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Musique

Il y a 24 ans à Montréal, le concert de Guns N’ Roses avec un Axl Rose chigneux s’est changé en émeute

Rien ne déboulonne mieux le mythe de notre ennuyante courtoisie que notre penchant pour l'émeute.
JS
Toronto, CA
​Source des images : YouTube

Rien ne déboulonne mieux le mythe de notre ennuyante courtoisie que notre penchant pour l'émeute.

Et je ne parle pas seulement des manifestations contre le gouvernement, la hausse des droits de scolarité ou le patronat. Je parle de notre tendance à faire du bruit, à enlever nos chandails et à perdre la tête quand une équipe de hockey remporte une série. Je me rappelle une soirée de 2008 dans un bar, où j'étais entouré de « fêtards » qui portaient plusieurs couches de vêtements de différentes couleurs. Ils les avaient pillés chez American Apparel après la victoire des Canadiens contre les Bruins au septième match de la série, en quart de finale. De façon un peu absurde, on pensait vivre un moment « historique ». Fidèles à notre tradition montréalaise, on a saisi cette excuse pour péter des vitres et renverser des voitures de police. Ça m'a rappelé une autre émeute, aussi dans les rues de Montréal : celle-là n'est pas le fruit du fanatisme sportif, mais de l'anarchisme du rock'n'roll.

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Le 17 juillet 1992, Guns N' Roses et Metallica, deux des plus grands groupes de l'époque, ont entrepris une tournée conjointe. Guns N' Roses faisait connaître son phénoménal nouvel album quasi double, sept fois platine, Use Your Illusion I & II, qui a cimenté son statut de plus populaire groupe de hard rock de la planète. Metallica, pour sa part, avait conquis le monde avec son cinquième album, appelé The Black Album, avec lequel les membres du groupe sont passés de héros du métal à rockstars présentables à la radio. « Tous les deux en tournée ensemble en même temps? », s'était étonné Patrick Emond, qui était à l'époque un étudiant de 20 ans de l'Université Concordia. « Je me suis dit : "Vendu. Je veux mon billet." Des concerts comme ceux-là sont impensables aujourd'hui, ajoute-t-il. Qui, avec une popularité équivalente, accepterait aujourd'hui de partager une tournée avec un autre? Ce serait comme si Beyoncé partait en tournée avec une autre chanteuse quelques maillons plus loin dans la chaîne alimentaire. Les billets coûteraient 500 $. »

Il avait attendu en file toute une nuit, sous la tente dans le stationnement d'un centre commercial, pour mettre la main sur un billet. Pour l'acheter, il avait dû économiser l'équivalent d'une journée de salaire : 35 $. Il se souvient aussi de la page de promotion du concert dans le journal. « C'était délicieusement ironique. La pub disait : "Ils avaient dit que ça n'aurait jamais lieu" ». Quand la tournée est arrivée au Stade olympique de Montréal, le 8 août 1992, avec Faith No More en première partie, le concert n'a en effet pas eu lieu. Pas vraiment, en tout cas. On avait promis aux Montréalais le plus gros concert rock de l'année, mais on a plutôt eu une émeute.

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Déroulement de la soirée : au début du concert, il y a eu un problème avec une pièce pyrotechnique et le chanteur-guitariste de Metallica, James Hetfield a été blessé. « Ça s'est passé tellement vite que personne n'a vraiment compris ce qui s'était passé, raconte Patrick. Puis, James Hetfield est sorti de scène en courant. Le groupe a continué à jouer pendant cinq ou dix secondes, avant de recevoir un signal ou quelque chose et de sortir aussi. Tout le monde se demandait : "Mais qu'est-ce qui se passe?" Lars Ulrich, le batteur, est revenu sur scène pour expliquer que le concert était terminé parce qu'Hetfield avait subi des brûlures et été conduit à l'hôpital. Ensuite, à cause de la sortie précipitée de Metallica, Guns N' Roses devait monter sur scène plus tôt que prévu. Le groupe a refusé. Dans ces années-là, Axl Rose adoptait l'attitude de décadence arrogante qui est devenue sa marque de commerce. Avant de débarquer à Montréal, Axl avait : vomit sur scène, été atteint dans l'entrejambe par un briquet lancé par un fan pendant qu'il chantait Knockin' on Heaven's Door, reçu un diagnostic de dommages aux cordes vocales. Et il s'intéressait aux sciences occultes.

« Selon les médias, un type qu'il consultait lui avait dit : "Ne donne pas de concert dans une ville dont le nom commence par M, comme Minneapolis ou Montréal" », se souvient Jean-François Blais, qui avait 21 ans en 1992. « Comme Montréal est la seule ville où il donnait un concert dans l'est du Canada, le producteur n'a pas voulu annuler. Axl est donc monté sur scène, mais il n'était pas content. » Après ce que Jean-François décrit comme une foutue longue pause, Guns N' Roses est arrivé. « On prenait tous de la drogue, du LSD », raconte-t-il, parlant de lui et du groupe d'amis avec lequel il est allé au Stade. « Quand Guns N' Roses est arrivé sur scène, c'était bizarre. Axl Rose chantait à l'extrémité de la scène, comme s'il n'avait pas du tout envie d'être là. »

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« Ce que j'ai appris plus tard, c'est qu'ils n'avaient pas eu le temps de placer l'équipement de la façon qu'Axl le voulait. Il était insatisfait du son, explique Patrick. On voyait bien qu'il avait juste envie de s'en aller. Quand un chanteur est content de donner un concert, il occupe la scène, il s'amuse. » Après quelques chansons seulement (cinq selon Jean-François, environ 55 minutes selon les journalistes présents), Guns N' Roses est sorti de scène. « On était assis vraiment haut, à de mauvais sièges, mais on voyait en coulisses. J'ai vu une limousine s'avancer, puis partir. J'ai dit à mon ami : "Fuck, Guns N' Roses s'en va! Le concert est fini! Il n'y aura pas d'autres chansons! Ils sont partis!" »

Peu après, un message est apparu sur les écrans : « Le concert est annulé. Veuillez consulter les médias pour obtenir de l'information. » C'est là que ça a commencé à mal tourner. « C'était le concert qu'on attendait depuis des mois, même des années! » justifie Patrick, sa colère et sa déception encore palpables au téléphone 24 ans plus tard. « Non seulement on n'a eu droit qu'à une partie du concert de Metallica, mais on n'a presque rien eu de celui de Guns N' Roses parce qu'Axl n'était pas content! » La plupart des 50 000 spectateurs étaient eux aussi en colère. Certains demandaient même la tête des membres du groupe : « Tuez-les! Tuez-les! » Beaucoup ont lancé des bouteilles de bière et arraché leur siège. Sur le parterre, d'autres ont fait des tas avec des t-shirts et d'autres produits dérivés, et y ont mis le feu. Le Stade était illuminé par ces bûchers un peu coûteux. Très vite, ce qui devait être un concert s'est ainsi changé en émeute.

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Le chaos s'est propagé dans les corridors du Stade, puis dans les rues autour. « Nous avons attendu que le Stade se vide, parce qu'on savait qu'on aurait de gros problèmes si on sortait, raconte Jean-François. On était tous défoncés. On a attendu à peu près 30 minutes. Quand on est sortis, la foule lançait des bouteilles de bière. C'était vraiment dangereux. Une voiture était en feu. Il y avait aussi de la casse. Des kiosques à souvenirs étaient pillés. » « Ils se jetaient sur le kiosque, raconte Patrick, parce que, t'sais, tant qu'à être dans une émeute, aussi bien en profiter pour faire du pillage. Mais aucun de mes amis ne s'est dit : "OK, mettons le feu et volons des dizaines de chandails des Expos." »

Près de 300 policiers ont été envoyés sur le parterre du Stade pour maîtriser la foule et aux entrées des stations de métro les plus proches bloquer l'accès, en plus des 400 agents de sécurité (le double du nombre habituel pour un concert de cette envergure) déjà sur place. « La foule a renversé trois voitures de police, raconte Jean-François. Il y avait du monde partout. J'ai dit à mes amis : "Il faut s'en aller." La police estime qu'environ 10 000 fans – ou plutôt ex-fans – de Guns N' Roses ont participé à l'émeute. À la fin, douze personnes ont été arrêtées. Les accusations allaient de vol et trouble de la paix à voies de fait contre un policier et possession d'arme prohibée. Les concerts suivants ont été annulés, et celui de Toronto reporté en septembre. Des fans déçus ont fait le chemin jusqu'au Kingwood Music Centre à Canada's Wonderland pour plutôt assister au retour sur scène des soporifiques Emerson, Lake, and Palmer. On n'a pas signalé d'agitation ni de soulèvement.

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À Montréal, ville fan rock, la soirée a laissé un goût amer. Metallica a présenté un concert de compensation à prix raisonnable au Forum, mais Guns N' Roses n'a pas eu cette classe. Le promoteur a refusé de rembourser les spectateurs. « Guns N' Roses n'était plus mon groupe de référence, dit Patrick. Pendant un moment, je ne voulais plus les entendre. Les cassettes sont retournées au fond de la boîte. » Et pourtant, pour quelqu'un qui n'était pas là, qui a seulement entendu des échos de cette émeute et lu ce qui s'est passé dans de vieux journaux, tout ça est étrangement passionnant. Peut-être surtout depuis que les trois membres de Guns N' Roses – Axl Rose, Slash, le guitariste, et Duff McKagan, le bassiste – ont reformé le groupe et entrepris une tournée, intitulée Not in this lifetime, pour la première fois ensemble depuis 1993. C'est une mégatournée emphatique, hallucinante et lucrative. Avec un risque, un danger que quelque chose déclenche de nouveau le chaos.

Dans Get in the Ring, chanson de l'album Use Your Illusion II, Axl Rose hurle : « You may not like our integrity! We built a world out of anarchy! » Ce sont des paroles creuses comme celles-là qui seraient passées pour de la mégalomanie pompeuse, si elles ne s'étaient pas matérialisées. Guns N's Roses a bel et bien « créé un monde anarchique ». Le soir du 8 août 1992, le courant anarchique bouillant, catalysé par la bière et l'insatisfaction, s'est déchaîné.

Les fans n'ont pas seulement semé le chaos dans un stade et les alentours : ils ont aussi brûlé des t-shirts. Ils se sont retournés contre le groupe. L'esprit anarchique du rock'n'roll s'est retourné contre le rock'n'roll lui-même. Un ex-fan, Patrice Lapointe, avait d'ailleurs bien résumé l'état d'esprit de la foule au Toronto Star : « Ils sont pourris. Ils ont fait trop d'argent, trop vite, et maintenant ils se fichent de leurs fans. Ils feraient mieux de ne jamais remettre les pieds ici parce qu'on les tuerait. » Axl Rose, Slash et Duff McKagan ne sont d'ailleurs jamais revenus jouer ensemble à Montréal depuis. Et ne semblent pas avoir l'intention d'offrir de spectacle de réconciliation tardif. « Not in this lifetime », dirait peut-être Axl.

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