« Song to Song », ou comment Terrence Malick a décidé de nous dire qu’il n’en a plus rien à chier
Photo : Broad Green Pictures/Van Redin

FYI.

This story is over 5 years old.

Culture

« Song to Song », ou comment Terrence Malick a décidé de nous dire qu’il n’en a plus rien à chier

Il y a même un caméo des Red Hot Chili Peppers. Misère.

Song to Song, le nouveau film de Terrence Malick, c'est un peu comme la fonction « petite loupe » de ton application Instagram. T'sais, celle qui te fait découvrir tous ces comptes qui t'insupportent et te fascinent à mesure égale? Ceux du monde qui ont une backstage pass pour Austin City Limits et Coachella, mais qui ne semblent pas travailler dans l'industrie de la musique pour autant. Celui du Blanc en voyage au Mexique, qui trouve les gens de la place donc bien pittoresques. Celui de l'aspirante mannequin qui publie des booty shots dans des villas louées (pis des nudes sur son Snapchat auquel tu peux t'abonner pour 30 $ par mois). Tout ça, là.

Publicité

C'est le compte du gars plate dans ton entourage qui aime un peu trop l'architecture; l'autre qui a un faible pour les beaux ciels bleus et les couchers de soleil d'été (reviens-en, pour vrai). L'autre qui tripe sur l'effet lenticulaire que son iPhone 7 fait quand il le pointe perpendiculairement vers le soleil. Ou encore le gars qui pourrit ton feed de « citations inspirantes » parce qu'il va au gym trois fois par semaine (bravo, champion). Écoutez, je comprends, ça passe le temps, et je fais pareil des fois. Mais je suis désolé de vous apprendre aujourd'hui qu'avec Song to Song (2017), notre cher Terry est officiellement devenu « ce gars-là » lui aussi.

La dérape contrôlée de la filmographie de Terrence Malick est un des phénomènes les plus fascinants du cinéma contemporain : après s'être fait attendre six ans entre The New World (2005) et Tree of Life (2011), c'est comme si cette sommité du septième art avait subitement réalisé que la vie est beaucoup trop courte pour la passer à bâtir patiemment une œuvre impeccable.

Avec To the Wonder (2012), Knight of Cups (2015) et maintenant Song to Song (en passant par Voyage of Time, essentiellement un B-side à Tree of Life), Malick nous refait le même film saturé d'images d'errance, de Nature, d'architecture moderne, de beaux corps qui tourbillonnent dans le vent ou dans les draps du genre de lit king size qu'on retrouve sur un tournage de porno.

La même réflexion poche sur l'hédonisme, sur l'amour perdu-puis-retrouvé et la possibilité de trouver le Paradis sur Terre, sur fond de l'Amérique contemporaine, du sud-centre des États-Unis à Los Angeles, et maintenant à Austin et sa scène musicale. Les mêmes triangles amoureux, les mêmes douchebags infidèles (Ben Affleck, Christian Bale et maintenant Michael Fassbender), les mêmes scènes – d'abord époustouflantes, maintenant embarrassantes – censées connoter le vertige du monde contemporain. Pas besoin de résumer celui-ci du moment que tu as vu les autres : de beaux acteurs (Gosling, Fassbender) sont pognés dans un même va-et-vient amoureux, sautant d'une fille à l'autre (Rooney Mara, Bérénice Marlohe, Lykke Li, Cate Blanchett, Natalie Portman). Tout le monde couche avec tout le monde, la vie est belle (mais pas vraiment, dans le fond), il y a des caméos (Iggy Pop, les Red Hot Chili Peppers, misère) pis je suis censé ressentir quelque chose de profond pour ces gens-là?

D'une part, difficile de ne pas être admiratif de Malick : le gars en a réellement rien à chier. Il va chercher du financement avec de grosses têtes d'affiche, puis n'en fait qu'à sa tête, poussant son style narratif et visuel de plus en plus loin vers l'abstraction, question de repasser sans cesse à travers ses daddy issues, ses obsessions visuelles, pis fuck off si t'es pas down avec ça. Val Kilmer hurle « I've got plutonium » pis pète un ampli avec une chainsaw — c'est pas rien. Rooney Mara fixe un steak dans l'allée des viandes au Costco. Gosling tire du gun dans un champ de blé (un beau clin d'œil à Badlands, I guess). Oh oui, pis Patti Smith donne des conseils de vie à un moment donné. Mais, au final, c'est un peu comme le gars qui essaie de te vendre son lifestyle brand sur Instagram : le flot d'images finit plus de ne pas finir, pis si au début tu trouvais que c'était bien beau ses photos du Tate Modern, pis c'est que c'est une bien bonne idée, les smoothie bowls, tu finis quand même par te sentir comme de la marde pis te désabonner en questionnant ta propre naïveté et ta place dans l'Univers.

C'est peut-être ça le but? On se demande encore ce que Malick lui-même pense de ses personnages – ses scénaristes désabusés, ses artistes sans talent, ses musiciens trop beaux pour être crédibles. Car bien qu'on puisse désormais en rire, son cinéma demeure obsédé par l'idée de la transcendance. Ses récents films – pour toute leur insistance sur les plaisirs de la chair, sur le matériel, sur l'argent et le vide d'une vie passée à le flauber – finissent toujours par une sorte d'absolution. Olga Kurylenko touchée par la lumière divine; Christian Bale qui marche vers le Dieu-Soleil (?); Gosling et Mara qui « retournent à la terre » dans les 10 dernières minutes du film. C'est souvent too little, too late quand tu viens de passer deux heures à regarder ce beau monde là être pas-du-monde, mais bon, j'imagine qu'il y a une leçon à tirer de tout ça… En attendant, je retourne flâner sur Instagram, persuadé que les belles images de beau monde dans de belles maisons, ça ne fait pas toujours de bons films pour autant.