La vie à Raqqa, sous le joug de Daech

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Daech

La vie à Raqqa, sous le joug de Daech

Le journaliste Mike Thomson publie le témoignage d’un jeune homme qui a connu les affres du quotidien au sein de la capitale officieuse de l'État islamique.

La ville de Raqqa en Syrie est l'un des lieux les plus isolés au monde. Sa population est soumise au diktat de l'État islamique depuis le début de l'année 2014. Dès lors, les règles imposées par le groupe islamiste rendent la vie impossible à tous ses habitants : il y est interdit de fumer ou de regarder la télévision, et un code vestimentaire extrêmement strict sévit dans les rues. Toute entrave est punie par des coups de fouet, voire la mort.

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Le groupe Raqqa Is Being Slaughtered Silently, composé d'activistes syriens, tente de documenter les atrocités commises dans la ville – ce que l'organisation a de plus en plus de mal à faire, nombre de ses membres ayant dû quitter la ville pour survivre. Daech surveille attentivement toutes les informations qui entrent et sortent de Raqqa et n'hésite pas à tuer quiconque entre en contact avec des journalistes européens ou américains. Cela rend d'ailleurs le travail de Mike Thomson d'autant plus remarquable, après qu'il a réussi à contacter une personne sur place.

Samer (son prénom a été modifié) est un étudiant de 24 ans. Né à Raqqa, il veut raconter au monde ce qu'il s'y passe, quand bien même cela représente un énorme risque pour sa propre vie. Depuis un an, Thomson reçoit le journal de Samer de manière chiffrée. Traduit par Nader Ibrahim, Samer décrit une ville où règnent désespoir et violence.

Les illustrations sont publiées avec la courtoisie de Penguin.

Illustrations via Penguin

Samer fait partie d'Al-Sharqiya 24, un média qui rassemble des activistes locaux. Il a pris part au soulèvement militant pour la chute de Bachar el-Assad, avant que sa ville ne tombe aux mains de différents groupes islamistes en mars 2013. Peu de temps après, des étrangers auraient commencé à débarquer dans la ville sous la bannière de Daech pour en prendre le contrôle. Samer est resté à Raqqa aussi longtemps qu'il le pouvait, mais il a dû fuir. La publication de ses échanges avec Thomson dans The Raqqa Diaries: Escape from Islamic State a fait de lui une cible vivante.

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J'ai discuté avec Mike Thomson à propos de Samer et de sa vie au sein d'une ville contrôlée par Daech.

VICE : Bonjour Mike. Comment as-tu connu Samer ?
Mike Thomson : J'ai passé plusieurs jours sur les réseaux sociaux afin de trouver quelqu'un de Raqqa à qui parler. J'ai rapidement échangé avec le groupe Raqqa Is Being Slaughtered Silently. J'ai expliqué que je voulais parler à quelqu'un qui se trouvait à Raqqa, mais tout le monde semblait avoir fui. J'ai tout de même laissé mes coordonnées WhatsApp. Quelques jours après, j'ai reçu un message qui disait : « Qu'est-ce que tu veux ? » Ça a été ma première discussion avec Samer.

Au début, on enregistrait des interviews audio pour les diffuser à la radio, mais Samer et ses amis estimaient que le risque était trop élevé. À chaque fois que nous nous parlions, il devait prendre énormément de précautions. Il avait peur que quelqu'un disposant d'un système de reconnaissance vocale – Daech prétend en avoir – puisse le repérer. À partir de là, Samer a commencé à m'envoyer des textes.

Qu'est-ce que révèle son récit de la vie sous le joug de l'État islamique ?
Je m'attendais à pas mal de violence, mais c'est en fait bien pire. Tout – de tourner la tête lors d'une exécution à la longueur de votre pantalon – peut être considéré comme un acte dissident. La plupart des gens ne sortent jamais et peu de magasins restent ouverts. Malgré tout, l'humour est toujours vivace sur place. Dans l'un de ses récits, Samer raconte comment il a failli recevoir des coups de fouet après être arrivé en retard à une cours d'éducation religieuse, simplement parce qu'il devait faire la vaisselle de sa mère. Son récit vous permet de visualiser ce qui se passe là-bas.

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Samer a risqué sa vie pour raconter le quotidien des habitants de Raqqa. A-t-il expliqué pourquoi il était prêt à faire ça ?
Je me souviens que Samer m'a parlé d'un massacre survenu en 1982. Dans la ville d'Hama, l'armée d'Hafez el-Assad a tué entre 2000 et 40 000 personnes. Il n'y avait aucun journaliste sur place, et il est donc impossible de connaître le nombre exact de victimes. Samer ne veut pas que cela se reproduise pour Raqqa. En écrivant des textes sur les crucifixions et la torture quotidienne, il veut que l'histoire ne soit pas oubliée. Il m'a aussi expliqué que parler de tout cela avait un effet cathartique pour lui : « Lorsque vous être vraiment inquiet, c'est toujours mieux d'en parler, non ? »

Est-il difficile de communiquer avec quelqu'un en sachant que cette communication peut lui valoir une exécution ?
Quand Samer a accepté de m'envoyer des textes, il m'a dit : « Ma vie est entre tes mains. » J'ai donc dû faire attention à ne pas révéler quelque chose qui pourrait permettre de remonter jusqu'à lui. L'année dernière, il y a eu plusieurs périodes où je n'avais plus de nouvelles de lui pendant des semaines. Quand j'entendais que deux activistes syriens qui avaient quitté Raqqa avaient été tués en Turquie, j'étais très inquiet.

Les habitants de Raqqa connaissent-ils l'existence de The Raqqa Diaries ?
J'ai discuté avec Samer il y a quelques semaines, et il m'a dit que ses textes disponibles sur Internet sont très populaires auprès des activistes de Raqqa. Ils ont été traduits en arabe et ont même poussé Daech à lancer sa propre version, intitulée A Young Man from Raqqa – qui dépeint une vie parfaite à Raqqa.

Samer a quitté Raqqa. Où veut-il vivre désormais ?
Il aime énormément cette ville. Il veut y retourner pour la reconstruire. Selon lui, c'est grâce à des gens comme lui, à ceux qui ont eu la chance de faire des études, qu'il sera possible de remettre le pays dans le droit chemin. Il m'a déclaré qu'il ne souhaite pas venir en Europe. Il a entendu dire que les réfugiés n'étaient pas bien vus là-bas. De plus, il ne veut pas quitter sa famille.

Samer pense beaucoup au futur. Il déteste autant le régime d'Assad que Daech. Il a peur que Raqqa passe aux mains de l'armée syrienne une fois Daech défait.

The Raqqa Diaries: Escape from Islamic State est disponible ici.