ce sont les deux séries qui m’ont le plus frappé. C’est un drôle de mec, cet acteur. Il a un côté un peu beauf américain et en même temps, il fait des choix de carrière hyper gonflés.

Un peu comme toi, finalement. Tu ne regrettes juste pas l’époque où tu pouvais échanger au sein d’un groupe ?
Je trouve ça cool de créer des collaborations, même ponctuelles, comme là avec Strip Steve. Ou avec Maciek Pozoga, l’artiste qui a chapeauté l’artwork de l’album. C’est compliqué de tout faire tout seul et c’est important d’avoir un retour critique, quelqu’un avec qui dialoguer aussi. Alors que le groupe entre potes, c’est un truc de jeunes. Ce truc à la vie à la mort, où on partage tout… Avec Adam Kesher, on était colocataires, on passait notre vie ensemble et quand tu grandis, c’est un peu plus compliqué. J’aime bien être à mon rythme et décider de l’esthétique, avec personne avec qui me fâcher. Si ça ne va pas comme je veux, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même.

Cavernes (Étoile Distante / Differ-Ant), disponible à partir du 2 février. En concert le 8 mars à Paris, au Badaboum.

Pascal Bertin est sur Twitter.