Ce que proposent les candidats à l’élection présidentielle sur le cannabis
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Drogue

Ce que proposent les candidats à l’élection présidentielle sur le cannabis

Légalisation, dépénalisation, tolérance zéro ou je-m’en-foutisme décomplexé – tout ce que vous avez besoin de savoir à trois jours du vote.

« J'ai essayé, mais pas inhalé. » Le 28 mars 1992 sur WCBS, Bill Clinton, en pleine campagne présidentielle, admettait avoir « essayé une fois ou deux » la marijuana. Bill inaugurait là une technique de justification très personnelle, technique qui finirait par lui être bien utile en 1998. Après tout, si fumer sans inhaler ne constitue pas un délit, il doit en être de même pour pas mal de conduites un peu « limites ».

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Contrairement au scandale Lewinsky, personne n'a vraiment reproché à Clinton d'avoir fumé un joint au milieu des années 1960. Moins d'un an plus tard, l'homme devenait d'ailleurs le 42e président des États-Unis. Le coming out des stoners de la politique demeure cependant une opération délicate. Barack Obama, Jeb Bush, Michael Bloomberg et même Sarah Palin ont tous admis avoir déjà fumé au cours de leur jeunesse. Généralement à la fac, parfois à l'étranger, mais presque toujours « une fois ». En France, Manuel Valls, pas vraiment connu pour son sens de l'humour, a confessé sur BFM « avoir essayé peut-être une fois ». Si la nature incertaine du souvenir trahit une certaine confirmation en soi, Manu est donc le premier homme politique « présidentiable » – ou qui le fut un jour – à passer le cap. De son côté, Daniel Cohn-Bendit n'avait pas attendu 2017 pour soutenir Cécile Duflot et sa proposition de dépénalisation du cannabis en racontant avoir déjà « pris des petits gâteaux ». La même année, en 2012, Jean-Louis Borloo racontait à Nicolas Sarkozy qu'il lui était arrivé de s'être endormi tellement profondément après avoir fumé un joint qu'il avait failli provoquer un incendie.

Qu'est-ce que tout cela prouve ? Que malgré ce que vous avez pensé en matant une énième fois la vidéo de Jean Lassalle en train de raconter son premier enterrement en tant que maire, les politiciens sont des Français comme les autres. Selon une étude de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies datée de 2015, 17 millions de Français ont déjà expérimenté le cannabis. 43 % des Français seraient d'ailleurs favorables à la dépénalisation des drogues « douces » comme le cannabis selon un récent sondage. Pourtant, la question de la dépénalisation du cannabis n'a que peu été évoquée au cours de cette campagne. Seul Benoît Hamon a avoué avoir déjà consommé du cannabis – au cours de sa jeunesse, évidemment. Après, a-t-on vraiment besoin de savoir ce que fait Philippe Poutou de ces dimanches bordelais, si Jean-Luc Mélenchon est allé tirer une taffe sur un deux-feuilles à Nuit Debout ou qui de Jacques Cheminade ou Emmanuel Macron roule le mieux ? Non. La seule chose qui importe est la suivante : l'un des onze candidats sera bientôt le nouveau dirigeant de notre pays. Entre autres choses, il ou elle devra répondre à cette question : « Monsieur/Madame le/la Président(e), qu'est-ce qu'on fait avec la weed ? »

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Et les réponses, bien sûr, divergeront. Commençons par Benoît Hamon. Le candidat du Parti socialiste semble le plus intéressé par la question. Bien conscient du fait que les Français sont, depuis l'année dernière, les sixièmes plus gros consommateurs de cannabis au monde, le candidat Hamon opte pour la légalisation. « Je légaliserai l'usage du cannabis pour les majeurs », affirme-t-il dans son programme, avant de poursuivre. « J'encadrerai sa distribution pour tarir les trafics à la source et protéger nos citoyens des pratiques des dealers . » Sur RTL, le candidat jugeait « hypocrite » de « ne pas regarder que les politiques de répression et de prohibition ne marchent pas ». Mais ce qui intéresse également Benoît Hamon, c'est l'argent. Défendant la mise en place de « points de vente d'État », Hamon a adopté une position proche de celle mise en place par l'État américain du Colorado en 2014 – à savoir un État qui régule la production et la vente de cannabis et engrange des recettes grâce à une taxe de 30 % prélevée sur les ventes de chacun des magasins accrédités. Douze mois après l'introduction de la loi, le Colorado se retrouvait avec 50 millions de dollars sur les bras – soit un peu « trop » d'impôts selon la Constitution en vigueur. En janvier, Alexis Bachelay, porte-parole du candidat Hamon, précisait la volonté de son champion : « L'idée générale, c'est de réconcilier le cannabis et le made in France. De la même manière que nous étions il y a quelques années un important producteur de tabac, nous souhaitons mettre en place une filière agricole française du cannabis, supervisée par l'État. » Une fois légalisée et produite en France, la drogue pourrait être vendue chez des buralistes préalablement agréés, afin de lutter contre la baisse de leurs revenus liée à la diminution du nombre de fumeurs en France. Toujours selon Benoît Hamon, la fin du tout répressif permettrait de récupérer 568 millions d'euros par an, argent qui serait transféré à « la prévention et [l]'information sur les risques associés à cette consommation » – autrement dit, à l'achat de posters aux slogans gênants sans doute amenés à être accrochés dans les écoles. Avec 8 % d'intentions de vote, on ne le saura probablement jamais.

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« La répression antidrogue, c'est surtout un prétexte pour porter préjudice aux jeunes des quartiers. Les gens du show-biz ne subissent pas le même traitement alors que les stupéfiants circulent aussi dans ces milieux. » – Philippe Poutou

Bien au-dessus dans les sondages, frisant même parfois le second tour, Jean-Luc Mélenchon est également en faveur de la légalisation. Dans l'une de ses divertissantes bien que déroutantes vidéos YouTube, le candidat de la France insoumise déclare : « Je suis favorable à la légalisation du cannabis parce que je ne suis pas favorable au cannabis. » Une façon de dire que l'homme maîtrise parfaitement les références philosophiques assimilées en terminale et que s'il ne fume pas de joints avec ses enfants majeurs devant la télé, il n'a pas franchement la motiv' de vous l'interdire. Mélenchon veut « légaliser et encadrer la consommation » tout en contrôlant « la qualité des produits et [les] quantités écoulées ». De plus, il désire interdire « la vente d'alcool et de cannabis dans un même lieu », ce qui promet quelques déplacements mémorables pour nos stoners les plus persévérants. Contrairement à Benoît Hamon, pas question de vendre du cannabis dans les bureaux de tabac. Clémence Movire, coresponsable du travail programmatique de la France insoumise, l'expliquait à France Info : « On sait que le cannabis constitue un pont assez immédiat vers la consommation de tabac, contre laquelle nous souhaitons lutter. Il nous semble important de dissocier les deux. » On se dirigerait donc vers des « cannabistrots », des sortes de coffee-shops à la néerlandaise dans lesquels il serait interdit de fumer du tabac. Pour Jean-Luc Mélenchon, la légalisation est également une question d'économie : grâce à elle et à la suppression de l'état d'urgence, le candidat compte économiser 190 millions d'euros et s'en servir pour des postes de policiers et de gendarmes.

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Troisième et dernier candidat à promouvoir la légalisation du cannabis, Philippe Poutou était un partisan absolu de l'autorisation des drogues. L'ouvrier de Ford l'affirmait haut et fort au Parisien en 2011 : « Pour aider les gens à moins consommer de stupéfiants, je propose de dépénaliser toutes les drogues. Douces et dures. » Observant que « la répression ne sert à rien, elle est inefficace puisque la consommation ne diminue pas », le candidat de Nouveau parti anticapitaliste s'inspirait du modèle portugais. « L'expérience menée au Portugal est instructive. L'usage de stupéfiants y a été décriminalisé. Et depuis 2001, il n'y a pas eu d'aggravation ou d'augmentation de la consommation, car la dépénalisation a été accompagnée d'une politique sanitaire et médicale ambitieuse. » Et Poutou d'ajouter : « La répression antidrogue, c'est surtout un prétexte pour porter préjudice aux jeunes des quartiers. Les gens du show-biz ne subissent pas le même traitement alors que les stupéfiants circulent aussi dans ces milieux. » Aujourd'hui, Philippe Poutou semble avoir tempéré son discours : dans son programme de 2017, il ne défend « que » la légalisation du cannabis.

Quant à Nathalie Arthaud de Lutte ouvrière, elle ne s'étale pas vraiment sur la question. En 2016, elle déclarait que « la jeunesse a mieux à faire que de chercher des paradis artificiels » tout en ne se déclarant pas forcément opposée à la légalisation. Sur son site de campagne, elle défend une dépénalisation du cannabis tout en appelant à un grand débat entre médecins et professionnels au sujet de la légalisation, pour laquelle elle semble assez sceptique. Nathalie Arthaud estime que c'est « la prévention et pas la répression qui doit être le maître mot de la politique de santé à mener ».

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À droite, la légalisation du cannabis est tout sauf acceptée. François Fillon s'étonnait en 2016 chez RMC du « mouvement de plus en plus dur contre le tabac […] et de l'autre côté [de la volonté] de dépénaliser le cannabis ». Pour le candidat des Républicains, « [les politiques conduites] dans d'autres pays qui ont dépénalisé le cannabis n'[ont] pas les résultats qu'on veut bien [leur] donner ». Le sujet « cannabis » semble être une non-question pour Fillon. Le mot n'apparaît qu'une seule fois dans son programme, dans une partie consacrée à la prévention des addictions, entre « l'écran », « l'alcool » et « le tabac ». Pour lui, c'est simple : si la dépénalisation ne fait pas baisser le nombre de consommateurs, alors à quoi bon ? Lors d'un passage à L'Émission Politique de France 2 avant les primaires de la droite et du centre, François Fillon avait été interrogé par Noël Mamère au sujet d'une éventuelle « légalisation contrôlée ». Réponse ferme : « Je propose que l'usage du cannabis soit sanctionné par une contravention quand il n'y a pas récidive. Quand il y a récidive, c'est un délit, et je suis pour la criminalisation du trafic. »

De son côté, la position du FN n'a pas bougé d'un iota depuis sa création en 1972. Cette année encore, Marine Le Pen est complètement opposée à une modification de la législation en vigueur. Si son programme ne contient pas une seule fois les occurrences « drogue » et « cannabis », son directeur de campagne David Rachline critiquait la légalisation, un projet « complètement délirant ». Pour la candidate, si la police et l'État galèrent depuis des années à freiner le trafic, à réduire la consommation et à protéger les consommateurs, c'est qu'on « ne s'en donne pas les moyens ». Sur Europe 1, elle précisait sa pensée : « On est en train de perdre la guerre de la drogue mais pour une bonne et simple raison, c'est qu'on ne la mène pas cette guerre de la drogue. » Et Marine Le Pen de poursuivre en évoquant directement une possible légalisation du cannabis : « Cette fausse bonne idée tourne depuis maintenant 60 ans et, heureusement pour le moment, les gouvernements ont eu la sagesse de ne pas lui donner de conclusion. » De son propre aveu, Marine Le Pen « n'a jamais essayé » de tirer sur un joint. « Tout ceci me fait bien trop peur pour que j'essaye, voyez-vous », déclarait-elle en 2011, toujours sur Europe 1.

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Toujours à la droite de la droite de la droite, on trouve Nicolas Dupont-Aignan – l'homme qui apprécie les happenings lors du JT de TF1. Lui accuse directement Benoît Hamon et Nathalie Kosciusko-Morizet d'être « des collabos ». Pourquoi ? Parce ces deux-là avaient fait part de leur intention de légaliser – pour l'un – et de dépénaliser – pour l'autre – le cannabis. « C'est une hérésie, il y a un mal eh bien couchons-nous devant », éructait le candidat de Debout la France, avant de poursuivre : « Dans notre pays on doit lutter contre la gangrène de la drogue, l'inquiétude majeure des parents […] c'est que nos enfants sombrent dans la drogue parce que des trafiquants tiennent le terrain. » Dont acte.

« Je ne crois pas à la dépénalisation des petites doses ni aux peines symboliques. » – Emmanuel Macron, en février 2017

Pour un homme qui parle beaucoup de conquérir Mars, Jacques Cheminade n'est pas du genre à s'aventurer sur le terrain accidenté de la planète ganja. Il veut « sanctionner la consommation par une simple contravention de 100 euros », et c'est à peu près tout.

Du côté de Jean Lassalle – qu'on imaginerait très bien en stoner devant l'Éternel – c'est niet quant à la légalisation du cannabis. Jean Lassalle marche, Jean Lassalle fait la grève de la faim, Jean Lassalle commente les décolletés des jeunes filles, mais Jean Lassalle ne veut pas de la weed en magasin. Il propose simplement de « revoir et évaluer la politique en matière d'addictions » et « d'envisager de classer la consommation de stupéfiants comme simple contravention, et non plus comme un délit ».

Et enfin, qu'en pense le leader des sondages au moment où j'écris ces lignes ? Eh bien, il ne sait pas. Ou il ne sait plus. Enfin, il se tâte. En septembre 2016, Emmanuel Macron déclarait que « la légalisation a une forme d'efficacité ». Deux mois plus tard, dans son livre « programmatique » sobrement intitulé Révolution, il écrivait : « Une contravention serait beaucoup plus économe en temps pour la police et la justice et bien plus dissuasive qu'une hypothétique peine de prison dont tout le monde sait qu'elle ne sera jamais finalement exécutée. » Il évoquait alors une dépénalisation de la détention en petite quantité afin de désengorger les tribunaux – et, par extension, les prisons – puis ajoutait « il est vain de pénaliser systématiquement la consommation de cannabis ». Sauf qu'en février 2017 le voilà qui déclare au Figaro : « Je ne crois pas à la dépénalisation des petites doses ni aux peines symboliques. » Macron déclare vouloir appliquer « une tolérance zéro » à l'encontre de la délinquance. Comme personne n'avait rien compris à la position du candidat, RTL a posé la question à Gérard Collomb, maire de Lyon et lieutenant du fondateur d'En Marche !. Réponse de l'intéressé : « Il n'a jamais dit qu'il était pour la légalisation du cannabis. Il croit à des amendes exécutées immédiatement. » En réalité, Emmanuel Macron semble jouer sur le double sens du terme « dépénalisation ». Si certains considèrent que la dépénalisation consiste à lever toute sanction, Macron choisit la deuxième interprétation du terme : fumer n'est plus un délit, mais reste passible d'une contravention de 100 euros. OK.

Ps : On n'a trouvé aucune trace d'une proposition de François Asselineau sur le cannabis, d'où l'oubli volontaire. Désolé les partisans du « Frexit ».

Hélène est sur Twitter.