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Sports

Les Australiens sont tous fous d'un sport chelou : le footy

Ce week-end à Melbourne se déroule la finale du championnat de football australien. L'occasion de vous présenter ce sport méconnu en France, dont raffolent les Aussies.
Photo via Wikipedia

Sur les murs sont exposées une dizaine de photos en noir et blanc, encadrées et disposées avec soin. On y aperçoit des sportifs vêtus de drôles de débardeurs moulants tapant dans un ballon ressemblant à un ballon de rugby. Lorenzo s'approche, saisit une photo où pose un moustachu aux allures de Freddie Mercury. « Ça c'est Ken Sheldon, l'un des meilleurs joueurs de toute l'histoire de Carlton. En 1979, c'est lui qui nous a offert la victoire en finale, contre Colingwood. Un match incroyable, j'en ai encore des frissons ». Nous sommes dans le salon de coiffure de Lorenzo, situé à Carlton, le quartier italien de Melbourne, où se succèdent pizzerias et bars à vins. Comme bon nombre de ses compatriotes, Lorenzo est arrivé de Naples au début des années 60. Rien ne le destinait, lui le grand admirateur de football anglais, à devenir un amateur du sport local, le football australien, aussi appelé "footy". « Quand je suis arrivé à Melbourne, je ne connaissais évidemment pas le footy, explique le vieux coiffeur dans un anglais au fort accent italien. Sa popularité m'a intrigué. Son rythme effréné aussi. Je me suis inscrit dans un club amateur et je suis rapidement devenu accro. Quel défouloir ! ».

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Il faut dire que le footy est une véritable religion en Australie, et plus particulièrement à Melbourne, qui compte à elle seule une dizaine de clubs évoluant en AFL, la ligue professionnelle. Carlton FC donc, mais aussi Collingwood _(le club le moins populaire, apprécié généralement par les _bogans, l'équivalent australien de notre beauf national, et ennemi juré du Carlton FC, ndlr), les Geelong Cats, ou encore les Western Bulldogs, qui affrontent ce week-end en finale du championnat les Swans de Sydney. Un événement que ne peut pas rater Lorenzo, comme la plupart des Melbourniens. Tous, en bons défenseurs de leur ville, supporteront les Western Bulldogs contre « ces riches de Swans », comme aime les désigner le coiffeur italien.

Le footy s'inspire du football et du rugby. Photo via wbur.org.

Mais quel est donc ce sport qui ne se pratique de manière professionnelle qu'en Australie ? Le football australien, sport le plus populaire du pays avec plus d'un million de licenciés pour une population totale d'environ 23 millions d'habitants, pourrait se définir comme un sport collectif à mi-chemin entre le rugby et le football anglais, où deux équipes de 18 joueurs s'affrontent durant 80 minutes sur un terrain à la forme elliptique. Comme au rugby, les buts de chaque équipe sont représentés par des poteaux entre lesquels les joueurs de l'équipe adverse doivent faire passer un ballon ovale, similaire à un ballon de rugby. Les joueurs peuvent user de leurs pieds et de leurs mains pour frapper le ballon, sans pratiquement aucune restriction - si ce n'est celle de devoir taper le ballon (comme au volley) et non le lancer (comme au rugby) quand celui-ci est manipulé avec la main. Pour le reste, c'est un peu l'anarchie. « Le footy est un sport qui peut être violent, car les joueurs courent dans tous les sens à cause du rebond du ballon, et ils n'hésitent pas à se rentrer littéralement dedans, ce qui provoque souvent des blessures et des images spectaculaires, surtout qu'ils n'ont aucune protection. Et il n'y a pratiquement pas de temps morts », explique Poonam, une fervente supportrice de Collingwood.

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Arcades éclatées, visages ensanglantés, ou joueurs vomissant sur le terrain, sont en effet des séquences plus ou moins ordinaires d'un match de footy. Aussi, il n'est pas rare de voir éclater des bagarres générales sur le terrain, les joueurs n'hésitant pas à donner des coups de poings à leurs adversaires, sans pour autant être particulièrement réprimandés par l'arbitrage. La différence avec notre football, où le moindre contact est l'occasion pour un joueur de simuler une faute ou une blessure, est frappante. Au footy, sortir sur blessure ou rester affalé sur le terrain est perçu comme un réel signe de faiblesse. « Il en va de l'honneur du joueur de se relever rapidement après un choc afin de montrer à son adversaire qu'il est loin d'avoir abdiqué. On est à des années-lumières de votre soccer », avance, non sans sarcasme, Poonam. Cristiano Ronaldo n'a qu'à bien se tenir.

La folie qui s'empare du pays à l'approche de la Grande Finale, venant clôturer une saison riche en rebondissements, est très largement comparable à celle d'une finale de Coupe du monde de football pour laquelle le pays hôte serait qualifié. Les journaux locaux en font leur une depuis plusieurs jours tandis que les chaînes de télévision diffusent en boucle interviews, ralentis et autres analyses à l'approche du jour fatidique. Une balade dans le centre-ville de Sydney est aussi l'occasion de mesurer cette incroyable popularité, où de nombreuses personnes arborent fièrement des écharpes rouges et blanches à l'effigie des Swans. À Melbourne, des bars ont repeint leur devanture aux couleurs des Western Bulldogs. Femmes, hommes, jeunes, moins jeunes, ouvriers, cadres : la quasi-totalité de la société civile semble vivre au rythme de ce sport, inventé il y a pratiquement deux siècles par un certain Tom Wills, et qui alimente ces derniers jours toutes les discussions. Mais que pensent de cet extraordinaire engouement les personnes qui ne suivent pas le footy ? « La Grande Finale est toujours l'occasion pour les Australiens de se réunir autour d'un barbecue, en famille ou entre amis, un peu comme le repas de Noël ou celui du nouvel an. De cette manière, même les personnes ne s'intéressant pas au footy, et elles existent, ont un regard plutôt positif sur ce jour-là et les événements qui y sont associés, surtout qu'il y règne toujours une ambiance de fête et de convivialité », explique Carla, une jeune Australienne vivant à Perth, métropole située sur la côte ouest australienne, à plus de 3000 kilomètres de Melbourne.

Les joueurs de Hawthorn, lors de l'hymne national, juste avant la finale du championnat, en 2015. Photo via le West Coast Sentinel.

"Fête" et "convivialité" semblent en effet des termes parfaitement appropriés, le hooliganisme n'existant pratiquement pas en Australie. Les supporters ont l'habitude de se côtoyer et de vivre ensemble, puisque chaque quartier possède son club, et il n'est ainsi pas rare de fréquenter des personnes supportant une équipe concurrente à la sienne. Les scores fleuves des matches sont aussi une raison qui expliquerait la relative tranquillité des fans les plus radicaux : la frustration de la défaite serait psychologiquement moins importante quand une équipe marque des buts et procure, malgré tout, de la joie.

Puisque les Australiens font rarement les choses à moitié, le "Friday before the Grand Final" ("Le vendredi précédant la Grande Finale", ndlr) a carrément été décrété jour férié par l'État du Victoria, où se situe Melbourne. De ce fait, des millions d'Australiens voient leur quotidien calibré sur un événement sportif, tandis que l'économie de l'État, et notamment le marché du travail, en sont directement impactés. Une situation difficilement imaginable en France, mais largement acceptée au pays des wallabies. Pour Poonam, la supportrice de Collingwood, cette décision n'est pas très étonnante : « Nous avons aussi un jour férié pour la Melbourne Cup, un championnat équestre prestigieux qui se déroule en novembre. L'annonce l'année dernière du jour férié pour la finale de footy n'a, en ce sens, pas surpris énormément de personnes ».

À quelques heures du match le plus attendu de la saison, chacun y va de son pronostic. Les Swans de Sydney se présentent en favoris, tant leur performance au tour précédent, face aux Geelong Cats, fut convaincante. Pas de quoi décourager Lorenzo, le coiffeur italien : « Ils ont fait une forte impression contre Geelong. En 10 minutes, le match était plié. Mais chaque match est différent… ». Ce samedi, il se rendra au MCG, stade flamboyant pouvant accueillir plus de 100 000 spectateurs, où se déroule la finale. Les prévisions météos qui annoncent une forte pluie, ainsi que les menaces publiées par Daesh il y a quelques semaines, ciblant directement le MCG, n'auront pas suffit à le décourager d'assister à cette rencontre qu'un pays tout entier va suivre devant son poste de télévision.