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Dylan Union Bhoys
Société

Ça rime à quoi d’être interdit de stade pour avoir craqué un fumigène ?

On a parlé foot et supportérisme avec Dylan, co-président des Union Bhoys et interdit de stade en 2019 pour avoir craqué un fumigène.
Matéo Vigné
Brussels, BE

Ceux qui me connaissent savent que je suis animé par la passion. L’une d'elles c’est le ballon rond, le sport roi, le football. Ces dernières années, lassé des émoluments foot-business et du marketing du « tous clients », je me suis concentré sur quelque chose qui remettait la passion au cœur : le supportérisme. C’est un monde qui fascine, ​​le côté chauvin, passion coûte que coûte, tu défends les couleurs de ta ville, de ton club, de ton quartier. 

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Un jour, en scrollant dans mes mails, je suis tombé sur un podcast qui parlait justement de ça. Un pote de potes, Noé Béal, supporter stéphanois et créateur de contenus radio, avait suivi l’histoire de Dylan – un gars qui a été interdit de stade dans le club de mon quartier, l’Union Saint-Gilloise, pour avoir craqué un fumigène. C’était lors d’un match en déplacement, en plus. Dylan est aussi le co-président du groupe de supporters Union Bhoys. Cette histoire s’est passée en 2018 et ça lui a valu une année d’interdiction de stade. En Belgique, le comportement des supporters est scruté, surveillé et, en cas de débordements, sanctionné. Par exemple, l'utilisation d'objets pyrotechniques dans le cadre de matchs de football est interdite en vertu de la loi football

À mesure que le supportérisme se développe, il est malheureusement souvent pointé du doigt pour ses faits de violence, quand il n’est pas marginalisé. On sanctionne, on impose, on victimise, on empêche. Ces actes rappellent la sévérité avec laquelle notre société traite les gens qui ne rentrent pas dans son moule, les extrêmes. Noé m’explique qu’à travers l’histoire de Dylan et celles de tant d’autres, on comprend aussi que le stade de foot est devenu un laboratoire des techniques de répressions policières. Ça fait des années que les ultras sonnent l’alerte et disent qu’on est en train de tester des trucs qui vont bientôt sortir de l’enceinte du stade. Aujourd’hui, on le voit avec notamment le fait de filmer les gens en manif, de les ficher et de venir les retrouver chez eux ou dans leurs quartiers. 

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Via Noé, Dylan m’a donné rendez-vous en face de son antre, pour parler de ce qui l’animait et de ce qu’il avait vécu. 

VICE : Ça représente quoi pour toi, les Union Bhoys ?
Dylan :
Je suis passionné par le football depuis tout petit. J’ai eu l’occasion d’être mis en club par ma mère, qui a fait ça bien. Les Union Bhoys, c’est la fraternité, l’entraide, ça fait 15 ans. Il y a des liens qui se sont créés avec des gars dans le groupe, c’est la famille. Les Union Bhoys c’est un peu « ultra » mais on voit plus ça comme l’esprit saint-gillois, c’est une mentalité. Pour nous ça équivaut à la même chose que d’être ultra, c’est carré. Quand tu viens à Saint-Gilles tu t’en rends compte. La dernière fois, on a eu des joueurs adverses qui sont venus fêter leur défaite avec nous au bar, sans que la police ne quadrille tout ça. C’est le bonheur, un groupe comme ça, c’est exceptionnel.

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Dylan, co-président des Union Bhoys

Ça a évolué comment ? 
On a un peu galéré au début, on était qu’une dizaine pendant plus de 10 ans. Puis on est restés bloqués à une cinquantaine d’adhérents. Ça fait 5 ans qu’on monte vraiment en puissance. L’année dernière on avait 120 membres cartés, maintenant on en a 300. La D1 a joué pas mal. Dans le foot, on a l’habitude d’appeler les derniers arrivés les Footix ; ici on peut parler peut-être d’Unionix ? Mais bon, c’est comme ça dans tous les clubs. À partir du moment où l’équipe est bonne et qu’elle gagne ses matchs, les gens viennent. En D3 pendant 10 ans on était là, les courageux, à 50. Pour moi, c’était les plus belles années. C’était moins encadré, t’avais moins de police, tu craquais (des fumigènes, ndlr) quand tu voulais. T’avais ce groupe de 1 000 personnes, qui sortait des chants qui claquaient plus que quand on est 6 000 ou 7 000 dans le stade. T’es plus solidaire, tout le monde veut chanter plus fort.

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Les jours de match c’est quoi ton rituel ?
Avec les potes on s’envoie un petit snap « football day ». Souvent, au réveil, ils envoient des photos drôles. Après, généralement, à l’avant-match on va bâcher au stade. Avant on faisait ça plus carré : 2h ou 3h à l’avance. Maintenant c’est la D1, c’est plus strict. Si on se fait piquer nos bâches à l’entrée ça nous fait chier, du coup on les rentre une demi-heure avant. Ça reste un rituel.

Tu fais les déplacements aussi j’imagine, t’as croisé quoi comme autres mouvements ultras ici en Belgique ?
Le mouvement a vraiment grimpé ces dix dernières années. T’as des clubs d’ultras en P2, en P3, t’en as partout. Il y a dix ans, t’avais moins de groupes. Là, maintenant, je peux dire qu’il y a des collectifs solides dans chaque grand club que ce soit au Standard, à Genk, à Anderlecht. C’est chouette de voir que ça se réveille en Belgique. J’ai toujours aimé ça. À l’époque, je devais me déplacer et aller voir l’Olympique de Marseille pour comprendre ce que c’était une vraie ambiance. Aujourd’hui, je peux la créer ici grâce à mon vécu. Le mouvement ultra est en train de grandir. C’est dommage que les ministres essaient de casser tout ça. Dans le foot, on a besoin d’adversité. Au début de la saison, on n’avait pas de supporters en face à cause des règles COVID ; les chants claquaient mais avec personne sur qui les lancer c’est pas pareil. C’est comme Messi-Ronaldo, Messi ne serait rien sans son rival en face.

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« À l’époque, je devais me déplacer et aller voir l’Olympique de Marseille pour comprendre ce que c’était une vraie ambiance. »

Fais péter les anecdotes.
Le déplacement à Ipswich Town. C’était un des premiers déplacements des Bhoys en Europe. C’était un match amical, on a pris le ferry et tout. Je suis rentré en Angleterre sans carte d’identité, je l’avais oubliée. Il y a des gens qui galèrent sans papiers pour rentrer là bas, moi j’arrive à le faire, c’était dingue. C’était 0-2 je pense, on a foutu un bordel. On était 122 mais c’était bouillant. On a même créé un chant pour s’en rappeler : « On est 122 ! On est 122, on est 122, on est 122 ! ». Le stade était énorme, il faisait plus de 30 000 places, un vrai stade anglais. Vu que c’était un amical, il y avait 4 000 personnes, à tout casser, réparties dans tout le stade, mais je peux te dire qu’à 122 on a foutu le bordel pendant tout le match et on a gagné là-bas. Un déplacement complet : on y va, on s’amuse, on gagne, on revient.

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Devant le stade Joseph Marien, l'antre de l'Union Saint-Gilloise

Et des anecdotes plus négatives ?
Molenbeek. Je trouve ça dommage la relation actuelle et le contexte. En sachant ce que nos aînés ont vécu. C’était un derby festif. C’était quelque chose. Moi, à la limite, c’est le seul truc de ces dix dernières années qui me frustre. C’est plus trop Zwanze. Il n’y a plus de Zwanze dans ce derby, on reste Bruxellois même si on est adversaires.

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Pour entrer dans le vif du sujet : il s’est passé quoi contre Lommel ?
Ça s'est passé sur deux saisons. Saison 2017-2018 : déplacement à Lommel, on était 200 dans la tribune et il pleuvait énormément ce jour-là. On se fait déplacer de tribune dans le but d’aller se couvrir, on a foutu un grand bordel et on a gagné le match. Le problème c’est qu’en descendant les escaliers pour aller dans le bus, on tombe sur 10 gars de Lommel qui nous attendaient en bas pour en découdre. C’était un peu chaud, on a été attaqués. Du coup on n’était pas très bien vus à Lommel, ni par les supporters ni par la police locale. L’année suivante, on n’était vraiment pas nombreux et j’ai eu l’intelligence d’allumer un fumigène au milieu de 50 personnes. Dans les stades on est filmés maintenant, du coup on m’a vite retrouvé. J’ai été convoqué au tribunal, j’ai fait appel – ce qui m’a permis de voir des gros matchs comme contre Anderlecht, le fameux 0-3 là-bas. Mais au final la sanction est tombée : interdiction de stade d’un an et 1 600 € d’amende.

« Ce qui était dur, c’est que j’ai pris un an d’interdiction, puis il y a eu le COVID, du coup ça fait quasiment deux ans sans stade. »

Ça se passe comment quand on est interdit de stade ?
J’ai été IDS du 25 septembre 2019 au 25 septembre 2020. De base, je voulais pas trop faire appel mais c’est un gars que je connaissais des tribunes qui connaissait une avocate et qui me l’a présentée. Elle a défendu mon dossier, j’ai été convoqué au tribunal et j’ai perdu. Ils ont passé les images et on me voit clairement dessus. C’est difficile de se défendre face à ça. En gros, j’avais pas le droit d’approcher le stade ni ses environs, soit une zone de 3 kilomètres autour de Joseph Marien. C’est contrôlé par la police. Les jours de match, il y a beaucoup de civils qui se baladent et des patrouilles dans le stade qui s’occupent de vérifier ça.

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Ça t’a fait quoi ? 
Au final, on te brise un peu ta vie. C’est un rituel, tu fais ça chaque week-end, c’est dans ton habitude. Et on te l’enlève. La torche je l’ai allumée puis je l’ai jetée par terre ; je l’ai pas jetée sur le terrain, j’ai pas brûlé quelqu’un. Puis le côté répressif c’est fort, si j’ai envie d’aller me balader avec ma femme au parc Duden ou au parc de Forest, j’ai pas le droit à cause d’un truc qui s’est passé en Flandre. À la limite tu m’empêches de rentrer dans le stade OK, mais ne pas me permettre de marcher librement dans la rue… Ça a été difficile mais ça m’a permis de me recentrer un peu plus sur ma vie, sur ma femme. Tous les week-ends, suivre un club de football passionnément c’est se consacrer à ça tout le temps. Je me suis recentré sur le boulot, ça m’a permis de retravailler sérieusement. C’était finalement du positif dans du négatif.

Elle a évolué comment ta relation avec l’Union et les Union Bhoys à distance pendant ta peine ?
Tu suis tout pareil, mais avec un pincement au cœur. Je regardais les premiers matchs, j’ai toujours au moins suivi le score sur mon téléphone. C’était plutôt compliqué à vivre. Ce qui était dur, c’est que j’ai pris un an d’interdiction, puis il y a eu le COVID, du coup ça fait quasiment deux ans sans stade.

T’étais en colère contre cette décision ou plutôt contre toi-même ?
Contre moi-même et je le suis toujours aujourd’hui. C’est des bêtises. T’apprends de tes erreurs mais au bout d’un moment, j’avais pas 15 ans. C’est des moments où tu dois réfléchir et je n’ai pas réfléchi, c’était débile ce que j’ai fait. Ça a coûté du temps mais aussi de l’argent, 1 600 € partis dans le vent, c’est de l’argent que t’aurais pu mettre ailleurs, que t’aurais pu économiser.

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Comment t’as vécu la montée du club en D1 ?
Terrible. Le problème c’est qu’on n’était pas là. C’était une des plus belles saisons de l’Union, donc c’était douloureux de ne pas pouvoir vivre ça. D’un autre côté, c’était l’extase. Tu viens de 15 ans de galère, la D3, la D2 pendant énormément d’années. Quand c’est le moment de monter en D1, t'exultes, c’est jouissif, c’est quelque chose de dingue, ça s’exprime pas. Ça y est t’es monté avec une saison record, la claque. Ce qui est encore plus dingue c’est qu’on a la même équipe cette saison et ça se passe super bien.

Depuis que l’interdiction a été levée, t’as changé ta façon de soutenir ton équipe ?
Si je me fais attraper pour une autre connerie, je prends double dose. Le juge va regarder ton dossier et sera plus sévère. C’est sûr qu’au niveau des fumigènes, je les touche plus. Ça a changé ma vision alors qu’avant j’y allais sans forcément réfléchir. Des torches, j’en ai allumées dans ma vie. Par contre, du fait que j’ai été IDS, j’ai vécu le retour au stade plus passionnément. En D1 qui plus est.

Tu crains l’impact du foot-business ?
Dans tous les cas, le football actuel est en train de changer, il y a plus d’argent, plus d’investisseurs, qui veulent créer une ambiance différente, rendre les stades plus familiaux. On n’est pas contre ça, mais il faut faire avec les ultras aussi. J’aurais aimé naître il y a quarante ans pour voir ce que ça donnait le football moins business et un supportérisme très chaud.

À l'initiative de la ministre de l'Intérieur Annelies Verlinden, le Conseil des ministres a approuvé un avant-projet de loi modifiant la loi football. Cette approche plus ferme vise à sanctionner davantage l'utilisation de moyens pyrotechniques. Il prévoit tout d’abord des sanctions minimales plus élevées : une amende administrative plus salée et une interdiction de stade de deux ans pour la manipulation de fumigènes. La facilitation de l'utilisation de la pyrotechnie, par l’introduction illicite d’objets ou la dissimulation dans les banderoles, ne sera plus tolérée. L'utilisation d’objets pyrotechniques pourra également être sanctionnée jusqu’à 48 heures avant et après la rencontre rendant leur usage interdit durant les entraînements, lors des célébrations d’après-match et pendant les déplacements en bus des joueurs.

Écoutez le podcast « Interdit de stade » réalisé par Noé Béal, avec l’Atelier de Création Sonore Radiophonique.

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Illustration de Paul Peyrolle (@polpayroll)

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