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Culture

Dans l’atelier d’un restaurateur privé

Le restaurateur de peinture Aldo Peaucelle nous a montré comment sauver un tableau dans son atelier de Lyon.
Image de Une : Une peinture du mariage spirituel de Sainte Catherine. Sauf mention contraire, toutes les photos sont publiées avec l'aimable autorisation d'Aldo Peaucelle.

Derrières les portes closes d'institutions d'art des quatre coins de la planète, se cachent des machines à remonter le temps et autres chambres d'investigation. On y voit ressortir de ternes chefs-d'œuvre aussi éclatants qu'à leurs premiers jours ; on y perce des secrets de maîtres ; on y met à jour des compositions secrètes planquées dans de célèbres toiles. The Creators Project vous fait entrer dans ces laboratoires de restauration.

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Pour le restaurateur de peinture Aldo Peaucelle, il n'y a pas — ou peu — de cas désespérés. Dans son large et lumineux atelier de Lyon, il pointe du doigt une photo d'une peinture qu'il possède, représentant le mariage spirituel de Sainte Catherine. La peinture est lacérée et craquelée, et de nombreuses zones de la surface sont manquantes. Il paraît impossible de sauver une telle peinture. Peaucelle rétorque pourtant : « Oh, c'est faisable. Le problème n'est pas tant la faisabilité — c'est plutôt une question de temps. Un jour, je la terminerai. »

La passion de Peaucelle pour les choses abîmées a commencé tôt. À 12 ans, il collectionne les objets anciens, cassés, et les répare. « Il y avait toutes sortes de choses — des horloges, des pièces en cuir, des sculptures », se souvient-il. « Petit à petit, je me suis intéressé aux cadres — et ça m'a amené aux tableaux. Quand j'ai eu 18 ans, j'ai acheté deux peintures avec ma première paye — d'un petit boulot d'été comme gardien de musée. Les toiles étaient déchirées et je voulais les faire restaurer mais c'était trop cher. J'ai donc acheté un livre sur la restauration de peinture et je l'ai fait moi-même. Ça a été une révélation — j'ai adoré le processus et j'ai décidé que c'est ce que je voulais faire de ma vie. »

L'atelier de restauration d'Aldo Peaucelle à Lyon, où l'une de ses assistantes retouche une peinture. Photo de l'auteure.

Après cinq ans d'études, il s'installe en 1995 dans un atelier à Lyon et commence à travailler pour le compte de clients privés. « [Les tableaux] étaient en ruine, la plupart du temps. Je suis un peu devenu le restaurateur des causes perdues. Plus c'était difficile, plus ça m'excitait. » Au fur et à mesure, des commandes viennent aussi de la part de musée, et aujourd'hui sa clientèle est divisée entre collectionneurs privés et institutions. « En France, la plupart des musées n'ont pas de département de restauration, les autres en ont des gros », explique-t-il. Quand on ne peut pas déplacer les œuvres à réparer dans son atelier (comme un Monet sur lequel il a travaillé l'an dernier, « une petite fortune »), il prend ses outils et improvise un atelier sur place.

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L'appareil infrarouge dévoile des dessins préparatoires de l'artiste pour établir la perspective. Photo de l'auteure.

Pour nous montrer les outils en question, Peaucelle attrape une toile et se dirige vers une petite pièce au fond de son studio. « Disons que vous êtes un client », dit-il. « La première chose que je fais après avoir observé la pièce à l'œil nu, c'est de la passer aux UV. » Les rayons ultraviolets peuvent dévoiler des zones de repeindre ou de restaurations précédentes. Pour examiner la surface de la toile,il retourne dans la pièce principale sous une lumière à balayage, qui révèle les craquelures de peinture ou une irrégularité sur la toile, par exemple. Un peu plus loin, une caméra infrarouge est prête pour la prochaine étape, qui pourrait montrer la présence de dessins préparatoires ou des changements dans la composition.

Pour travailler sur le dos d'une toile, des instruments chirurgicaux permettent de recoudre une déchirure. Photo de l'auteure.

Une fois qu'il a compris à quoi i a affaire, sur et sous la surface, il peut commencer son traitement. La plupart des problèmes peut se diviser en deux catégories : des problèmes de support (un panneau tordu, une toile déchirée) ou des problèmes de couches (comme la poussière ou de la peinture qui est partie). Une toile déchirée nécessite des outils chirurgicaux et de la précision : du dos, les fils originaux sont recousus, un à un, et fixés avec de l'adhésif. Sur le devant, les trous peuvent être comblés avec des retouches et du mastic. Si la peinture a trop d'accrocs, une technique de « doublure » peut être employée — une toile supplémentaire est ajoutée pour renforcer l'originale.

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Aldo Peaucelle nettoie une peinture et enlève son vernis — remarquez la différence de couleur, passant du jaune au blanc sur le vêtement de la femme. Photo de l'auteure.

Pour nous montrer l'effet d'un simple nettoyage, Peaucelle prend une peinture qu'il utilise souvent pour la démonstration. Avec un coton-tige imbibé de solvant, il enlève des années et des années de crasse — souvent un mélange de poussière, de gras, de fumée et de pollution. Le résultat est spectaculaire : en quelques minutes, des zones ternes et jaunes redeviennent blanches à nouveau.

Une fois que la surface est nettoyée, un autre solvant est utilisé pour enlever tous les vernis. C'est la partie la plus délicate — un coup de trop pourrait effacer carrément la peinture. « Vous devez juste y aller très, très lentement », prévient Peaucelle. À ses côtés, deux assistantes retouchent patiemment d'autres peintures, comblant des zones vides avec un mélange de vernis et de pigments. « Je ne fais plus trop de retouches », ajoute Peaucelle. « Je suis trop perfectionniste, je ne sais pas quand m'arrêter. » Quand on lui demande s'il a déjà laissé tomber une peinture impossible à restaurer, il montre clairement que ce n'est pas son genre : « Pour chaque problème, il y a une solution. »

Une peinture restaurée par Peaucelle, avant et après restauration

Une peinture endommagée vue sous lumière à balayage

Le processus de "doublure" : renforcer une peinture avec une nouvelle toile — la toile originale est aplatie sur le nouveau support avec une pompe à air.

Des peintures restaurées par Peaucelle, avant et après restauration.

Pour en savoir plus sur l'atelier de restauration d'œuvres d'art d'Aldo Peaucelle, rendez-vous sur son site.

Retrouvez les précédents articles de la rubrique Laboratoire de restauration :
La machine à remonter le temps de la restauration architecturale
Dans l'institut de conservation de costumes du MET
Des momies et des hommes