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VICE Fashion Week

Personne peut test les cuirs cloutés de mon oncle

J’ai chopé mon premier perfecto à l’âge de 17 ans, après avoir bossé trois mois dans un entrepôt situé en zone 5 RATP.

Moi, avec mon perfecto du début des années 1980 clouté au poinçon

J’ai chopé mon premier perfecto à l’âge de 17 ans, après avoir bossé trois mois dans un entrepôt situé en zone 5 RATP. À l’époque, porter un cuir avec un jean serré dans ma cité de banlieue entraînait des trucs comme me faire traiter de « nazillon » ou d'« homosexuel » par mes camarades de ZEP. Malgré les marrons dans la gueule et quelques parpaings de bétons évités de peu, j’ai développé un attrait sans limite pour ce type de sapes. À cette époque, je n’avais jamais entendu parler du passif punk de mon oncle, ni de son amour pour le cuir. Je ne l'ai découvert qu'il y a trois ans, lorsqu'une de mes tantes m’a donné l'un de ses vieux perfectos Schott.

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J'ai clouté celui-ci pour la première fois en Australie fin 2010, après avoir vu DOA jouer dans un rade de Sydney. C’était bien avant que Chris Brown ne se pavane avec un perfecto acheté 5000 dollars chez ces voleurs new yorkais de Search and Destroy. Avec ces conneries, je suis passé ces derniers temps du statut de « fan de Johnny » à celui d’icône de la mode ; dans le métro, de nombreuses pépées me demandent où j’ai acheté ma veste et si c’est bien moi qui a fiché les dizaines de clous et badges qui la décorent.

Mon oncle, en plein boulot.

Mais, revenons à mon oncle. Il y a trois ans, j’ai donc découvert que celui-ci avait vécu les premières années du punk de l’intérieur. Il a été roadie pour Oberkampf et a même failli en devenir le bassiste. Il est d’ailleurs toujours pote avec Joe Hell, le chanteur du groupe. De cette époque, il a gardé une passion pour la musique et une attitude DIY revendiquée. Depuis de nombreuses années, il dédie son temps libre au travail du cuir. Dans son petit établi, il réalise avec trois fois rien des ceintures, des pompes, des portefeuilles et même des étuis à portables qu’il vend sur son site. Aussi, il possède une collection de vestes de bikers datant des années 1930 à 50.

Pour la Fashion Week de VICE, j'ai décidé d'aller le voir dans le 18ème, histoire qu’il m’explique comment faire pour assouplir des morceaux de peau tannée et y foutre des clous par dessus. Mon tonton m'a appris un truc cet après-midi là : c'est un truc à faire soi-même. Quitte à vous faire traiter de poseur, de ronds de cuir ou que sais-je, portez autant de fringues cloutées que vous voudrez mais bordel : faites-le tout seul.

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Spencer de l’armée de l’air trouvé aux puces, clouté avec des clous English 77 studs

VICE : Salut, tonton. Ça fait combien de temps que tu t’es lancé dans le travail du cuir ?

Christophe Gambier : C’est un truc que je fais depuis longtemps maintenant, environ 25 ans. J’ai commencé à m’y intéresser quand j’étais plus jeune parce que j’ai toujours été manuel. Je bosse dans la retouche photo à raison de trois jours par semaine ; ça me laisse pas mal de temps libre que je consacre au travail du cuir.

Qu’est-ce qui t’a poussé à faire ça ? On ne devient pas tanneur du jour au lendemain, je suppose.

J’ai fait un voyage au Canada en 1984, et c’est là-bas que j’ai découvert tout ça. Je me suis mis à lire des bouquins qui en parlaient, j’ai acheté du matos puis je me suis mis à en faire tout seul, par moi-même. Je cherchais à faire des choses que l'on ne trouvait pas dans le commerce.

Aero Leather appartenant à mon oncle

C'est le punk qui a éveillé ta sensibilité, non ?

L’esprit DIY, ouais. À l’époque on était tous branchés mode, mais on ne trouvait pas forcément ce qu’on voulait. Du coup, on essayait de faire nos propres fringues pour se démarquer des autres. L'idée, c'était de trouver des trucs que les gens n’avaient pas. Et puis le custom m’a toujours passionné – en plus de tout ce qui se rattache aux États-Unis, parce que bon, cette culture vient de là-bas.

Ouais. Vous trouviez quoi comme genre de fringues dans les fripes à l’époque ?

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Des trucs des années 1950 ; les filles s’achetaient des talons aiguilles à la Marylin, par exemple. Je crois que c'est de cette époque que j'ai gardé ma passion pour les années 1950. Aujourd'hui encore, on retourne vers ces années-là.

En effet. Mais en 1977 il y avait déjà beaucoup de clous et de cuirs qui rappelaient les rockeurs des années 1950.

C'est vrai. Tout ce qui était cuir, on le trouvait dans les magasins bondage à Londres – c’était beaucoup de ceintures cloutées et de bracelets. Sur Paris il y avait quelques magasins, un à Saint-Denis et un autre aux puces, qui vendaient des clous. Les mecs de la scène se retrouvaient souvent dans ces endroits.

Collection de clous Buco

Tu penses quoi quand tu vois ces cuirs et bottines à acheter pré-cloutés à destination des meufs R&B ?

Ça c’est autre chose, mais ce n’est pas nouveau. La récupération existait déjà à l'époque du punk. Deux ans après l’explosion du punk, tout l'attirail était récupéré par la mode. Aujourd’hui, quand tu vois des gamines avec des bottes cloutées ce n’est ni plus ni moins que le style des bikers des années 1950. Ça tourne en rond !

Ça ne te fait pas un peu chier ?

Un peu, pour être franc. Le mois dernier, je me suis fait une paire de bottes que je rechigne un peu à mettre parce que, où que j'aille, je vois ces gamines qui portent les mêmes ! Il n'y a plus aucune originalité. Ce que j’aime, c’est rencontrer des gens qui ont la passion du truc.

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Et, tu en rencontres beaucoup ?

Ça m’arrive, heureusement. Ce sont des amis, pour la plupart. Il y a de tout : des femmes, des hommes, des vieux ou des jeunes.

Qu’est-ce que tu penses de ma veste de jeune, alors ? Je stressais un peu à l’idée de te la montrer.

Mais non, fallait pas : elle est bien ! Bon, je ne dirais pas que c’est bien fait mais au moins ça reflète quelque chose. Tu sais à mon époque, on faisait pareil.

Tu le chopes où, ton cuir ?

C’est essentiellement du cuir de sellier, que j’achète à Paris. Mais il y a aussi des cuirs exotiques, que j’achète sur eBay. Enfin, je tiens à acheter mes outils aux États-Unis.

Cuir homemade créé par mon oncle, avec une coupe d'inspiration 501

Tu as des machines pour travailler le cuir ?

Non, je fais tout à la main. Les trous, les coutures, les motifs et le tressage sont faits-main. Je n’ai pas une production énorme donc je n’en ai pas besoin.

Donc c’est quelque chose à la portée de tout le monde ?

Ouais, mais bon. La différence, c'est que moi c’est de la qualité. Mes fringues ne craqueront pas au bout de quelques mois. Faut s’y connaître un peu mais ça exige d’être curieux. Même si c’est une pratique qui s’est un peu perdue avec le temps, il y a encore de bons restes, hein. Toi, par exemple.

Ah, ah, merci tonton.