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Culture

Gregg Araki fait des films pour les parias

Le réalisateur de « Doom Generation » et « Mysterious Skin » nous a parlé de sida, de post-punk et de son faible de longue date pour Eva Green.

Les films de Gregg Araki constituent des plaisirs coupables pour lesquels personne ne devrait jamais se sentir coupable. Ils synthétisent à peu près tout ce que l'on attend d'un teen movie – de beaux acteurs, des dialogues creux, et une bande originale post-punk imprégnée d'angoisse existentielle – mais sans hétérosexualité et sans happy ending prévisible. À la place, le réalisateur préfère des personnages nihilistes et isolés (qui sont du coup encore plus attirants) et une approche résolument différente. L'un de ses films les plus célèbres, Mysterious Skin, raconte l'histoire d'un prostitué d'une petite ville qui tombe amoureux d'un homme qui a abusé de lui alors qu'il avait 8 ans.

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Araki s'est d'abord fait un nom en tant que réalisateur dans les années 1990, émergeant du mouvement New Queer Cinema quand son troisième film The Living End – l'histoire de deux amants porteurs du sida – a été présenté à Sundance en 1992. Il formait un groupe avec Todd Haynes, Tom Kalin et Rose Troche – des cinéastes qui partageaient sa volonté de dresser un portrait plus juste des personnages gays sur grand écran.

« C'était une petite scène, pas plus grande qu'une classe de lycée », se rappelle Araki. Aujourd'hui, le réalisateur doit avoir la cinquantaine, mais il parle comme une Valley Girl et on ne lui donnerait pas plus de 35 ans. « Rick Linklater est un autre type de cinéaste – mais nous avons une manière de travailler très similaire ». Il se compare aussi à Gus Van Sant – un autre cinéaste d'auteur pour la génération X maudite. « Nous sommes unis dans le fait que nous ayons tous notre propre voix. »

Thomas Dekker, Gregg Araki et Roxane Mesquida pendant la promotion de Kaboom

Après les années 1990, les films d'Araki sont devenus moins politiques. Sa dernière œuvre, le polar White Bird, marque une rupture encore plus avancée avec le début de sa carrière, une approche révoltée de la narration et une esthétique cheap et trash. Shailene Woodley y interprète Kat Conners, une banlieusarde de 17 ans qui est une sorte de version moins égocentrique d'Angela Chase. Un après-midi, la mère de Kat – jouée par Eva Green – disparaît sans laisser de trace. Le spectateur suit Kat alors qu'elle essaye de comprendre ce qu'il s'est passé.

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« Le scénario est basé sur un roman de Laura Kasischke », m'a expliqué Araki. Il décrit le livre comme « poétique », « lyrique » et « cinématographique », mais il a aussi pris pas mal de libertés. « J'ai changé la fin – et tout le troisième acte du film ». Il a aussi légèrement changé l'endroit et la période de l'histoire. « Je pense que le livre se déroule en 1985 ou 1986. Je l'ai avancé de quelques années, en 1988, tout comme j'ai remplacé l'Ohio par la Californie afin que cela soit plus proche de ma propre expérience. »

Ayant grandi dans ce qu'il décrit comme « une période excitante en ce qui concernait le punk rock et le post-punk », Araki estime qu'il se sentait obligé de faire en sorte que Kat et ses amis expérimentent la culture alternative qu'il a découverte au lycée – « un peu avant que les Sex Pistols ne s'exportent en Amérique. »

« Dans le livre, Kat rencontre Phil et ils commencent leur amourette en dansant sur Journey, ou un truc horrible comme ça. Mais dans le film, j'ai replacé la fête du lycée dans un club gothique qui passe du Siouxsie and the Banshees. Cela correspond beaucoup plus au monde dans lequel j'ai évolué, ce qui m'a permis de m'identifier encore plus aux personnages. »

Image issue de White Bird

À ce stade de notre conversation, Araki a tenu à préciser que son travail n'appartenait à aucun genre particulier. Par exemple, il n'aime pas que l'on dise qu'il réalise des films sur le passage à l'âge adulte.

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« Les seuls films qui font partie de cette catégorie sont Mysterious Skin et White Bird, et les deux sont des adaptations de livre – des histoires que je n'ai pas écrites. Je ne dirais pas que Doom Generation, Kaboom ou Smiley Face sont des films sur le passage à l'âge adulte. Mes films sont très différents les uns des autres. Il y a certains réalisateurs – que je ne nommerais pas – qui font le même putain de film, année après année. »

En revanche, tous ses films portent sur des outsiders. Je lui ai demandé si la volonté de faire des films gays lui était venue naturellement – sachant qu'il est lui-même homosexuel –, ou s'il mesurait juste l'importance de mettre en scène des personnages gays. « C'était très important pour moi personnellement. Je ressens de la gratitude quand les gens me disent "Tes films ont toujours beaucoup compté pour moi' ou encore "Ils m'ont beaucoup aidé pendant que je faisais mon coming out. »

« La nouvelle vague queer n'est absolument pas comparable à la nouvelle vague française, a-t-il enchaîné. Ces réalisateurs se sont assis dans une pièce avec l'envie de créer un nouveau type de cinéma. Pour nous, pour chacun d'entre nous – et je connaissais presque tous ces réalisateurs parce que nous nous étions tous rencontrés à Sundance et Berlin – ça n'a jamais été un « mouvement » au sens propre. Nous étions juste une bande de réalisateurs ayant à peu près le même âge, tous passionnés par le cinéma indépendant. »

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Les films d'Araki sont également connus pour avoir créé un instantané de leur époque. « À cause du sida et de ce qui se passait dans les hautes sphères politiques, on avait l'impression d'évoluer en zone de guerre. C'était une période très sombre, où les gens étaient à cran. D'ailleurs, c'était impossible de ne pas l'être. Les jeunes de 20-30 ans étaient constamment cernés par la mort. Ton temps était très limité, simplement parce que tu étais gay. C'était une période très intense et je pense que mes films reflètent cet état d'esprit. »

Rose McGowan dans Doom Generation

Comme Gus Van Sant et Todd Haynes, les films d'Araki se sont éloignés de sujets purement LGBT : « Nous faisions juste nos propres trucs de cinéastes en ce temps-là, ce qui explique pourquoi nous avons tous fait différent types de films. » White Bird a quoi qu'il en soit une grande scène gay, et une certaine sensibilité qui réside dans la performance incroyablement maniérée d'Eva Green.

« J'ai toujours aimé Eva Green, s'est exclamé Araki. Je l'aime depuis The Dreamers. Il n'a jamais été aussi animé depuis le début de notre interview. « Elle est unique, il n'y a absolument personne comme elle, j'étais ravi de bosser avec elle. Je l'aime en tant que personne, c'est une artiste incroyable. Mais sur le plateau, on dirait Greta Garbo, elle dégage une sorte d'aura magique. »

Eva Green dans White Bird

Selon moi, Eva Green a un look à la Jackie O dans le film, bien que sa performance rappelle plutôt Joan Crawford. Araki est plutôt d'accord : « Eva et moi avons eu de nombreuses discussions sur le personnage d'Eve, dans le sens ou je ne voulais pas qu'elle soit une méchante unidimensionnelle, de type marâtre. Je voyais vraiment Eve comme une figure tragique. On voulait qu'Elizabeth Taylor, Jackie O, Joan Crawford et toutes les icônes de cette période soient les modèles de ce personnage – des femmes avec des cheveux parfaits, un maquillage impeccable et de belles tenues. C'est comme si le personnage d'Eva était une femme qui jouait un personnage. Comme si on lui avait dit : "Voilà ce que tu es." »

À la fin du film, il s'avère que le personnage d'Eve n'est pas exactement celui que nous pensions, et ensuite arrive un twist spectaculaire, qui fait passer le film de moyen à pas mal. White Bird n'a pas l'insécurité de ses films liés au sida comme The Living End (« Pourquoi est ce qu'on ne va pas à Washington pour exploser la cervelle de Bush ! ») et Totally Fucked Up (« C'était un génocide sponsorisé par le gouvernement ! »), mais nous pouvons nous réjouir de voir que le climat dans lequel ces films ont vu le jour a changé.

Alors que notre interview touchait à sa fin, je lui ai demandé pourquoi il se sentait obligé de faire des films. Il compare son travail à celui du groupe écossais The Cocteau Twins, dont il a souvent exploité la musique. « Aux États-Unis, ils n'ont jamais été très populaires – je connais Robin parce qu'il a fait la musique pour White Bird, Kaboom et Mysterious Skin – et ils étaient probablement considérés comme des échecs commerciaux. Mais leur musique signifiait beaucoup pour leurs fans. C'était quelque chose qui allait au-delà de la musique – c'était très important pour les gens qui comprenaient ça. »

« C'est une chose qui m'a toujours inspiré pour mes films : ils ne sont pas pour tout le monde et certains sont polémiques – j'ai mes fans et mes détracteurs – mais les gens qui comprennent mes films les comprennent vraiment. C'est tout ce que je peux demander en tant qu'artiste. »