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Des pompiers ont carbonisé une montagne pour éviter un désastre nucléaire

« Parfois, il faut combattre le feu par le feu. »

Ce week-end, le plus grand site de stockage de déchets radioactifs américain a failli être englouti par les flammes. Un feu de forêt monstrueux, baptisé le Range 12 Fire, a en effet menacé Rattlesnake Mountain dans l'état de Washington, avant de se frayer un chemin vers le site de Hanford, un complexe nucléaire vieillissant qui s'étend le long de la rivière Columbia.

Dimanche soir, plus de 100 pompiers en provenance des provinces de Yakima et de Benton ont tenté d'apaiser le gigantesque incendie qui avait déjà brûlé plus de 28 000 hectares de terres, selon KOMO News. Le feu avait déjà traversé plusieurs autoroutes, et se dirigeait droit vers Rattlesnake Mountain, le seul relief capable d'empêcher un Fukushima à l'américaine.

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Le complexe nucléaire de Hanford est un habitué des situations catastrophes. En avril, 13 250 litres de boue radioactive s'étaient échappés d'un container en mauvais état, construit à l'époque du Projet Manhattan. Même si le site est aujourd'hui désaffecté, il abrite encore 211 millions de litres de déchets nucléaires datant de la Guerre froide.

Vue aérienne des réacteurs nucléaires du site de Hanford, janvier 1960. Image: United States Department of Energy

Lundi, les équipes de pompiers ont réalisé qu'elles ne parviendraient jamais à endiguer l'incendie une fois que celui-ci aurait atteint la base de la crête. À son point le plus haut, Rattlesnake Mountain s'élève à plus de 1000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Cette altitude, combinée à des pentes dangereusement raides, auraient empêché les unités de contrôler le feu, même avec l'aide d'avions bombardiers d'eau.

Les soldats du feu ont donc pris une décision radicale : carboniser la montagne eux-mêmes.

« Parfois, on combat le feu par le feu, » explique Marc Hollen, porte-parole de l'équipe de secours, au Tri-City Herald. Hier, les pompiers de Washington ont provoqué un « contre-incendie, » ou incendie programmé, afin d'incinérer par avance tous les matériaux dont le feu de forêt pourrait se nourrir afin de poursuivre sa progression, et à terme, de le contrôler.

Rattlesnake mountain is on fire! #LIGO #Hanford pic.twitter.com/EMitNfehjQ
— Nutsinee Kijbunchoo (@Gmv2_c4r) 1 août 2016

À première vue, cette pratique semble contre-intuitive. Comment un feu peut-il bien en arrêter un autre ? Aussi improbable que cela paraisse, cette technique est tout à fait sensée, et très efficace. Pour arrêter un feu, il faut le priver de matériaux à brûler. Dans le cas présent, c'est la végétation sèche et buissonnante de Rattlesnake Mountain qui était incriminée.

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Les feux contrôlés peuvent être utilisés à titre préventif, ou comme un antidote aux feux actifs. Ils ne sont jamais dépourvus de risques, et les opérations de déploiement doivent prendre en compte des variables incertaines comme le vent, la température et l'humidité, afin de s'assurer que la végétation brûlera en toute sécurité. Si les choses se passent comme prévu, les feux de forêt spontanés n'auront plus rien à se mettre sous la dent.

« Le but est de cantonner les feux spontanés au rôle qu'ils tiennent habituellement dans les écosystèmes. Les incendies sont nécessaires dans la nature ; ils ne posent problème que lorsqu'ils sont totalement hors de contrôle et ravagent d'énormes portions d'un territoire donné, » explique Peter Morrison, directeur exécutif de l'Institut de la biodiversité du Pacifique.

« Les autochtones eux-mêmes ont utilisé, et utilisent toujours l'écobuage, ou débroussaillement par le feu. Il ne s'agit pas exactement de la même technique, mais l'idée est la même : allumer des feux pour atteindre un but précis dans la gestion du territoire. »

Vue de Rattlesnake Mountain, Washington. Image: Flickr/Michael Guio

Pour de nombreux écosystèmes, le feu a des propriétés régénérantes, comme l'engrais. Ils permettent d'éliminer les arbustes morts, et libèrent les nutriments présents dans les végétaux afin de les répartir dans le sol sous forme de cendres. Grâce à la dendrochronologie, les écologistes savent maintenant que les plantes survivent souvent aux incendies périodiques. Et certaines espèces, comme les morilles, ne se développent que dans leur sillage.

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« La steppe arbustive, un milieu caractéristique de Rattlesnake Mountain, a besoin d'incendies réguliers. À défaut, elle est envahie de mauvaises herbes, ce qui provoque le déséquilibre de l'écosystème. Certains ont périclité de cette façon il y a 100 ou 200 ans, » ajoute Morrison.

La lutte contre les incendies fait partie de l'héritage colonial américain depuis le Grand Feu de 1910, surnommé « Big Blowup, » qui a ravagé plus de 1, 2 million d'hectares en Idaho, dans le Montana et à Washington. Tandis que le développement humain se poursuit au détriment des écosystèmes régulés par le feu, les risques augmentent, à la fois pour les installations humaines et pour l'environnement.

Ainsi, les initiatives telles que le Firewise Program permettent d'aider les habitants des campagnes à « ignifuger » leur maison. Quand le déménagement n'est pas envisageable, il s'agit de réduire au possible le risque de voir sa propriété engloutie par les flammes.

Pourtant, il reste très difficile de contrer les effets du changement climatique sur la prévalence et la violence des feux de forêt. Les scientifiques pensent que désormais, ils sont plus durables, plus intenses, et plus fréquents. Dans l'Ouest américain, la saison des incendies dure maintenant 105 jours de plus que sa moyenne historique, c'est-à-dire presque toute l'année.

Aujourd'hui, le Service des forêts américain dépense environ 830 millions de dollars par an à la lutte contre les incendies. Entre 2004 et 2013, près de 3 millions d'hectares ont brûlé à l'échelle nationale, contre 1,1 million d'hectares entre 1984 et 1993. Bien que les pompiers de Washington aient gagné la bataille contre le feu, l'incendie aurait pu faire moins de dégâts si des mesures préventives avaient été prises au préalable. S'il y a une leçon à tirer ici, c'est que laisser un ancien site de retraitement des déchets nucléaires dans une boîte en amadou est une très mauvaise idée.