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Comment remédier à la solitude de l'expérience de réalité virtuelle ?

Une équipe de l’Université de New York cherche à donner à la réalité virtuelle l’authenticité et la poésie dont elle manquait jusqu’alors.

Ça y est, la réalité virtuelle n'est plus une expérience anecdotique pour nerds en mal de mondes alternatifs. Depuis juillet dernier, plus de 765 millions de dollars ont été investis dans des entreprises développant des projets de réalité virtuelle ou de réalité augmentée, selon les informations collectées par UploadVR. Parmi les investisseurs, les géants Google, Facebook, Intel : ces derniers contribueront certainement à définir le visage de la réalité virtuelle à usage commercial dans les prochaines années.

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Au département d'informatique de l'Université de New York, une équipe de développeurs et de designers va à contre-courant de tout ce petit monde. Au lieu de s'intéresser au déploiement du marché de la RV, ils réfléchissent déjà aux limites de la RV telle qu'on nous la propose actuellement. Leur projet se nomme « Holojam. »

« Holojam est un ensemble d'expériences empiriques destinées à imaginer un futur qui n'existe pas encore, » explique Ken Perlin, l'un des chefs de file du projet. « Imaginez que nous sommes en 2036, et que les technologies décrites par Vernor Vinge dans Rainbow's End sont une réalité. Les gens mettent leurs lentilles de contact chaque matin, des lentilles qui leur permettent de voir le monde comme ils le désirent. Comment les rapports entre les personnes auront-ils évolué ? Ce qui nous intéresse ce n'est pas le versant excitant de cette nouvelle technologie, mais l'ennui, la solitude qu'elle peut susciter. »

Deux personnes en réalité virtuelle. Image: David Lobser

À première vue, le matériel utilisé au sein du projet Holojam n'est pas très high tech. Des marqueurs optiques, qui permettent aux caméra parsemant la salle de capter les mouvements, sont fixées sur des paires de Samsung Gears à l'aide de ruban électrique. La panoplie qui permet de projeter son corps dans un espace virtuel comprend des gants bon marché dont les doigts ont été découpés aux ciseaux à mi-hauteur. Le tout semble bricolé avec trois bouts de ficelle, mais cette esthétique est tout à fait cohérente avec le projet même de l'équipe : mettre deux personnes en contact dans le même espace virtuel en faisant l'économie d'un arsenal de câbles et de fils de toutes sortes.

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« J'ai l'habitude de comparer l'expérience Holojam à la rencontre entre Harry Potter et Max et les Maximonstres, » explique Perlin. Perlin est une petite célébrité dans le monde de l'informatique ; il est connu pour avoir mis au point le Perlin noise, un gradient utilisé pour créer des textures hyperéalistes en images de synthèse, et a gagné un Academy Award pour les effets spéciaux du film TRON en 1982.

Un ordinateur traite les données collectées par la caméra. Image: David Lobser

« Dans Harry Potter, de même que dans les univers de fantasy en général, votre attention ne se porte pas sur la manière dont le monde est construit, mais sur les relations entre les personnages. Ces relations sont d'autant plus complexes que les personnages possèdent des pouvoirs magiques, mais la magie n'y est pas une fin en soi. » Quant à la référence à Max et les Maximonstres, explique Perlin, elle permet de mettre l'accent sur le jeu et l'espièglerie. Des concepts extrêmement importants pour l'équipe.

La première fois que j'ai pénétré dans l'un des mondes en réalité virtuelle construit par Holojam, j'ai eu le sentiment de me fondre dans un dessin d'enfant. Les murs de la maison virtuelle semblaient dessinés à la main, et la scène était baignée de couleurs chaudes et brillantes. Mes mains s'étaient transformées en des sortes de disques animés rouge vif. Lorsque je les déplaçais, les caméras OptiTrack enregistraient mes mouvements et les reproduisaient en RV. Près de moi, l'un des principaux artistes de Holojam, David Lobser, était reproduit sous la forme d'un personnage de cartoon bleu vif. Il était très occupé à faire des jumping jacks.

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« Voir une personne en RV vous renvoie une image d'elle que vous ne pouvez pas obtenir à partir d'une simple vidéo, » explique Lobser, qui a réalisé tous les visuels pour Holojam. « Les gens s'expriment d'une manière plus enfantine, plus caricaturale. Certaines de leurs caractéristiques sont simplifiées, d'autres sont amplifiées. »

En réalité virtuelle, explique Lobser en se balançant d'une jambe sur l'autre, il n'y a pas beaucoup de place pour la subtilité. Les paroles, les actes, sont extravagants. Il me fit alors un high five, sa technique préférée pour décontenancer les débutants. Avoir un contact physique avec quelqu'un que vous pouvez voir en RV est très, très perturbant.

Ce à quoi ressemble votre partenaire à l'intérieur d'Holojam. Image: David Lobser

L'équipe travaille sur le projet toute la semaine, mais le jeudi est le jour le plus excitant. De 17h à 20h, les étudiants et les professeurs se retrouvent dans l'un des bâtiments du département d'information de NYU afin de parler, travailler, programmer, ou paresser en réalité virtuelle.

Gérer un si grand nombre de participants munis de casques RV dans le même espace peut être extrêmement difficile. Je n'ai encore jamais testé le projet VR de Sony pour Playstation, mais j'imagine que c'est une expérience très différente des réunions Holojam, où chaque participant prend garde à bien se tenir et à respecter un certain nombre de règles pour que l'événement ne sombre pas dans le chaos le plus total.

En plus de participer à la programmation de Holojam, la présence des étudiants permet aux membres du projet de se remettre en question. « Ils ont moins de préconceptions que nous, qui suivons le développement de la réalité virtuelle depuis longtemps, » explique Lobser. « Rentrer en contact avec des personnes qui n'ont pas d'attentes et pas de connaissances spécifiques sur le sujet nous pousse à voir les choses autrement, à réévaluer des principes que nous tenions pour évidents. »

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La première rencontre Holojam date du 1er novembre 2015 seulement. Intitulé « Dia de Los Holos », l'événement en question a permis aux participants de s'immerger dans un monde peuplé de squelettes et de fantômes.

« Jusqu'ici, on a fait en sorte que les événements Holojam soient participatifs, » ajoute Lobser. « Actuellement, nous concevons une expérience RV conçue pour deux personnes, dans le but de la montrer lors d'une performance publique. » Celle-ci aura lieu en mars lors de l'exposition Scores+Traces à l'université et mettra en scène Ken Perlin accompagné d'une danseuse professionnelle.

Pour Lobser et Perlin, le raffinement est généralement délaissé dans les processus d'innovation. Ils veulent changer cela, et cette improvisation de danse en couple constituera le premier jalon de leur petite révolution. Jusque là, le domaine est resté sous la coupe des multinationales, qui ne sont pas particulièrement attirées par les expériences artistiques un peu étranges.

Les moyens de Holojam sont loin d'être démesurés, mais son ambition, elle, atteint des sommets.