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Music

Le jour où Vin Diesel a rencontré Arthur Russell pour enregistrer un morceau de rap

New York, milieu des années 80, tout était possible, même l'impensable.

Quiconque avance que Vin Diesel n'est pas un hipster se fourre le doigt dans l'œil jusqu'au coude. Dans XXX, un documentaire sur sa vie tourné en 2002, que la production a labellisé « film d'aventure/action » par erreur, Vin Diesel porte des Vans, balance une décapotable du haut d'une falaise pour défendre la portée sociétale des jeux vidéos violents et du rap, traîne avec Bam Margera dans un loft doté d'une rampe de skate, se fait pote avec un criminel anarchiste en lui balançant des lyrics des Vandals, se rend à deux raves, saute quatre fois en parachute, échappe à une pluie de balles en faisant des tricks de motocross, et déclenche une avalanche en faisant péter de la dynamite avant de dévaler la dite avalanche sur un snowboard. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire qu'il n'y a qu'un authentique hipster pour faire ce genre de trucs.

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Même si j'ai sorti au moins deux mensonges dans le paragraphe précédent – Vin Diesel n'a vraiment rien d'un hipster et, même si j'en rêve, XXX n'est pas un documentaire mais bel et bien un film d'espionnage/sports extrêmes tout à fait classique – il y a une vérité à entendre ici, et cette vérité est la suivante : malgré le fait qu'il soit un quinqua chauve devenu millionnaire grâce à ses rôles dans des films absurdes où les thèmes principaux sont les bagnoles et les explosions, Vin Diesel pèse presque autant dans le rap game que Ludacris, une des nombreuses stars avec qui il partage l'affiche dans Fast & Furious 8, nouvel opus de la série, sorti le 12 avril dernier.

Avant que sa carrière d'acteur ne décolle réellement Vin Diesel était videur au légendaire club new-yorkais The Tunnel, aussi réputé pour son impact sur la scène rave de la ville que pour avoir été le lieu de gestation d'un sous-genre entier du hip-hop. Mais, à l'instar des racines physiques de Groot, l'arbre doué de conscience auquel l'acteur prête sa voix dans la franchise Les Gardiens de la galaxie, les racines qui lient Vin Diesel au vrai hip-hop sont bien plus profondes que ce qu'on pourrait croire. Vin Diesel est originaire de New York, et il est assez vieux pour être votre père ; de fait, il a pu vivre la naissance du rap en direct. Et il a même joué un petit rôle dans la scène du milieu des années 80. À l'instar de son collègue Jason Statham (qui fut danseur dance dans les 90's), c'est lui le petit bonhomme en survet' qu'on voit se tortiller dans cette vidéo didactique de breakdance (et qui est à deux doigts de se prendre un coup de pied dans les ******** vers 1:45). Cliquez et laissez vous porter par sa grâce :

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Le plus important dans l'histoire, c'est que Vin Diesel s'est un jour courageusement essayé au rap, et s'est admirablement planté. Et même si ce n'est pas le premier comédien d'un certain âge à avoir enregistré un morceau de rap sans lendemain à un moment donné de sa carrière (cf Joe Pesci), celui-ci a le mérite d'avoir été posé sur un beat produit par Arthur Russell, ce qui n'est pas rien. Le seul fait que Russell, musicien underground et violoncelliste de renom, dont le travail opérait la jonction entre composition expérimentale, musique folk et disco – tout ça souvent au sein d'un seul et même morceau – se soit essayé au hip-hop est, en soi, significatif. Et si on rajoute un jeune Vin Diesel, qui utilisait simplement ses vrais nom et prénom (Mark Sinclair) en guise de blase, dans l'équation, la situation atteint des sommets de bizarrerie. Dans un enregistrement de la session qui a refait surface il y a quelques années, on entend clairement Diesel/Sinclair tenter de poser sur le beat, totalement décontenancé par ces rythmes syncopés. Si l'expérience avait abouti à un vrai morceau, Vin Diesel aurait pu être le nouveau LL Cool J – ou, compte-tenu de la production extra-terrestre de Russell, le nouveau Rammellzee.

J'ai écrit à l'équipe de Vin Diesel dans l'espoir de pouvoir discuter avec lui de cette incursion complètement dingue dans l'histoire de la musique expérimentale mais, invoquant un emploi du temps extrêmement chargé – il prend quelques vacances entre la promo de Fast & Furious 8, dans lequel il joue Dominic « Vin Diesel » Toretto, et le prochain épisode de la série des Gardiens de la Galaxie, pour lequel il assure toujours la voix du susmentionné Groot –, ils ont décliné mon invitation. Par contre, j'ai réussi à mettre la main sur Gary Lucas, l'artisan de cette rencontre surnaturelle.

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« J'ai tendance à m'enthousiasmer pour les jeunes artistes et les jeunes gens que le grand public a oublié », m'a expliqué Lucas, guitariste avant-gardiste, qui a fait ses débuts dans le groupe de Captain Beefheart, et qui plus tard contribua à faire connaître un Jeff Buckley encore débutant. En plus de son travail en tant que guitariste, Lucas occupait un taf de bureau chez CBS Records au milieu des années 80 et bossait comme dénicheur de talents pour le label indé Upside Records. En 1986, dit-il, « J'étais à la recherche d'un rappeur. » Et il fit la rencontre de Mark Sinclair, un ado employé au magasin de glaces du coin de sa rue, dans le West Village. « J'ai tout de suite su que c'était une star », se souvient Lucas.

« Je dois dire qu'à cette époque, Mark n'était pas très bon en freestyle » m'a expliqué Lucas. « Il était vraiment bon quand il rappait a cappella, mais quand on a essayé de le caler sur un beat, il était un peu largué. » Et pour ne rien faciliter, dit-il, « Arthur se contentait de démarrer la bande à n'importe quel moment », ce qui ne faisait que dérouter encore plus Sinclair. « Mark en plaisantait. Il n'arrêtait pas de dire 'Mec, c'est mon côté blanc qui fait tout foirer !' »

Lucas m'a raconté qu'il avait même fait participer le jeune Sinclair à une session studio pour Sugar Hill Records ; mais les choses n'ont pas dépassé le stade des répétitions. « Mark jouait à monsieur-je-sais-tout ; et il joue toujours à monsieur-je-sais-tout d'ailleurs », sourit Lucas. « Keith [Le Blanc, le batteur attitré du studio] avait déclaré texto, 'Je ne peux pas bosser avec ce type.' Il doit probablement s'en mordre les doigts aujourd'hui. »

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La rencontre entre un Vin Diesel adolescent et Arthur Russell en dit long sur le climat artistique du New York du milieu des années 80. C'était une époque où non seulement le hip-hop et la musique d'avant-garde se mélangeaient, mais où le hip-hop était aussi avant-gardiste que la no wave ou le post-punk. Et compte-tenu du succès phénoménal que rencontrait Run-DMC à l'époque, les labels savaient qu'il y avait de l'argent à se faire, et qu'il fallait en profiter, même s'ils n'avaient aucune idée de ce qui marchait et de ce qui ne marchait pas. Il semblait cohérent de faire se rencontrer une des figures les plus talentueuses de l'underground new-yorkais et un ado charismatique qui vendait des glaces, juste pour voir si on avait déniché la poule aux œufs d'or.

En ce qui concerne la session à proprement parler, elle a quand même eu des effets positifs. « Arthur était un type magnifique, avec une très belle âme », m'a expliqué Lucas. « Lors de cette session, après que le truc ait foiré, j'étais abattu, et il m'a dit 'Tu devrais consacrer ton temps à la musique, parce que tu as l'air plus heureux avec une guitare dans les mains.' » C'est la remarque de Russell qui donna à Lucas l'envie de quitter son boulot, et de devenir musicien à plein-temps.

Même si Sinclair a fini par changer son nom en Vin Diesel et par rencontrer le succès dans le monde du cinéma, il est resté proche de Lucas. « Il a intégré la famille », confie Lucas. « Plus tard, c'est ma femme qui s'est occupé du casting d'un film indépendant qu'il a réalisé à crédit, le film s'appelait Strays. » Les fans de Vin Diesel, dont je fais partie, savent que Strays a fini par payer – Steven Spielberg a eu vent du film, et donna un rôle à Diesel dans Il faut sauver le doldat Ryan, ce qui a filé un bon coup de nitro au moteur de sa carrière. « Il fait les choses à sa manière, et à son rythme » conclut Lucas. « La plupart du temps, ça marche bien, mais parfois, il tombe sur des gens tout aussi têtus que lui. »

[Aux dernières nouvelles, Vin Diesel aurait également enregistré un morceau avec Steve Aoki, mais on ne préfère pas y penser.]

Future Days est la colonne mensuelle de Drew Millard. Vous pouvez le suivre sur Twitter.

Les photos sont signées Nolan Allan. Il est sur Instagram.