Ce qui se cache derrière les bouteilles d'Henri Milan, vigneron sans étiquette

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Ce qui se cache derrière les bouteilles d'Henri Milan, vigneron sans étiquette

Dans son domaine de Provence, Milan cultive deux passions : la production d'un vin bio « en liberté » et une implication totale dans la scène politique locale.

« Je suis un anarchiste de droite, mais je reste sans étiquette ».

Si la répartie d'Henri Milan sonne un peu comme du Houellebecq, elle relève aussi d'une forme de poésie engagée, façon Marcel Pagnol. Car chez ce vigneron de Saint-Rémy-de-Provence, la gouaille est autant reconnue que la qualité de son vin : un engagement politique qui l'a amené peu à peu à quitter les vignes pour les ors de la République et à se présenter aux élections locales. Après avoir perdu dans la course à la mairie de Saint-Rémy-de-Provence (à 23 voix près), Henri Milan milite aujourd'hui dans l'opposition de la ville, tenue par la gauche.

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Dans cette petite ville touristique de Provence, l'essentiel de l'activité économique se fait durant les mois d'été avant de considérablement ralentir pendant les mois d'hiver. Et Henri Milan fourmille d'idées pour redynamiser sa ville. En attendant les prochaines élections municipales de 2020, il donne du fil à retordre au maire en place.

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Dans les vignes d'Henri Milan, les roses, protectrices des vignes du « Clos », préviennent de l'arrivée du mildiou (un champignon dévastateur). Toutes les photos sont de l'auteur.

« Ma femme, c'est la caution juridique : elle fouille, cherche la petite bête, pointe du doigt ce qui est illégal… On est une petite PME politique sans être payé », s'enorgueillit le Père Milan. Sa PME, la vraie, ça reste le Domaine Milan : une dizaine d'hectares de vignes aux abords de Saint-Rémy dans lesquelles touristes de passage, touristes bien aiguillés, aficionados de vins sains et gens du coin viennent goûter du pinard, visiter le domaine ou faire le plein de bouteilles.

Il s'est formé en amateur au fil des années, avec toujours comme devise le rejet des vins à maux de crâne.

Mais ce domaine-là n'a pas toujours été ce lieu de pèlerinage où les gens se pressent aujourd'hui. Théophile, le fils aîné d'Henri, nous confie qu'à l'origine, c'est le grand-père notaire, plus buveur d'étiquettes que vigneron dans l'âme, qui a planté ici les premières vignes. Son but affiché à l'époque : faire de l'argent grâce à des « cépages qui crachent ». « Le grand-père Milan n'était pas un agriculteur, il ne mettait pas le cul sur un tracteur, il voulait faire de l'argent », surenchérit le fiston.

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De l'argent qu'il ne fit pas vraiment. Si bien qu'en 1984, Robert Milan hésite à tout vendre ou tout arracher.

Un an plus tard, le tout jeune Henri – aujourd'hui devenu un quinqua pétulant – rentre de son service dans l'armée et décide de reprendre le domaine. Habitué à chaparder avec sa femme les grands crus bordelais et les quelques Bourgognes que son père gardait à la cave, il s'est formé en amateur au fil des années, avec toujours comme devise le rejet des vins à maux de crâne.

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Les derniers muscats, passés sous les radars des vendangeurs.

En 1986, Henri et sa femme deviennent officiellement propriétaires avec « comme peu d'ambition de faire bio et sain ». Pied à l'étrier, Henri bachote et dévore tout ce qu'il avait sous la main « plutôt que d'aller boire des coups avec les copains ». Néanmoins, il ne part pas se former chez les autres vignerons – son père le met en garde : « Si tu pars, j'arrache les pieds. » Pendant dix ans, il tâtonne un peu, forcément, et apprend grâce à des rencontres décisives. Parmi ces dernières : l'agronome Claude Bourgignon et le vigneron Claude Courtois.

En accord avec ses principes, il aligne chaque pied en fonction du réseau Hartmann et espace les pieds et les rangées de la valeur du nombre d'or.

Et puis en 1998, c'est la révélation : la naissance du millésime exceptionnel du Clos Milan. « Le clos » en question, c'est sa parcelle de vignes préférée, celle située devant sa maison et qui fait l'objet de ses expérimentations. Il fait arracher les pieds qui, fatiguées par les produits des dernières décennies, ne donnaient que péniblement. Sur cet ancien cimetière romain, Henri Milan replante des jeunes grenaches, syrahs et mondeuses, un cépage savoyard. En accord avec ses principes – qui pourraient passer pour ésotériques –, il aligne chaque pied en fonction du réseau Hartmann et espace les pieds et les rangées de la valeur du nombre d'or. Un dernier petit plaisir.

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« Quand je vais vieillir, ce sera la parcelle que je continuerai à tailler. Tous les matins, elle sera en face ce moi … Et puis j'ai voulu façonner ce terrain à ma façon avant que mes gosses ne me virent », s'amuse Henri Milan

Car à force de faire de la politique, Henri Milan a dû raccrocher le sécateur pour passer le relais à ses deux aînés.

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Théophile Milan et Sébastien Xavier, la relève du Domaine Milan.

Et chacun a trouvé sa place. L'aîné, avec sa tchatche toute « Milanaise », est à la vente. Ce jour-là, Théophile puise dans son anglais de séries américaines pour expliquer leurs méthodes de vinification à des Texans de passage. Il s'épanche sur ce qu'est le soufre mais prend aussi quelques infos sur le prix du foncier des terres viticoles californiennes…

Pendant ce temps-là, Emma, la fille d'Henri âgée de 25 ans, disparaît derrière les cuves en béton et les barriques de la cave. Avec sa formation d'oenologue, elle surveille l'avancée des fermentations pour ces tout jeunes vins, pressés il y a moins de deux mois.

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Emmanuelle Milan surveille ses nectars.

Quand la cadette décide de rejoindre l'école de viticulture, il y a quelques années de cela, son père la prévient : « Il va falloir désapprendre tout ce que tu as appris ! » Et en effet, les premiers mois, Emmanuelle Milan rentrait au domaine en dénigrant les vins bio. « Je lui ai dit, tu arrêtes de lire, tu bois, tu verras », se rappelle son père.

Devenue une fervente défenseur du bio, elle se souvient : « On nous apprenait quelles levures il fallait mettre et on n'abordait même pas la question des levures indigènes, car il fallait être fou pour mettre des levures indigènes. » Tout l'inverse de ce qu'on trouve dans les cuves Milan aujourd'hui où les levures – qui amènent à la fermentation – proviennent seulement du raisin.

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S&X, la cuvée érotico-gouleyante du maître de chai, Sébastien Xavier.

Les Enfants Milan semblent tout de même s'éloigner de la tendance. Théophile s'enorgueillit de ne pas faire du vin nature. Il semble s'interroger sur la définition même de ce type de vin – le vin nature étant issu de raisins sains, produits en bio ou en biodynamie, et vinifié sans ajout de produits, sauf un peu de sulfite, le vigneron s'effaçant le plus possible, laissant le vin faire son affaire. L'aîné vitupère aussi contre l'utilisation des amphores, « encore une nouvelle mode »…

Mais pour autant, la fine fratrie ne s'interdit pas de sortir des sentiers battus et de faire dans le non conventionnel : des macérations pelliculaires aux récoltes de raisins presques « sur-maturées », les nouvelles étiquettes fleurissent sur les bouteilles en même temps que les nouvelles techniques (S&X, le Milan nouveau…).

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Des étiquettes toujours soutenues par le père, qui lui a enfin trouvé la sienne : « Divers droite ».