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François Cevert, le prince qui aurait pu devenir le roi de la Formule 1

Le pilote français devait devenir une grande star du sport automobile, mais le destin en a décidé autrement le 6 octobre 1973.
Imagen vía WikiMedia Commons

Tous les jeudis, VICE Sports revient sur un événement dans l'Histoire du sport qui s'est déroulé à la même période de l'année. C'est Throwback Thursday, ou #TT pour vous les jeunes qui nous lisez.

Connaissez-vous cette sensation lorsque vous êtes en train de discuter avec un ami que vous aimez beaucoup et que vous ne pouvez pas lui dire qu'il se trompe, parce que vous ne voulez pas voir la tristesse sur son visage ?

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Vous êtes-vous aussi rendu compte à quel point c'est bon de lui dire "c'est bien", qu'il "peut le faire", ou qu'il "a raison" ? Tous les petits muscles de son visage se détendent et il sourit aussitôt, se souvenant de la raison pour laquelle vous êtes de si bons amis.

Si la réponse est oui, vous pourrez alors comprendre pourquoi Jackie Stewart, grand nom de la Formule 1, n'a pas pu empêcher le jeune et impétueux François Cevert d'essayer de prendre le dangereux premier virage du circuit de Watkins Glen en quatrième et non en cinquième (comme tout le monde le faisait) lors de ces brèves minutes intimes avant les essais qualificatifs du dernier Grand Prix de l'année 1973.

– « Si tu arrives sur le virage en cinquième, la voiture est plus facile à contrôler au cas où tu aurais des problèmes », lui a dit Stewart.

« Oui, tu as raison, lui a répondu Cevert. Mais si je le prends en quatrième, la voiture sera plus réactive et le moteur sera au max pour prendre la ligne droite avec le plus de vitesse possible ».

« Comme tu veux François, mais fais attention », lui a alors dit Stewart sur un ton inquiet.

« Ne t'en fais pas, avant de dépasser je me dis toujours que si je meurs, je ne pourrais pas être un héros », lui a répondu le Français en souriant.

Sûr de lui et de sa tactique pour terminer ces tours de qualification en pole position, le jeune pilote français a enfilé sa combi pour commencer la course. Avec le savoir-faire propre à un guerrier, il s'est approché de sa voiture non sans saluer avant cela la magnifique épouse de Stuart, son meilleur ami et compagnon d'écurie. Il lui a fait un clin d'oeil, comme pour lui dire « ne t'inquiètes pas, je vais gagner ».

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Une fois assis dans la voiture, le casque sur la tête, le chaos du circuit a commencé à se faire entendre. Le public présent s'est mis à crier pour rivaliser avec le bruit toujours croissant des moteurs, qui chauffaient quelques secondes avant de sortir à toute vitesse, comme des taureaux prêts à courir vers la liberté. Le ciel s'est éclairci, comme si Dieu lui-même ne voulait rien manquer de la course.

« T'es prêt ? », lui a demandé le chef-mécanicien. « Aujourd'hui nous sommes le 6 octobre, le numéro du châssis est le 006, le numéro du moteur est le 006, et moi j'ai le numéro 6, lui a répondu Cevert alors qu'il montait dans la voiture. Ça doit être mon jour aujourd'hui ! »

Albert François Goldenberg Cevert est né à Paris le 25 février 1944. Son père était de confession juive. Il a pris le nom de famille de sa mère pour cacher l'origine de son père dans une France occupée par les nazis.

« Certains lui trouvaient un côté playboy, il aimait bien s'habiller avec classe, et une fois il a impressionné en se présentant vêtu d'un manteau en peau lui tombant jusqu'aux genoux et d'un collier de poissons », raconte Stewart à propos de Cevert dans son autobiographie Gagner ne suffit pas.

D'après ceux qui le connaissaient, Cevert faisait tout avec une élégance innée, naturelle, qui provoquait la jalousie de tous. Au volant de la voiture, les choses semblaient lui venir avec trop de facilité, comme s'il était né pour conduire – à l'inverse de ce que voulait son père pour lui –, mais cela ne faisait pas de lui quelqu'un de blasé, de prétentieux ou d'empreint de quelconque autre vice qui atteint souvent les gens qui connaissent le succès. Non, lui, il vivait avec la grâce, l'innocence et l'humilité d'un enfant qu'on ne peut haïr.

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Il y a des personnes exceptionnelles qui ont tout et qui dégagent une aura exceptionnelle. Ce sont des personnes qui séduisent immédiatement tous les gens qui se trouvent autour d'eux. François faisait partie de cette catégorie.

Helen Stewart

François devait devenir un grand pianiste, c'est en tout cas ce que sa famille attendait de lui. Il a fait douze ans de piano en y prenant goût. Cependant, est arrivé le jour où son père, lassé de voir rentrer son fils les mains et les vêtements pleins de boue après ses courses furtives en moto, a décidé d'arrêter de l'aider et l'a viré de la maison.

François, qui avait alors la vingtaine, a dû gagner sa vie en faisant des petits boulots. Sa passion pour la vitesse a pourtant continué de grandir grâce au mari de sa sœur, Jean-Pierre Beltoise, un pilote de F1 qui, avec le temps, est devenu en quelque sorte son ange gardien.

Beltoise a convaincu Cevert de participer à une course de voitures sur le circuit de Magny-Cours pour gagner la "Bourse Shell". Même s'il était motard, cela ne lui a pas demandé beaucoup d'efforts pour gagner : non seulement il a battu Patrick Depailler, le jeune espoir du sport auto français, mais il a également gagné la possibilité de piloter en Formule 3. C'est ainsi que sa carrière a commencé.

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Anne Van Malderen – que François appelait ''Nanou'' – était une grande et très belle parisienne, blonde, élégante et de bonne famille. Une de ces filles qui pourrait marcher pieds nus sur le monde, un papillon voletant légèrement entre les célébrités de l'époque sans n'appartenir jamais à personne.

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Alors au sommet de sa beauté, Nanou a commencé à voir des fissures dans le tableau de sa vie. Son bonheur a commencé à se flétrir : son sourire s'est fait de moins en moins brillant, ses yeux ont eu l'air de plus en plus fatigués, les doutes quant à son mariage se sont faits de plus en plus sérieux.

Comme une belle plante qui a besoin d'eau pour rester éblouissante, Nanou avait besoin d'amour et de certitudes sur ce qu'allait être sa vie. A tel point qu'elle s'est résolue à aller voir un médium. « Ton mariage ne durera pas, lui a dit la voyante en la regardant fixement. Tu connaîtras un homme qui laissera une marque indélébile dans ta vie, tu connaîtras le bonheur. Je peux voir ses yeux bleus. Je peux voir la mer, tu le rencontreras près de la mer ».

Et c'est ainsi que ça s'est passé : on était en 1966 et après avoir gagné sa première compétition avec Shell, François a rencontré son seul et unique amour sur les plages du sud de la France entre un Martini, une chanson de Charles Trenet et une baignade.

Qui pouvait être aussi heureux qu'eux ?

À ce moment-là, personne ne pouvait l'arrêter. Le Français avait tout : une carrière prometteuse sur le point de commencer et un couple qui donnait envie à tout le monde. Grâce à la bourse gagnée avec Shell, Cevert a obtenu la permission de participer au championnat de France de Formule 3 au sein de l'équipe Alpine-Renault. Un an plus tard, en 1969, Cevert est passé à la Formule 2 : il a commencé l'aventure neuvième et il est arrivé troisième à la fin du championnat, un résultat correct mais pas spectaculaire.

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Ses résultats, et surtout sa conduite, ont commencé à attirer l'attention de certains observateurs. Parmi les plus intéressants figurait Jackie Stewart, de l'équipe de Formule 1 Tyrell Racing. Ce n'était pas n'importe qui : il était le champion du monde de l'édition précédente avec la Matra de ''l'Oncle Ken'', propriétaire de Tyrell. Stewart a commencé par voir le jeune Cevert comme une menace. Sa conduite libre, innovante, rapide et impertinente ne plaisait pas aux experts comme lui. L'imprévisibilité du génie est toujours gênante.

Mais la chance a de nouveau porté secours à François. Le coéquipier de Stewart, Johnny Servoz-Gavin, s'est justement retiré cette année peu avant la moitié de la saison et la décision a alors été immédiate : François est passé de l'écurie Tecno en F2 à l'écurie Tyrell en F1. Et c'est précisément Stewart qui a pris la décision : mieux vaut avoir un génie parmi ses amis plutôt que parmi ses ennemis.

Alors que la carrière de François progressait, Nanou a ressenti le besoin de retourner voir la voyante. Dans ce désir, il y avait un peu de curiosité et un peu d'appréhension, mais aussi la conscience que, la fois précédente, la medium avait eu raison, alors…pourquoi ne pas y retourner pour savoir ce qui allait se passer ?

La voyante, comme toujours, s'est arrêtée une seconde et a regardé Nanou intensément. C'est alors qu'un grand sourire s'est dessiné sur son visage, ses yeux se sont emplis de larmes, puis elle a ouvert la bouche qui, malgré les rides, ressemblait à celle d'une petite fille, tellement elle était heureuse.

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« Tu l'as rencontré », s'est-elle exclamée.

« Oui, je l'ai rencontré, et il est fantastique », a répondu la jeune femme.

« Tu seras très heureuse Anne, lui a dit la voyante. Mais il t'échappera. Son succès se glissera entre vous », a-t-elle ajouté en faisant un effort, presque comme si elle rechignait à lui donner sujet à s'inquiéter.

« De plus, tout cela est très bizarre. Son image est mélangée avec une machine très bizarre. Elle a des roues mais pas de corps. Qu'est-ce ? », s'est étonnée la femme.

« C'est une Formule 1, il est pilote », lui a répondu Nanou.

Après quelques minutes de silence, la voyante s'est remise à lire les cartes et a eu comme un sursaut, elle s'est éloignée un peu de la table. Elle a fait une pause, comme pour chercher les mots les plus doux pour dire quelque chose qui ne l'était pas et qui ne le serait jamais : « Je dois te dire quelque chose : ce garçon n'atteindra jamais 30 ans ».

Stewart et Cevert ont donné vie à un de ces duos excitants qui enflamment occasionnellement la F1, à tel point qu'ils sont devenus de grands amis, presque deux frères s'aidant mutuellement jusqu'à la fin.

Il est important de clarifier un point avant de continuer l'histoire : à l'époque – on parle des années 70 –, la F1 était un champ de bataille pour gentlemen. Les pilotes n'étaient pas seulement des hommes, ils étaient des artistes de la Renaissance, des lutteurs, des soldats dans le sens le plus romantique du terme.

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Jackie était celui qui pouvait et qui devait gagner. François était son bras droit et était enchanté de l'être. Il voulait apprendre, s'améliorer et ne pas embêter le maître, dans un mélange de respect et d'admiration que seuls deux vrais amis peuvent maintenir.

Durant ces années-là, dans le milieu de la F1, il y avait de belles filles, de l'argent, de la richesse, de la célébrité et tout ce qui allait avec le statut de star du showbiz. Les pilotes défilaient sur les couvertures de la presse people et faisaient les unes des journaux sportifs. Ils étaient les idoles qui unissaient difficulté et professionnalisme sportifs avec beauté et envie de profiter de la vie. Les enfants ne voulaient ni être footballeurs, ni acteurs, ils voulaient devenir pilotes de F1 – et eux l'étaient : Stewart n°1 et Cevert n°2. Les voir courir le week-end était un spectacle exceptionnel et indispensable.

Les deux as ont commencé la seconde partie de la saison 1971 au volant d'une Tyrell 002 conçue par Dereck Gardner – considérée par beaucoup comme l'une des meilleures créations de la F1. Déjà lors du Grand Prix d'Autriche à Zeltweg, François a commencé à faire preuve de ses capacités, bien qu'aucune voiture Tyrell n'ait réussi à terminer la course. À Monza, lors de la course gagnée par le Britannique Peter Gehin, François a obtenu une bonne troisième place. Au Motorsport Park du Canada, il a terminé sixième.

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Je lui ai expliqué tout ce que je savais. la relation a fonctionné parce qu'il avait peu d'expérience et beaucoup de motivation. Beaucoup de pilotes se contentent de se servir du talent naturel que Dieu leur a donné. Ils ont rarement besoin de s'efforcer plus que de mesure. Mais pour ceux qui sont vraiment bons, ce talent naturel n'est qu'une basse.

Jackie Stewart

C'est à Watkins Glen, lors d'une course qui marquerait indélébilement sa vie professionnelle, que Cevert a finalement remporté son premier Grand Prix. Le Français a mis derrière lui la BRM de Jo Siffert et la March de Ronnie Peterson – principal rival de Stewart – pour arriver avec une avance de 40 secondes. Toute la France a célébré la victoire avec lui. François était le deuxième Français à remporter un Grand Prix dans toute l'histoire de la Formule 1. Seul Maurice Trintignant, avec ses victoires à Monaco en 1955 et 1958 avait réussi auparavant. Cevert était au sommet.

Lors de la saison de 1972, la grosse menace pour le duo Tyrell a été le Brésilien Emerson Fittipaldi, avec sa Lotus 72. Après l'abandon de Stewart lors de la première course du championnat, en Argentine, Fittipaldi est passé en pole position. Dans les courses suivantes, le pilote de Sao Paolo est monté six fois sur le podium pour trois victoires.

La saison a été compliquée pour Cevert à cause des problèmes techniques qui l'ont obligé à abandonner plusieurs fois. Au final, les pilotes de l'écurie Tyrell ont été battus par Fittipaldi qui a terminé champion au volant de sa Lotus.

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En 1973, la lutte entre Stewart et Fittipaldi a continué d'être la plus intéressante de la F1. Après les deux prétendants au titre arrivait Cevert, dont le principal adversaire était devenu Ronnie Peterson, le second de Fittipaldi.

L'écurie Tyrell s'était beaucoup améliorée par rapport à l'année précédente et ''l'Oncle Ken'' le savait très bien. Cevert a pris la deuxième place en Argentine, en Espagne, en Belgique et en France. Avec Stewart, ils ont fini sur le podium le 29 juillet à Zandvoort, mais Roger Williamson est décédé le jour-même, prisonnier de l'incendie de sa March au cours d'un terrible accident.

Lors des courses de F1 des années 70, plus que la pression de la victoire, la plus grande peur était pour les pilotes qui risquaient leur vie à chaque seconde. Comme dans une guerre où il n'y a pas de pays à conquérir, les pilotes conduisaient, rapides comme le vent, prêts à tout pour gagner et tromper la mort.

Sur le Motorsport canadien, François a goûté à l'amertume de l'infortune à cause de l'inconscience de Jody Schecter. Le pilote français a été victime d'un accident assez violent dont il est pourtant ressorti avec, seulement, une petite lésion à la cheville. Sa voiture par contre ne s'en est pas remise, et son écurie a dû lui en renvoyer une depuis l'Angleterre, la 006/3, juste à temps pour le GP des Etats-Unis qui allait être disputé le 7 octobre à Watkis Glen.

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Le circuit nord-américain était jusque-là le siège de l'unique victoire de Cevert. La course d'octobre allait être la centième de son ami Jackie Stewart.

Le championnat du monde touchait à sa fin. Cevert et Stewart, avec leur conjointes respectives, sont partis quelques jours en vacances aux Bahamas pour se détendre et profiter des plages merveilleuses des îles des Caraïbes. Une année spectaculaire touchait à sa fin. Stewart pensait se retirer de la F1 juste après la saison, d'ailleurs, le pilote britannique avait choisi le Grand Prix de Watkins Glen pour annoncer officiellement son départ. Ç'allait être sa centième course, et s'il l'avait gagnée, il aurait été sacré champion du monde.

François n'en savait encore rien, Jackie n'avait pas voulu lui dire, pour le surprendre et par crainte que Cevert veuille le laisser gagner. Ce que Stewart avait en tête était complètement différent. Il était sûr de lui, il en avait parlé avec l'Oncle Tyrell : « Je veux que ce soit lui [Cevert] qui gagne, je veux que ce soit clair que je lui laisse les commandes pour les années à venir ». Stewart y avait beaucoup réfléchi et l'idée l'enchantait.

Aux Bahamas, François, Jackie et leurs épouses passaient leur temps entre la piscine de l'hôtel, la salle de musique – où Cevert régalait tout le monde, et surtout les femmes, en jouant la Pathétique de Beethoven – et les belles plages, un verre à la main, euphoriques de leurs belles vies et hypnotisés par la beauté de l'océan qui s'étendait devant leurs yeux.

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Mais François ne pouvait occulter ses inquiétudes par rapport au dernier Grand Prix de la saison. Ferrari lui avait fait une proposition et le Français commençait à se lasser d'être l'éternel second, même si le premier était son meilleur ami.

« Jackie, Ferrari m'a fait une offre, a-t-il confié à son collègue et ami dans la piscine. Il y a bien un jour où je devrais suivre mon propre chemin, et ta relation avec Ken est tellement bonne que je ne pourrais peut-être jamais te dépasser. Je dois chercher une autre équipe ».

Stewart est resté silencieux. Il n'a pas voulu le prévenir à l'avance du fait que, après son départ, l'équipe Tyrell serait à lui. « Attends la fin de la saison, François, ne sois pas impatient. Tu es trop bon pour que Ferrari ne puisse pas attendre dix jours de plus », lui a-t-il assuré en finissant son verre et en ajustant ses lunettes de soleil sur son nez imposant.

Après quelques jours aux Bahamas, ils se sont enfin rendus aux Etats-Unis pour disputer le Grand Prix de Watkins Glen, détendus et préparés pour bien faire. Avant la course, Nanou a avoué à Cevert ce que la voyante lui avait révélé, mais François lui a répondu avec indifférence : « Qu'est ce que ça change que je meure avant 30 ans ? Je serai déjà champion du monde à ce moment là », a-t-il dit avant de s'éloigner en souriant.

Est alors arrivé le moment de vérité. Stewart, sur le point d'abandonner la F1, s'est préparé pour ce qui allait être sa dernière course, la centième. Le Britannique était prêt à passer les rênes à Cevert…et il pensait même le laisser gagner, chose que François n'aurait probablement pas aimé, lui qui voulait à tout prix arriver au sommet par ses propres moyens, sans l'aide de quiconque.

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Cevert, quant à lui, était prêt à montrer au monde entier ce qu'il valait, montrer qu'il avait ce qu'il fallait pour devenir champion du monde la saison suivante. Aux États-Unis, le Français espérait retrouver la chance qui, l'année précédente, lui avait permis de remporter sa première et, jusque-là, unique victoire en Grand Prix.

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Les nuages qui couvraient le ciel de l'état de New York se sont dissipés. Sur le circuit de Watkins Glen, la tension ne semblait pas très oppressante : on avait l'impression que tout le monde savait ce qu'il avait à faire, surtout François. Les essais qualificatifs ont commencé, c'était les premières heures d'une journée qui s'annonçait merveilleuse.

Cevert était bouillonnant d'énergie et voulait gagner à tout prix. Il voulait prouver à sa femme, au monde et surtout à lui-même ce qu'il valait, leur prouver qu'il pouvait réussir tout ce qu'il voulait. Il voulait se défaire des doutes que les critiques lui mettaient dans la tête disant qu'il n'était pas encore prêt. Il était jeune et avait moins d'expérience que son collègue et meilleur ami, mais parfois, c'est l'inconscience pure qui est à l'origine des événements les plus marquants. Qui ne tente rien n'a rien : c'est la vie.

François était sûr de lui et de ses capacités. Il était comme une bouteille de champagne sur le point d'exploser. Il voyait sa consécration comme un des plus grands champions de la F1 à portée de main et il ne comptait pas la manquer. Cevert avait une caractéristique commune avec les esthètes qui ont connu le plus de succès dans l'histoire, avec les grands de toutes les disciplines qui ont ce don inné que les Italiens appellent l'"estro" (le talent). Il en voulait toujours plus, rien ne lui suffisait.

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À Watkins Glen, Cevert voulait la pole position et pour y parvenir il comptait prendre les putains de virages comme il l'entendait, parce qu'il était convaincu que c'était la meilleure manière de niquer tout le monde et de remporter la gloire. C'était une évidence pour François.

« Si t'arrives sur le virage en cinquième, la voiture est plus facile à contrôler au cas où t'aurais des problèmes », lui avait dit Stewart la mine inquiète.

Cevert ne pensait pas suivre son conseil. L'oncle Ken l'avait compris. Jackie avait des doutes mais l'a laissé partir.

« Ne t'en fais pas, avant de dépasser je me dis toujours que si je meurs je ne pourrais jamais être un héros », avait ri François.

Le drapeau s'est baissé. François a mis le pied sur l'accélérateur.

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« J'ai vu les commissaires de course avec le double drapeau jaune, indiquant qu'il fallait s'arrêter, dira Stewart quelques années plus tard. J'ai commencé à regarder et j'ai vu des débris sur la piste. On aurait dit un accident aérien, mais les pièces étaient d'une taille suffisante pour qu'on puisse voir qu'elles étaient bleues ».

Le circuit s'est soudainement tu. Personne ne bougeait, on aurait dit que les gens avaient arrêté de respirer. On sentait la fatalité dans l'air, mais personne ne voulait l'admettre, personne ne voulait avoir la confirmation de ce qui s'était probablement passé.

Les couleurs étaient bleues. « Ce n'est pas moi, ce n'est pas moi », criait le troisième pilote de la Tyrell. Helen, la femme de Stewart, restait figée, les mains devant la bouche d'effroi, tenaillée par la peur que quelque chose d'horrible se soit passé.

« Les commissaires Chris et Jody ont regardé la voiture et sont partis, se rappelle Stewart. Je suis arrivé et j'ai été pétrifié d'horreur. Je me suis rendu compte qu'il n'y avait rien à faire. La Tyrell était coincée entre les restes des rails, le capot à l'envers et l'habitacle me faisant face. Il y avait de la fumée et de la vapeur sortait de partout, l'huile coulait… Et là, encore coincé par la ceinture de sécurité, il y avait mon coéquipier, mon protégé, mon ami, mon petit frère…Il était mort ».

Un silence cruel est alors tombé sur le circuit new-yorkais. Soudain tout le monde s'est senti comme une grande famille, soudain tout le monde s'est uni devant la force de la mort, tel des fourmis impuissantes. Une voiture avait fait une sortie de piste. On a entendu l'ambulance, les pilotes sont retournés à leur box, Stewart s'est éloigné, rejetant de manière instinctive et compréhensible ce qui venait de se passer. Le patron de Lotus, Colin Chapman, chuchotait quelque chose d'une voix saccadée. « Cevert, Cevert… »

C'était le 6 octobre 1973.

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François Cevert, plus qu'une carrière merveilleuse, pleine de titres, a quitté un monde dans lequel il était sur le point de devenir un grand. Comme beaucoup de ceux qui ont connu une brève vie terrestre, Cevert continue de vivre dans notre imagination et dans celle de beaucoup de pilotes de Formule 1 comme la personne qu'il aurait pu devenir. En réalité, c'est ce qui est le plus douloureux : qu'il n'ait jamais pu arriver là où il voulait aller, que seulement quelques mètres avant d'atteindre le but, quelqu'un l'ait enlevé, qu'on l'appelle le destin ou une divinité, laissant un goût amer dans la bouche de ceux qui l'avaient croisé pendant sa vie.

Voilà l'histoire de François Cevert, du prince qu'il a été et du roi qu'il aurait pu être.