Crime

Pourquoi Internet a pris fait et cause pour Johnny Depp

La majorité des commentaires visibles sous les streams du procès compare Amber Heard à « une mytho » et « une putain de succube manipulatrice ».
Johnny Depp procès
Johnny Depp témoigne devant le tribunal de Fairfax, Virginie, le 19 avril 2022. Photo by JIM WATSON / POOL / AFP via Getty Images

Dans la salle d'audience du tribunal de Fairfax, Virginie, ce jeudi 22 avril, l’avocat qui menait le contre-interrogatoire de Johnny Depp a lu un texto envoyé par l'acteur à propos de son ex-femme, Amber Heard : « J’espère que le corps pourri de cette salope est en train de se décomposer dans le putain de coffre d’une Honda Civic ».

Au même moment, sous le live du procès diffusé sur YouTube, les commentaires abondent, la plupart favorable à Depp ou ouvertement anti-Amber Heard. On peut y lire les internautes se bidonner sur la teneur du message à grands coups de « LOL une Honda Civic » ou de slogans « Justice pour Johnny » et « Free Johnny ».

Publicité

Si les deux acteurs sont actuellement au tribunal, c’est parce que Depp accuse Heard de l’avoir diffamé dans un article publié par le Washington Post en 2018. L’actrice y revient sur ses expériences de violence domestique et, même si elle ne nomme jamais Depp, l’équipe juridique de ce dernier soutient qu’il est l’éléphant dans la pièce. Depp réclame 50 millions de dollars pour le préjudice fait à sa carrière. Heard a depuis déposé une demande reconventionnelle, exigeant 100 millions de dollars de dommages et intérêts, que le jury examinera également. 

Le verdict ne devrait pas être annoncé avant plusieurs semaines mais de nombreux spectateurs du procès ont déjà l’intime conviction que Depp est une victime. « J’ai envie de le prendre dans mes bras et de lui dire que tout ira bien », peut-on lire sous une publication TikTok. Et pour Farrah Khan, qui défend la justice de genre, cela pourrait potentiellement effrayer les victimes d’abus qui refuseraient de s’exprimer par crainte de réactions similaires à celles qu’Heard subit actuellement, confie-t-elle à VICE.

« On constate que les gens sont une nouvelle fois plus prompts à dire qu'elle est une menteuse et qu'il est une victime qu'ils ne le sont à croire les femmes » - Farrah Khan

Dans les commentaires publiés sur les streams en direct du procès, Heard est comparée à un « monstre » et une « Karen ». Certains spectateurs, une majorité d’anonymes, l'accusent d'être une « manipulatrice, une calculatrice et très probablement un escroc », ainsi que de « faire semblant de pleurer » dans la salle d'audience ou d'avoir l'air « arrogante ». D'autres se moquent de ses cheveux et de ses vêtements, la qualifiant de « bipolaire ».

Publicité

Ces messages ne sont pas seulement visibles sur YouTube ou sur les lives ; ils sont également sur Twitter, Instagram et TikTok, où les mèmes et les hashtags désignent l’actrice comme une « menteuse » ou une « gold digger » vénale rebaptisée « Amber Turd ». « Il aurait pu te tuer et il en avait parfaitement le droit », peut-on lire sur un TikTok devenu viral.

Dans un e-mail envoyé à VICE avec pour objet « Amber Turd », un lecteur mécontent traite Heard de « salope folle » et déclare : « Parce qu'elle a un vagin et que Depp a une bite, la femme doit avoir raison. CrOyEz ToUtEs LeS fEmMeS ! »

« On constate que les gens sont une nouvelle fois plus prompts à dire qu'elle est une menteuse et qu'il est une victime qu'ils ne le sont à croire les femmes », soupire Khan. « Ils savourent sa chute. »

Même la marque de maquillage Milani est intervenue après que l'avocat de Heard a déclaré que l'actrice avait utilisé un de leur correcteur pour dissimuler des ecchymoses prétendument causées par Depp. Dans un TikTok visionné 4,7 millions de fois, Milani a assuré que le produit en question avait été lancé en 2017, un an après le divorce de Depp et Heard.

« Je n'ai jamais vu [une entreprise de cosmétiques] parler de violence domestique et en parler de cette manière », assure Khan. « La seule fois où ils le font, c'est pour se ranger derrière un homme très puissant, plus âgé et à la carrière déjà bien établie. »

Publicité

Heard avait la vingtaine lorsqu'elle a rencontré Depp, 58 ans, icône hollywoodienne prospère mais ce déséquilibre inhérent à leur relation n'a pas trouvé beaucoup d’écho. Les fans de l’acteur continuent de l’ériger comme la preuve que les hommes aussi peuvent être victimes d'abus. Ce que les experts, préoccupés par les réactions haineuses ciblant Heard et publiées sur les réseaux sociaux, ne nient absolument pas.

« Il y a tellement d'intérêts personnels en jeu, de gens qui ont un avis et se sentent affectés par la situation, du côté de Depp, que la campagne en ligne a semblé unilatérale. » - Mark Stephens

« Il ne s'agit pas de dire que les hommes ne peuvent pas être blessés – il y a d’ailleurs des choses attribuées à [Heard] qui sortent dans ce procès et qui ne sont pas OK dans une relation », soutient Khan. « Pour moi, ce qui est intéressant dans cette conversation, c’est qu’il y ait un effacement complet d'une des parties et un empilement de l’autre... Pourquoi faut-il qu’il y ait un camp pro-Johnny Depp et un autre pro-Amber Heard ? »

Depp a déjà perdu un premier procès dans le litige qui l’oppose à Heard. L’acteur avait en 2020 poursuivi News Group Newspapers, basé au Royaume-Uni, et le rédacteur en chef du Sun, Dan Wootton, pour diffamation, le tabloïd l’accusant d’être un « batteur de femme ». Un tribunal britannique avait alors statué que les affirmations du journal étaient « essentiellement vraies ». À l’époque, Depp et Heard s'accusaient déjà mutuellement de se livrer à des campagnes calomnieuses sophistiquées en ligne, l’actrice suggérant que son ex s'appuyait sur des bots et des faux comptes pour mener sa cabale sur les réseaux sociaux.

Publicité

En 2020, l'avocat Mark Stephens qui s'était entretenu avec le Guardian sur le sujet, racontait avoir reçu un déluge de « messages de colère » après avoir simplement évoqué la « nature sordide de l'affaire ».

« J'ai observé des cas très médiatisés mais je n'avais jamais eu de retour comme celui-ci », a confié Stephens au Guardian. « Il y a tellement d'intérêts personnels en jeu, de gens qui ont un avis et se sentent affectés par la situation, du côté de Depp, que la campagne en ligne a semblé unilatérale. »

Cela ressemble en tout cas au fameux double standard ; Depp obtient un laissez-passer alors que son passif de textos menaçants refait surface au tribunal – « Je vais baiser son cadavre brûlé pour m'assurer qu'elle est bien morte », a-t-il par exemple envoyé.

« On s'attend à ce que les victimes documentent les coups de façon crédible, que l’on ne puisse pas penser qu’elles tentent d’induire qui que ce soit en erreur. » - Farrah Khan

« S’il se sent assez à l’aise pour dire ce genre de trucs par SMS – qu’est-ce que ça doit être en tête à tête », s’interroge Khan. Les échanges passés entre Depp, Heard, sa famille et ses amis révèlent également le quotidien d’un homme aux prises avec ses addictions, qui a reconnu que la toxicomanie avait eu un impact sur ses relations et a manifesté parfois des remords.

Publicité

« J’ai lu beaucoup de ‘C'est un artiste, il est excentrique, il a un problème d'alcool et de drogue’ », ajoute Khan. « Nous faisons de la place pour les personnes qui ont des traumatismes et celles qui utilisent des substances pour faire face à la vie ou tenter de s’en sortir. Mais Heard n’a pas cette chance, elle est une ‘pute’, elle est la pire de toutes ces choses. Voilà pourquoi tant de gens ne signalent pas les maltraitances. » 

Selon Khan, la société exige encore trop souvent que les survivants de violence domestique incarnent la « victime parfaite », un moule auquel Heard ne correspond pas.

« Nous avons cette idée bien ancrée que les victimes ne riposteront jamais », déclare Khan. « Qu’elles prendront des coups et ne diront rien en retour. Et on s'attend à ce qu’elles documentent ces coups de façon crédible, que l’on ne puisse pas penser qu’elles tentent d’induire qui que ce soit en erreur. On attend d’elles qu’elles encaissent les coups, ne ripostent pas mais se protègent suffisamment pouvoir le signaler. »

« La ‘victime idéale’ a également tendance à être une femme blanche, cis, hétérosexuelle qui n'a été qu'avec son mari », précise Khan. « Une épouse dévouée. » Selon Khan, la bisexualité de Heard a été utilisée contre elle à plusieurs reprises. La star d'Aquaman a été accusée d'infidélité et de promiscuité tout au long de son mariage avec Depp.

Le problème avec une grande partie du récit diffusé en ligne, conclut Khan, est qu'il ne parvient pas à saisir les nuances et pourrait entraîner une baisse du nombre de signalements à l'avenir. La violence domestique peut également avoir de graves conséquences : rien qu'aux États-Unis, plus de la moitié des homicides ciblant des femmes entre 2003 et 2014 ont été commis par des partenaires amoureux, souvent inspirés par la jalousie, alors que seulement 5 à 7 % des hommes tués l'ont été par leur partenaire.

Le procès se poursuit cette semaine.

VICE France est sur TikTok, Twitter, Insta, Facebook et Flipboard
VICE Belgique est sur Instagram et Facebook.