Ma vie de responsable marketing dans le porno
Illustration de François Dettwiller.
Life

Ma vie de responsable marketing dans le porno

À 35 ans, Guillaume a passé 7 années dans la plus grande entreprise de cam girls au monde.

La première fois que j’ai rencontré Guillaume, c’était en décembre 2021, autour d’une raclette, lors d’une soirée « Noël des copains ». Je ne sais pas si c’est la faute du combo bière-vin chaud-champagne-vin rouge-amaretto mais, ce soir-là, j’ai perdu toutes mes mauvaises habitudes, à savoir : poser plein de questions aux inconnus comme si je m’apprêtais à faire leur portrait ou à écrire leurs mémoires, déformation professionnelle oblige. Ou alors, peut-être que Guillaume m’a dit ce qu’il faisait dans la vie mais - en raison du combo bière-vin chaud-champagne-vin rouge-amaretto – ses mots sont bien (trop) vite sortis de mon esprit. 

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Début mars 2022, à Metz (Moselle), je rejoins des amis dans un bar et Guillaume est de la partie. Il revient des États-Unis où je comprends qu’il travaille de temps en temps. Entre deux frites, je lui demande ce qu’il fait dans la vie. « Je bosse dans le porno. » À ce moment-là, je dois faire une drôle de tête car Guillaume poursuit, « Je te jure que c’est vrai, je travaille vraiment dans l’industrie du divertissement pour adultes. » À 35 ans, Guillaume m’avoue avoir été responsable marketing pendant 7 ans d’une des plateformes cam girls la plus connue au monde. Le garçon fait partie de ces « petites mains » du porno, ces hommes et femmes de l’ombre qu’on entend peu. 

Autour d’un Perrier-rondelle, il a bien voulu me parler de son métier au quotidien, des coulisses de cette industrie et des frustrations sexuelles de nos contemporains. 

VICE : Comment t’es-tu retrouvé dans le divertissement pour adultes ?
Guillaume :
Dans ce milieu, tu as toujours l’impression que tout se fait dans des caves ou dans des endroits chelous mais j’ai postulé à une annonce LinkedIn, tout simplement. Dire qu’à la base je voulais bosser dans l’armement

Ah oui, rien à voir.
Carrément. Après je suis fasciné par le marketing et la communication au sens large, mais je n’ai jamais trouvé mon équilibre dans ce qui est trop conventionnel type banques ou autres institutions. Du coup, j’ai toujours bossé dans des domaines plus niches : les personnes en situation de handicape, les montgolfières et… le divertissement pour adultes. 

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« Il suffit de regarder dans la pléiade de vidéos et mots clés, ce qui est plus demandé par rapport aux fuseaux horaires et aux pays pour voir que souvent les gens recherchent des choses d’une simplicité extrême »

Dans ce milieu, tu as travaillé pour qui ?
Je suis donc entré à 27 ans dans une société luxembourgeoise qui détient un site internet qui diffuse des contenus pour adultes en direct, c’est-à-dire avec des cam girls et des cam boys qui proposent des shows privés en live. Dans son genre, il s’agit d’une des plateformes les plus connues au monde. Indice : sur Pornhub, c’est le petit popup rouge. 

Mais du coup, en quoi consistait ton travail pour eux ?
On peut dire que j’avais deux missions. La première était de rendre le site « bandant » pour les filles, pour qu’elles s’inscrivent mais aussi le plus sécurisant pour elles, afin de leur créer un univers où elles pourraient exprimer clairement leur sexualité. Il faut remettre les choses dans leur contexte : aujourd’hui avec Only Fans les contenus pour adultes se sont démocratisés mais à l’époque, c’est-à-dire il y a 6-7 ans, c’était une révolution les « live cam ». L’idée que je devais leur vendre était qu’il valait mieux être en ligne que dans la rue. Autrement dit : tu prends que 20 balles pour une pipe avec les risques de maladies qui vont avec, alors que si tu es à l’aise avec ton corps, tu fais ça sur internet et tu gagnes plus de blé.

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Ma seconde mission était d’analyser les frustrations sexuelles et mentales des gens. 

Afin que l’offre sur le site corresponde à la demande ?
Exactement. Pourquoi est-ce qu’on consomme du porno ? Pour assouvir nos frustrations. D’une manière générale, les gens ne vont pas au fond de leurs désirs sexuels. Il suffit de regarder sur PornHub les mots clefs qui sont les plus recherchés pour se rendre compte que les gens n’assument pas leurs désirs. 

Par exemple ?
Un mec qui te dit « j’ai trop envie de te lécher les pieds », tu vas trouver ça crade non ? Alors que c’est un délire hyper répandu. T’imagines pas le nombre de mecs qui attendent que ça soit l’été pour voir les pieds des meufs en sandales. La moitié des gens le font, l’autre a envie de le faire mais n’assume pas. Alors cette moitié-là paye car elle n’ose pas. 

Il y a une forme d’hypocrisie chez les consommateurs en fait.
Tout à fait. C’est comme le terme « beurettes ». En France, c’est un délire : certains votent Zemmour, mais sur PornHub ils tapent “beurette”. Il y a aussi un fantasme très courant chez les hommes pour les transexuels, mais pas du tout assumé. Sur le site, on avait des filles qui mettaient une chaussette dans leurs culottes sur certains créneaux horaires – quand l’homme marié rentre du boulot – pour se faire plus de blé.

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« J’ai reçu une lettre au boulot d’un Australien tétraplégique, sa seule sexualité était via notre site. Il passait sa vie devant et s’endormait même avec une fille »

Comment tu t’y prenais concrètement ?
Il suffit de regarder dans la pléiade de vidéos et mots clés, ce qui est plus demandé par rapport aux fuseaux horaires et aux pays pour voir que souvent les gens recherchent des choses d’une simplicité extrême : des hommes hétéros qui veulent voir des lesbiennes. Ou des gens qui leur ressemblent avec le porno local. Les clichés aussi : en Allemagne, les mecs regardent des filles poilues ; dans les pays du Maghreb, le mot gay ressort beaucoup. Mais on découvre aussi des niches : comme « rate my dick », le fantasme que ta porn star préférée regarde ton sexe et le note.

Et tous fantasmes confondus, quel est celui que tu as trouvé le plus perché ?
Le fantasme du sang qui consiste à se mordre jusqu’au saignement ! On l’a banni pour la sécurité des gens. Car on se considère comme un site premium. Dans un genre moins trash je citerai celui de l’humiliation publique ! Quand le mec active sa caméra, demande à la fille de faire une capture d’écran de lui, déguisé en petit cochon, son petit pénis à l’air, et demande à la fille de le publier sur son Twitter en échange de 100$. Et peut-être aussi le fantasme de l’argent : leur kiff aux hommes est que la fille a le contrôle de sa CB. C’est le niveau ultime de la maîtresse. Après, il y a aussi de très belles choses qui peuvent se passer en ligne. 

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Comme ?
Des personnes en situation de détresse psychologique qui ont juste besoin d’une présence. J’ai reçu une lettre au boulot d’un Australien tétraplégique, sa seule sexualité était via notre site. Il passait sa vie devant et s’endormait même avec une fille. Dans ces cas-là, on atteint des records avec des shows privés qui durent plus de 48 heures.

Si je comprends bien, la majeure partie du temps, ton job se passait devant un ordinateur dans un bureau ?
Totalement. La seule différence c’est qu’on pouvait recevoir au bureau des godemichets plein de mouille avec un mot : « Il ne marche plus ». Sinon, une fois par mois, on faisait des soirées avec des filles. Des soirées très très drôles aux États-Unis, en Amérique latine ou dans les pays de l’Est. Parfois on les invitait en Europe. On les récupérait à Paris et on faisait la tournée des grands ducs : Crazy Horse, Tour Eiffel, et Georges V.

« J’ai fait venir le Crazy Horse à Luxembourg, obtenu Sean Paul en showcase privé, un aller-retour à Vegas pour un 24h sur place, dépensé 150 000 dollars en champagne uniquement »

Tu t’es fait des copines parmi elles ?
On faisait des partenariats avec des gros studios pour que les filles soient invitées. Et je suis devenu un très bon pote avec plusieurs d’entre elles. 

Jamais plus ?
Eh, ces filles ne sont pas là pour ça ! Ce ne sont pas des travailleuses du sexe. Il n’y a pas plus de sexe au bureau dans ce métier que dans un autre. Il ne faut pas oublier qu’on parle là d’actrices ou d’acteurs. Leur travail c’est de simuler. Et elles sont payées pour faire ça. Elles sont là pour que toi tu passes un bon moment d’où le mot « divertir ». Mais ça reste du business.

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Quel est le profil des femmes qui travaillent dans cette entreprise ?
La plupart sont sont des mères de famille qui, le matin, déposent leurs enfants à l’école avant d’aller au studio.

Qu’est-ce qui te plait dans ce milieu ?
L’argent. Je gagne aussi bien ma vie que quelqu’un qui travaille dans le luxe. Et le côté « no limit » du business. Ici, l’expression « sky is the limit » prend tout son sens. C’est la seule qu’on connait. J’ai fait venir le Crazy Horse à Luxembourg, obtenu Sean Paul en showcase privé, un aller-retour à Vegas pour un 24h sur place, dépensé 150 000 dollars en champagne uniquement. 

Quel regard porte ton entourage sur ton métier ?
Mes parents sont très fiers. Comme ils sont ouverts, ils ont toujours trouvé ça drôle. Mon père, je suis sa fierté (rires). Et même ma mère qui est prof, allait au lycée avec une trousse floquée du nom du site. En soirée avec les copines de mes potes, c’était plus compliqué… 

C’est-à-dire ?
On me jugeait : les filles car elles n’auraient jamais autorisé leurs maris à faire ça. Et les maris avaient une curiosité malsaine teintée de moqueries. Quand je partais faire un voyage à l’autre bout du monde dans des soirées de malades avec des centaines de filles super sexy, tout le monde voulait être moi, mais peu l’assumait. A ces mecs, je disais souvent : « ne faites pas trop les malins, je travaille avec des hackeurs qui vont accéder à vos historiques et voir que vous vous branlez sur des pieds d’indienne qui ont la lèpre ». 

Mais honnêtement aujourd’hui j’ai appris à m’en foutre d’être considéré comme le « pote qui fait du cul ». En réalité, je fais un métier super fun, qui me permet de voyager dans le monde entier et de rencontrer des gens incroyables.

Après sept années au service de ce site internet, tu as changé pour un autre univers un peu décalé ?
Non ! Je suis resté dans le même domaine mais côté Asie plutôt ! Je travaille pour une boite qui va notamment lancer deux projets : INFLOWW, un logiciel pour la gestion du contenu OnlyFans, qui va simplifier la vie des assistants de célébrités Only Fans. Et Minkly : un TikTok à la croisée des chemins entre OnlyFans, PornHub et Sailor Moon. Un genre de TikTok pour adultes, aux influences asiatiques un peu kinky. 

Et quel est ton rapport au porno ? Forcément, je me dis que quelqu’un qui bosse là-dedans doit être un peu un obsédé, non ?
Ma règle d’or : ne pas regarder les gens que je connais. Mais ma sexualité n’a pas changé, ni dévié. Je suis juste plus en phase avec mes fantasmes. Je les assume plus car maintenant je sais qu’en face y a du fantasme aussi.

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