Les Visages de Montreuil

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Les Visages de Montreuil

Jean-Fabien Leclanche a capturé sa ville, ses bouts de trottoirs et ceux qui y passent.
Glenn Cloarec
propos rapportés par Glenn Cloarec

« Good Morning Montreuil » représente ma ville, mon quotidien de passant, les bouts de trottoirs et les conversations. Il montre la ville de Montreuil dans sa singularité et sa complexité. Ce projet – qui est depuis devenu un livre – est le fruit de cinq ans de photographies réalisées via l'application Hipstamatic avec trois générations différentes d'iPhones.

Le but initial était surtout de lutter contre la forme d'inertie que finit par imposer la vie urbaine. J'ai commencé à un moment où je m'emmerdais un peu dans ma propre vie, dans une période de transition où il ne se passait finalement pas grand-chose d'exceptionnel. Au lieu de glisser dans la banalité des trajets automatiques entre mon appart, le troquet du coin, le Monoprix et le métro, j'ai refusé d'avoir cette vie et ce rythme sans relief qu'ont la plupart des Franciliens qui vont d'un point à un autre en pilote automatique, sans même avoir conscience que, si leur environnement est absent de leur champ de vision, eux aussi sont devenus totalement invisibles.

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L'iPhone m'a permis de me rendre disponible au monde. Ce n'était pas une question de regard, mais plutôt de rapport au temps. C'est au moment où je me suis mis à photographier avec mon mobile que la ville m'est vraiment apparue dans sa luxuriance, sa douceur ou son obscénité. J'ai vu du beau dans le laid et des trésors cachés à chaque coin de rue. Avec l'application que j'ai utilisée, la possibilité de shooter nativement au carré m'a tout de suite convaincu. Cela me permettait de créer une « signature graphique » toujours identique et d'encapsuler une histoire à chaque fois différente. J'ai commencé à partager ces petits snapshots sur les réseaux sociaux et je n'ai pas tardé à me rendre compte que je ne témoignais pas de mes errances quotidiennes mais de la mémoire éphémère de mon environnement.

Photos de Jean-Fabien Leclanche

Montreuil est une ville puissante et rebelle, contrastée, paradoxale. C'est une ville de fiertés qui fonctionne en petits réseaux plus ou moins poreux. Tu as le bas Montreuil, gentrifié, tenu par la gauche et les bobos. C'est une sorte de triangle d'or formé par la place de la République, la Croix de Chavaux et la frontière avec Vincennes. C'est aussi le Montreuil des squats, des marchands de sommeil et des anciens bouts d'usines transformés en lofts aux surfaces insolentes. Et tu as le haut Montreuil. Le Montreuil des cités, du territoire gitan et de la bordure d'autoroute. Ces différents quartiers ne se rencontrent pas si souvent, mis à part sur le marché du vendredi ou du dimanche à la Croix de Chavaux. C'est ce Montreuil constitué de 88 nationalités différentes que j'aime voir et capter. Quand, le temps d'un instant, se créé le mirage de la mixité sociale.

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J'ai donc photographié à l'instinct et sur l'instant la ville et ceux qui la peuplent. Ici se croisent punks à crêtes et vieux musulmans qui font la quête pour financer la future grande mosquée. Je n'ai pas toujours été conscient de ma démarche, car elle n'était pas préméditée ni éditorialisée. « Good Morning Montreuil » est donc à la croisée de plusieurs pratiques photographiques. On y trouve des portraits candides, des ambiances street mais aussi des clichés qui font sens socialement ou politiquement. Finalement, ce projet raconte autant cette ville qu'il ne la montre.

À Montreuil, ce qui me marque le plus est la fierté que les habitants ont d'être Montreuillois. Si la ville est crade, que les faits de violences sont réguliers et que pouvoir y habiter devient compliqué et de plus en plus cher, les Montreuillois aiment leur ville. Certains n'en sortent quasiment jamais. Je reste aussi marqué par l'échiquier politique. La droite est quasiment absente de ce qui ressemble parfois à un champ de mines politique ou un jeu de massacre. La gauche montreuilloise – où plutôt les gauches – s'y étripe joyeusement depuis des décennies. Tout y passe : les coups bas, les jeux d'alliances, les retournements de vestes, les promesses non tenues, la langue de bois, la course au pouvoir. C'est une ville militante et engagée avec tout ce que cela peut avoir de monstrueux et d'intolérant, au final.

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Une autre chose qui me questionne depuis mon arrivée là-bas, au début des années 2000 : Montreuil est une ville de près de 120 000 habitants dont près de 10 % de la population travaille dans les industries dites « créatives et culturelles ». C'est la ville de France qui a le plus fort taux d'intermittents du spectacle. Pourtant, Montreuil est une ville sans véritable politique culturelle. À quelques exceptions près, la culture à Montreuil est le fruit d'initiatives privées. Les plasticiens galèrent pour parvenir à montrer leur travail, les lieux de diffusion sont inexistants ou bunkerisés, à l'exemple du centre d'art contemporain « Le 116 » dont personne ne comprend la raison d'être ni la mission. Alors que l'on évoque Montreuil la « ville-monde », le « Brooklyn connecté et solidaire », les artistes et les organisateurs sont obligés d'avancer sans soutiens ni reconnaissance. Et c'est un vrai problème : bricoler pour recevoir un public sans garantie de pouvoir pérenniser quoique ce soit à terme.

Pour l'instant, j'ai vraiment la sensation que les politiques n'ont toujours pas compris le potentiel de cette ville ni ce que pourrait leur rapporter une véritable stratégie pour la culture à Montreuil. J'ai néanmoins espoir que les choses évoluent positivement et que nos élus parviennent à se saisir de la culture comme d'un véritable levier, et non plus seulement comme d'un élément de langage.

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Le livre Good Morning Montreuil de Jean-Fabien Leclanche est disponible dans la collection « Villes mobiles » des Éditions de Juillet.