Maikel Slomp
Capture d'écran de notre interview Zoom avec Maikel Slomp.
Tech

À la rencontre du « Pablo Escobar de Silk Road »

Maikel Slomp nous parle de sa survie en prison et de ses milliards perdus.
Tim Fraanje
Amsterdam, NL
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Pendant une brève période entre 2012 et 2013, l'informaticien néerlandais Cornelis Jan « Maikel » Slomp a été un homme très riche. À tout juste 22 ans, il a empoché des millions en bitcoins en vendant de la MDMA et d'autres drogues sur Silk Road, le site pionnier du dark web aujourd'hui disparu. Son compte SuperTrips a connu un tel succès qu'il lui a valu le surnom de « Pablo Escobar de Silk Road ». Mais après seulement quinze mois d’activité, il a été arrêté dans le cadre d'une opération d'infiltration du FBI et condamné à dix ans de prison aux États-Unis. Silk Road a été démantelé la même année. 

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Slomp a récemment bénéficié d’une libération anticipée pour des motifs humanitaires. Il avait été admis à l'unité de soins intensifs après avoir contracté le Covid-19, mais il s'est depuis complètement rétabli. De retour dans sa maison familiale de Woerden, aux Pays-Bas, il a accepté de nous raconter sa version des faits. 

La vie de Slomp est digne d'un scénario de film, il n'est donc pas surprenant qu'il soit en train de vendre son histoire à différents studios de cinéma. « Je suis célèbre, et si je peux en tirer de l'argent, ça me va », dit-il. Ce ne serait pas la première fois qu'il est représenté à l'écran : en 2017, il a été le héros malgré lui du téléfilm néerlandais Silk Road, diffusé par la chaîne publique NPO. Ses avocats ont poursuivi la chaîne pour l'avoir dépeint sous un mauvais jour.

Ironiquement, c'est NPO qui a inspiré à Slomp son incursion dans le trafic. « J'ai appris l'existence de Silk Road dans un épisode de Spuiten en Slikken (« se piquer et avaler » en français) », dit-il, en référence à un talk-show populaire et controversé sur le sexe et la drogue, diffusé sur la chaîne de 2005 à 2018. L'épisode expliquait comment trouver le site de Silk Road et payer en bitcoins.

« Je voulais acheter de la MDMA, mais je ne trouvais personne qui en vendait, alors j'ai commencé à en fabriquer moi-même, explique Slomp. Je n'ai jamais aimé l'alcool ou le tabac, mais j’ai toujours été convaincu que tout le monde devrait essayer l'ecstasy. À partir de ce moment-là, tout s'est enchaîné. » 

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Les Pays-Bas sont l'un des plus grands producteurs de MDMA au monde. Slomp pouvait donc acheter la drogue à Amsterdam à un prix relativement bas et la revendre en ligne en profitant des prix plus élevés pratiqués dans d'autres pays. « J’achetais des boîtiers DVD et j'y mettais la drogue sous vide », dit-il. Il envoyait ensuite les boîtiers par la poste dans des enveloppes.

À l'époque, Slomp était programmeur et le trafic n'était qu'une activité secondaire. Mais après avoir gagné 15 000 euros au cours de son premier mois, il a immédiatement quitté son emploi. Disposant de plus de temps libre, il a développé son activité, affirmant à tous ceux qui l’interrogeaient sur son succès soudain qu'il avait une société de logiciels qui marchait très bien. Il dit qu'à l'époque, il ne dépensait pas beaucoup d'argent, mais admet quand même avoir acheté « quelques voitures », dont une Bentley, deux Audi et une Mercedes Benz. Des voitures qui ont attiré l'attention des voisins

En 2013, Slomp avait acquis 380 000 bitcoins, d'une valeur de 3 millions d'euros à l'époque. Selon les documents judiciaires, il aurait vendu environ 104 kilogrammes de MDMA, 566 000 pilules d'ecstasy, 4 kilogrammes de cocaïne et des « quantités substantielles » d'amphétamines, de LSD, de weed, de kétamine et de Xanax.

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Slomp connaissait trop de succès. « C'est là que j'ai arrêté, c'était devenu trop stressant, se souvient-il. Je bossais seize heures par jour, alors même que j'avais embauché quelques personnes. » Mais il était déjà trop tard : des agents du FBI étaient à ses trousses depuis qu’ils avaient trouvé ses empreintes digitales sur des boîtiers DVD. Slomp explique que quelqu'un lui a proposé d'acheter le nom de son compte et de reprendre son activité sur le site, mais c'était un coup monté. Il s'est rendu aux États-Unis pour finaliser la transaction et a quitté l'aéroport dans une voiture de police au lieu de la Lamborghini qu'il avait réservée.

Slomp avait déjà été interrogé par la police néerlandaise, mais n'avait jamais été accusé de quoi que ce soit. « Cela m’a donné l'impression d'être intouchable », admet-il. Une fois, il a été arrêté lors d'une fête, mais comme il n'avait qu'une petite quantité de drogue sur lui, il n'a passé que le week-end en prison. « Ils auraient pu fouiller ma maison, mais ils ne l'ont pas fait, dit-il. À ce moment-là, je me suis dit que les flics néerlandais n'étaient qu'une bande d'amateurs. Je gagnais déjà beaucoup d'argent à l’époque. »

Malgré ces démêlés avec la justice, Slomp ne s'attendait pas à être arrêté. Dans le pire des cas, il pensait avoir seulement à faire face au système néerlandais, où il aurait, selon lui, risqué un ou deux ans d'incarcération. « Mais bon sang, ils sont fous aux États-Unis ! » Il a été condamné à 40 ans de prison, mais a obtenu une réduction de peine après avoir remis ses bitcoins aux autorités. On lui rappelle souvent qu'ils auraient valu des milliards aujourd'hui, mais il a toujours pensé que sa liberté était plus importante. « À quoi bon avoir quelques centaines de millions d'euros si vous êtes en prison ? » demande-t-il. 

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Ross Ulbricht, le citoyen américain qui a fondé Silk Road, ne s'en est pas tiré à aussi bon compte : il a été condamné à deux peines de prison à vie, plus 40 ans. « Même El Chapo n’a pas eu autant », fait remarquer Slomp. Il a été surpris de se voir traiter comme un héros par les détenus américains. « Ils voulaient tous savoir combien d'argent j’avais gagné, dit-il. Les types qui sont en prison là-bas, ils n'ont même jamais entendu parler d'un million. Ils sont tombés pour quelques grammes. » Il dit que même les flics et le procureur général n'ont cessé de répéter que ce qu'il avait fait était incroyable. « Pas une seule fois quelqu'un n'a dit que j'avais fait quelque chose de mal », affirme-t-il. 

Malgré son statut privilégié, son séjour en prison n'a pas été de tout repos. Il dit avoir été continuellement transféré d'un bout à l'autre du pays sans qu’on lui donne la moindre information. Pour lutter contre la surpopulation carcérale, les détenus américains sont souvent envoyés sans préavis dans des prisons publiques ou privées d'autres États, où ils doivent s'adapter à un nouveau système et à un nouvel environnement. Slomp dit aussi qu'il a été placé en isolement pendant quatre mois pour avoir introduit clandestinement des lentilles de contact en prison afin de pouvoir voir correctement. 

Et pourtant, même après tout ce temps passé derrière les barreaux, Slomp ne considère pas que ce qu'il a fait était mal. « Les gens consommeront de la drogue quoi qu'il arrive. Mais sur Silk Road, au moins, ils savaient que les produits étaient de bonne qualité car je les faisais toujours tester », explique-t-il. Comme tout autre marché en ligne, Silk Road permettait aux clients d'évaluer les comptes des vendeurs. 

Maintenant qu'il est sorti, Slomp n'a pas l'intention de reprendre le commerce de la drogue. « Tout le monde sait qui je suis, je serais bien trop visible », dit-il. Au lieu de cela, il se construit maintenant une carrière de consultant en milieu carcéral pour aider les détenus américains à s'y retrouver dans le système chaotique. « Je ne pourrais pas retourner dans un bureau et recommencer à programmer, poursuit-il. Mes employeurs me chercheraient sur Google, et tout ce qu'ils verraient, ce sont les affaires criminelles. »

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