FYI.

This story is over 5 years old.

affaires autochtones

Qui est Indien?

Depuis plus d’un siècle, le gouvernement du Canada décide qui est Indien et qui ne l’est pas, en fonction des parents. Le Sénat tente d’apporter des changements et le gouvernement Trudeau n’est pas content.

Ottawa projette de rejeter une modification à la Loi sur les Indiens proposée par le Sénat, qui aurait pour effet d'accorder à jusqu'à deux millions d'autochtones le statut d'Indien.

Il y a deux ans, un tribunal du Québec avait ordonné au gouvernement d'apporter des changements à cette loi après avoir conclu qu'elle était discriminatoire envers les femmes.

Cette loi, qui date de 1876, a toujours permis aux hommes avec le statut d'Indien qui ont épousé une femme qui ne l'avait pas de le transmettre aux générations suivantes. Or, jusqu'en 1985, pas aux femmes qui ont épousé un homme qui n'a pas le statut. Cette discrimination a privé du statut d'Indien des milliers, sinon des millions, de membres des Premières Nations.

Publicité

Pour essayer de la corriger — et pour se conformer à la décision du tribunal — le gouvernement Trudeau a présenté le projet de loi S-3 au Sénat. La ministre des Affaires autochtones, Carolyn Bennett, a affirmé au comité sénatorial qui l'étudie que quelque 35 000 membres des Premières Nations qui n'ont pas le statut d'Indien pourraient dorénavant l'obtenir.

Les changements proposés toucheraient principalement les enfants et les petits-enfants de femmes qui ont perdu leur statut en épousant un non-autochtone et ceux nés de parents non mariés, avant les modifications survenues en 1985.

Mais le comité sénatorial veut aller plus loin. Il propose un amendement visant à éliminer la discrimination envers les descendants de femmes qui ont marié une personne sans le statut d'Indien non pas depuis 1951, mais depuis les années 1800. Le Sénat doit approuver cet amendement.

Un autre amendement au projet de loi, proposé par le sénateur Murray Sinclair, obligerait le gouvernement à accorder le statut d'Indien à tous ceux qui le demandent en se basant sur les documents que présentent les demandeurs « sans exiger qu'ils établissent l'identité de leurs parents, grands-parents ou autres ancêtres ».

La Loi sur les Indiens donne de l'autonomie aux Premières Nations, par exemple le pouvoir décisionnel en matière de territoire, d'exploitation de leurs ressources et d'éducation – cependant, l'étendue réelle de ce pouvoir reste matière à débat et source de conflits avec le gouvernement fédéral. Beaucoup d'autochtones croient qu'elle devrait être entièrement annulée et remplacée par un texte moderne qui garantit leur autonomie.

Publicité

Carolyn Bennett a répondu au comité que sa proposition « toucherait des centaines de milliers, voire des millions de personnes et affecterait radicalement la composition de communautés ». Dans ses estimations, transmises au Globe and Mail, le gouvernement indique que le nombre d'autochtones à qui serait accordé le statut d'Indien se situerait entre 80 000 et 2 millions.

Tout en notant les « nombreuses iniquités potentielles que ne corrige pas ce projet de loi », elle ajoute qu'appliquer les changements proposés « sans des consultations adéquates et sans connaître au préalable les conséquences concrètes serait irresponsable et que le gouvernement ne sera pas en mesure d'accepter de tels amendements ».

Avec le délai qui tire à sa fin, un bras de fer entre les deux chambres du Parlement se profile.

La Cour supérieure du Québec a accordé une prolongation au gouvernement : il a jusqu'au 3 juillet prochain pour se conformer à la décision. À défaut de quoi, une partie importante de la Loi sur les Indiens ne sera plus applicable, privant ainsi le gouvernement du pouvoir d'accorder le statut à un grand nombre de membres des Premières Nations.

Toutefois, pour que le gouvernement respecte l'échéance, la Chambre des communes et le Sénat — qui a tiré profit de son indépendance dans les derniers mois — devront s'entendre.

Les changements ne sont pas mineurs. Comme l'a fait remarquer en novembre Perry Bellegarde, chef national de l'Assemblée des Premières Nations, c'est l'existence du concept de l'identité des Premières Nations qui est en jeu.

Publicité

« Si nous conservons la Loi sur les Indiens, il n'y aura plus de statut d'Indien au Canada dans 50 ans », prédit-il, la qualifiant au passage de « loi complètement raciste et discriminatoire ».

Denise Stonefish, présidente du Conseil des femmes de l'Assemblée des Premières Nations, affirme pour sa part que le projet de loi du gouvernement ne ferait qu'exacerber le problème.

« L'approche derrière ce projet de loi est de maintenir le contrôle arbitraire du gouvernement sur l'identité des membres des Premières Nations et de pousser la discrimination entre hommes et femmes une génération plus loin », a-t-elle déclaré aux sénateurs.

Au cours des audiences du comité sénatorial, le sénateur Murray Sinclair a noté que le Parti libéral lui-même avait proposé un amendement qui permettrait à tous ceux qui ont été victimes de discrimination d'obtenir le statut alors qu'il était dans l'opposition.

« Il semble que maintenant que vous formez le gouvernement, vous laissez tomber cette position », a-t-il lancé aux libéraux.

« Nous pouvions faire des propositions, mais nous ne comprenions pas toutes les implications et nous n'avions pas toutes les ressources pour aller de l'avant et effectuer toutes les consultations requises, a répondu la ministre Bennett. Je ne dirais donc pas que nous avons changé d'idée, mais qu'en tant que gouvernement, nous devons effectuer toutes les vérifications et les consultations au préalable. »

Le gouvernement s'engage à étudier de nouveaux changements à la Loi sur les Indiens, en ce qui a notamment trait à des enjeux comme l'inscription au registre, l'appartenance à la bande et la citoyenneté.

Bien que la liste ne soit pas finalisée, il est probable qu'elle comprenne aussi d'autres enjeux, comme l'adoption ainsi que la paternité non déclarée ou les naissances de père inconnu.