Le Guide Noisey des rappeurs qui se prennent pour Dieu

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Le Guide Noisey des rappeurs qui se prennent pour Dieu

De 2pac à Kanye West en passant par Nas, DMX et Booba, ils ont tous, à un moment ou un autre, voulu toucher au divin.

Dans l'idéal, ce guide aurait dû être écrit au moment de la sortie de You Only Live 2wice de Freddie Gibbs et d'Agartha de Vald. Deux exemples parfaits de ce que l'on va aborder ici, même si ce n'est pas très grave vu que le sujet est intemporel : Vald et Freddie Gibbs ne seront pas les derniers rappeurs à se prendre pour Dieu, ou du moins à y faire allusion. Et ils ne sont clairement pas les premiers - loin de là.

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L'un des exemples les plus fameux, vous l'avez forcément, c'est The Don Killuminati (The 7 Day Theory), le dernier album studio de 2Pac, dont la pochette ne laisse que peu de doutes sur les intentions du rappeur, alors renommé Makaveli : on y voit 2Pac, le bandana remplacé par une couronne d'épines, crucifié sur la croix tel un martyr de la Thug Life. Une façon pour lui de rappeler que Jésus n'était pas forcément blanc ? Sans doute. Un moyen de faire corps avec le titre de l'album, qui peut éventuellement faire référence au nombre de sacrements qui établissent les rapports entre le Christ et l'Eglise ou encore au nombre de paroles prononcées par le Christ sur la Croix ? Difficile à dire. Ce qui est sûr, c'est que cette pochette illustre à quel point le cinquième album solo de 2Pac est truffé de références bibliques. À ce stade, ce n'est plus un disque, c'est un confessionnal. De sa voix inquiète et colérique, 2Pac y rappe comme s'il avait peur que Dieu l'entende et comprenne ce qu'il a été obligé de faire au nom de la cause Noire. Régulièrement, de « Bomb First (My Second Reply) » à « Against All Odds », on entend sa conscience chuchoter, on le voit se perdre dans des délires paranoïaques plus morbides que ceux de Tony Montana, et, surtout, on le perçoit entrer dans une transe spirituelle évidente, quelque chose qui lui faisait alors dire en interview que sa seule crainte vis-à-vis de la mort était d'être réincarné.

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On pourrait parler pendant des heures de ce disque et s'embourber dans des théories plus ou moins pertinentes - ce que ne manquent pas de faire divers complotistes du web pour qui The Don Killuminati (The 7 Day Theory) est la preuve ultime que 2Pac est toujours vivant ou qu'il a été tué par les illuminatis - mais on préfèrera se focaliser sur un exemple plus récent, mais non moins célèbre : « I Am A God ». Neuf ans après « Jesus Walks » et son fameux « Je marche dans la vallée où se trouve l'ombre de la mort », Kanye West revient avec de nouveaux arguments et prétend d'emblée être entré en communion avec Dieu : « Je viens de parler à Jésus / Il m'a dit "Quoi de neuf Yeezus?" / J'ai dit "Je me détends / En essayant d'entasser ces millions" / Je sais qu'Il est le plus grand / Mais je suis son disciple / Ma maison est la sienne / C'est à nous / Je suis un dieu / Je suis un dieu / Je suis un dieu. » On ne le connaît pas personnellement, mais on est prêts à parier que sa statue dorée en Jésus posée un temps sur Hollywood Boulevard l'a conforté dans cette idée.

Entre 2Pac et Kanye West, les exemples ne manquent pas. Brièvement, on peut penser à Ol' Dirty Bastard qui s'est un temps fait surnommer « Big Baby Jesus » ou à DMX, dont le « Lord Give Me Sa Sign » commence par un verset du livre d'Isaïe avant que l'ex-Ruff Ryders ne demande à Dieu de lui montrer ce qu'il doit faire pour se rapprocher lui - à l'écoute de ce morceau, les plus finaux ne manqueront pas de penser à l'une des dernières scènes de Belly où DMX, en bon gangster prêt à se repentir, fond dans les bras du pasteur après avoir écouté son serment : « La vérité, c'est que nous avons un rôle très important dans notre propre destruction. Notre soif d'argent, notre style de vie, les choses si profondément appréciées par les gens sont les appâts qui les détournent de la lumière. »

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Toujours sur le même thème, on peut également penser à Nas. Non pas pour la métaphore du Christ présente dans le clip de « Hate Me Now » comme vous le lirez un peu partout, mais pour la pochette de Street's Disciple qui parodie La Cène avec Nas assis au centre (forcément), entouré de ses apôtres gangstas (dont le mec tout à gauche, qui semble oublier qu'il occupe la place de Marie-Madeleine, une prostituée). On peut en rire ou s'en s'offusquer – ça dépend, au fond, de votre relation à Dieu ou de votre degré de sensibilité -, mais on peut également s'interroger : et si cette pochette n'était pas une parodie, mais une façon pour Nas de dire qu'il ne compte sur personne ? Et si, un peu à la manière du personnage de Joe Dante dans La Roue de Los Angeles, le MC de Queensbridge ne croit pas en Dieu, ni en personne, mais uniquement en lui-même ? Ça paraît tiré par les cheveux, et pourtant ça se vérifie : depuis God's Son en 2002, Nas semble obsédé par son propre héritage, se pose en martyre (l'éternel seul contre tous, symbolisé ici par « The Cross » et son : « If Virgin Mary had an abortion I'd still be carried in the chariot by stampeding horses »), porte les stigmates d'une vie faite de chaos et envisage de tout détruire pour mieux reconstruire – un des morceaux du « fils de Dieu » se nomme d'ailleurs « Destroy & Rebuild ». Ce qui ne manque pas de faire écho à ces mots, toujours très bons, de Chester Himes : « Si le Christ voyait les chrétiens qu'on trouve ici, il n'aurait plus qu'à remonter sur la croix et à tout recommencer. »

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Tout le monde semble en tout cas avoir une bonne raison de parodier le dernier repas du Christ. Ça va de Consequence, avec la mixtape The Last Supper à Stormzy, dont la Cène ressemble plus aux préparatifs d'un braquage à venir qu'à un festin, mais ça va aussi jusqu'à Cormega qui, en mai 2014, publiait le single « Industry » en reprenant le tableau de Léonard de Vinci sur sa pochette. Sauf que là, chose rare, le MC du Queens avait la modestie de ne pas se mettre en avant, préférant rendre hommage à plusieurs illustres rappeurs décédés, dont 2Pac placé au centre. Un choix judicieux ? On vous laisse débattre. Ce qui est sûr, c'est que ça reflète bien cette volonté propre au hip-hop de produire et de trouver de nouveaux messies, de bousculer en permanence l'orthodoxie américaine en prétendant que 1/ Jésus n'a pas nécessairement la peau blanche, les cheveux châtains ou les yeux marrons, et que 2/ il n'est pas obligatoirement humble, pacifiste ou chaste, qu'il peut régner lui aussi au sein d'un univers perdu entre luxe et luxure, grandeur et décadence, criminalité et entertainment - un univers où tout est permis et où chaque geste compte, comme le rappelait Rick Ross avec son God Gorgives, I Don't.

Ce qui ne veut pas dire que les MC's manquent de respect au Christ – en bas de la pochette de The Don Killuminati (The 7 Day Theory), il est d'ailleurs précisé qu'en aucun cas ce portrait est offensant envers Jésus Christ, tandis qu'un rappeur comme Ja Rule est allé jusqu'à se faire tatouer « Job 1:21 », en référence au verset lu dans la Bible lors de son passage en prison en 2011 : « Je suis sorti nu du sein de ma mère et nu je retournerai dans le sein de la terre. Le Seigneur a donné et le Seigneur a ôté, que le nom du Seigneur soit béni. » Bon, il y a aussi des contre-exemples, comme cette punchline balancé en 2002 par Demigodz ( « I walk on water with my own two feet nigga, FUCK JESUS! »), mais vous avez compris l'idée.

Alors, pourquoi toutes ces postures empruntées à la mythologies christiques ? Très simple : pour l'emphase que l'image renvoie. Après tout, se définir comme un « Black Jesus » à la The Game ou prétendre que son « rap a été crucifié à en devenir Christ » comme Booba, c'est encore le meilleur moyen d'insuffler un peu d'extravagance, d'introspections et de préceptes à consonance chrétienne à une imagerie toujours plus démesurée – voir, pour cela, les covers de Gucci Mane ou Lil Wayne. C'est aussi une bonne façon de signifier que, peu importe les critiques, on est toujours là, revenu d'entre les morts, prêt à défourailler la concurrence et mettre le feu aux bibliothèques iTunes avant de remonter au ciel – c'est en partie ce que tente de nous faire comprendre le clip « Christ Conscious » de Joey Bada$$. C'est enfin un moyen de mettre en avant ses propres contradictions, de montrer que l'on peut avoir la foi tout en menant une vie de gangster, de prouver à toute une génération d'auditeurs, souvent à la recherche de réponses chez leurs idoles, qu'il est possible de trouver de l'apaisement et la lumière où on ne les attend pas, que le hip-hop peut être un instrument de connaissance.

Concrètement, les MC's débitent la même chose que d'habitude, sauf que les morceaux, pas différents, ni plus malins, se parent désormais de spiritualité et de beaux mots piqués dans la Bible. Ou alors, ce sont les clips qui se dorent de postures esthétiquement parlantes. À l'image de Kendrick Lamar qui, dans « Humble », ose la métaphore de la Cène au moment d'encourager les rappeurs à se concentrer davantage sur les problèmes que la communauté noire doit surmonter au quotidien (ségrégation, pauvreté, crimes, incarcérations de masse, etc.). Il aurait certes pu le faire au milieu des ghettos, comme beaucoup de ses comparses, mais il faut bien avouer que cette mise en scène lui permet d'accentuer davantage son importance au sein du paysage hip-hop, d'affirmer un évident charisme et de jouer le jeu de cette société où tout n'est que spectacle. Jésus y compris.