Quand i-D m’a demandé de réfléchir à des films à ne pas regarder en famille, l’inspiration ne s’est pas faite attendre. Avec tout le respect que je dois à la Grande Evasion, à la saga Harry Potter et à tout ce qui s’en rapproche, mes goûts sont plutôt à l’opposé des classiques de Noël – et je me fous si cela fait de moi quelqu’un de sinistre et prétentieux. En fait, le plus difficile dans cet exercice a été de choisir parmi tous les films d’inceste, les ébats pornographiques et les scènes perverses qui me venaient à l’esprit. (D’après mon expérience personnelle, la règle pour choisir des films en famille est exactement la même que celle qui régit les cours de cinéma : la violence, c’est plutôt ok, le sexe, c’est mal. Et ce, même si le sexe est quand même la génèse de toute famille.) Si certains de ces choix vous paraîtront évidents, sachez qu’ils figurent dans ce classement parce qu’il est tout simplement impossible que vous puissiez les regarder avec vos parents. Godemiché géant, orgie de réveillon, inceste et ébats sur fond de Wagner : cinq films à regarder dès que votre oncle aura quitté le sofa dans lequel il fait sa sieste digestive.
Eyes Wide Shut, Stanley Kubrick
C’est à Nicole Kidman, qui joue Alice Hartford, que revient la réplique finale d’ Eyes Wide Shut. « Je t’aime, et tu sais, il y a quelque chose de très important que nous devons faire aussi vite que possible – baiser. » Elle ne s’adresse pas seulement à son époux à l’écran, mais également à son mari de l’époque, Tom Cruise ; et bien qu’il soit filmé de dos et qu’on ne voit pas sa réaction, les cent cinquante et une minutes de film précédentes laissent penser que cette perspective ne le réjouit pas tant que ça. Je comprends parfaitement la pulsion qui peut pousser à regarder ce film de Kubrick à Noël. Ce récit classique d’un garçon qui rencontre une fille, de la fille qui dit au garçon qu’elle fantasme sur d’autres que lui, du garçon qui part en vrille face à cette révélation et finit par entreprendre un voyage psychosexuel surréaliste s’achevant en orgie est indéniablement un film de Noël. Pour autant, je ne vous recommanderai pas de le regarder en famille. La scène d’orgie est sans nul doute la plus embarrassante à regarder, mais le pire reste encore l’absence d’alchimie entre les deux protagonistes pourtant mariés. De là à ce que votre tante Nadine s’épanche sur sa baisse de libido depuis ses dernières vacances au Cap avec son nouveau mari Eric, il n’y a qu’un pas – que vous ne franchirez pas.
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Ma Mère, Christophe Honoré
Choisir un film avec Isabelle Huppert dont le contenu ne se prête pas à une soirée en famille est d’une difficulté comparable à choisir un film léger (pour ne pas dire naze) avec Mark Wahlberg : c’est assez facile. J’ai bien pensé à Elle, la comédie noire de Paul Verhoeven sortie en 2016 dans laquelle Huppert entretient une liaison avec son violeur ; ou au film de Michael Haneke, La Pianiste, dans lequel on y voit l’actrice mutiler ses parties génitales avec un rasoir ou uriner accroupie près d’une voiture pour se faire un petit kif sexuel. Mais j’ai fini par choisir Ma Mère, pour la simple et bonne raison que je vois difficilement plus glauque qu’un bon vieux film français autour d’un inceste à regarder avec ses parents. Le film est adapté du roman posthume du même nom de Georges Bataille, dont la fiche Wikipédia contient cette phrase qui restera à tout jamais dans les annales du synopsis : « Hélène demande à son fils de lui ouvrir l’abdomen avec un rasoir pendant qu’il se masturbe, et se tranche la gorge alors qu’il jouit. »
Boogie Nights, Paul Thomas Anderson
Je me suis fourvoyée en affirmant qu’il était impossible de choisir le film le plus débile dans lequel ait joué Mark Wahlberg. Il s’agit évidemment de Phénomènes, le long-métrage de M. Night Shyamalan dans lequel il se retrouve – ainsi que le reste de l’humanité – en guerre contre les arbres. (Vous pouvez faire l’impasse sur celui-là aussi : certes, il est familial, mais il est aussi très nul.) Son meilleur film – de façon indiscutable pour moi, mais très discutable pour lui – est l’épopée porno de Paul Thomas Anderson Boogie Nights. Une oeuvre pas forcément recommendable pour un visionnage en famille parce que, allô, c’est un film sur le porno, mais également parce qu’il contient l’une des scènes de faux pénis les plus graphiques de l’histoire du cinéma. « Alors que nous tournions, a affirmé Anderson à propos de la scène dans laquelle Wahlberg, qui incarne le personnage de Dirk Diggler, finit par montrer son gros paquet, je n’arrêtais pas de me dire que c’était comme voir le dinosaure dans Jurassic Park, le requin dans Les Dents de la Mer ou E.T. pour la première fois. C’est une révélation. » La première fois que j’ai vu Les Dents de la Mer et E.T., c’était avec ma famille – Dieu merci, j’ai regardé Boogie Nights seule. Les requins mangeurs d’homme et les aliens sont une chose. Les pénis artificiels géants, en revanche en sont une autre.
Nymphomaniac Partie I et II, Lars Von Trier
Même sans tenir compte de son contenu, le Nymphomaniac de Lars von Trier a peu de chances d’être choisi comme programme de Noël car – à l’instar du pénis en silicone susmentionné – il est bien trop long. Mises bout à bout, les deux versions atteignent près de sept heures. La plupart des scènes ajoutées tendent vers le débat philosophique, quoiqu’il y ait aussi une scène d’avortement artisanal tellement sanglante que j’ai eu du mal à la regarder. Le film raconte l’histoire d’une femme fièrement accro au sexe, jouée par Stacy Martin dans sa jeunesse et par Charlotte Gainsbourg une fois adulte. Nymphomaniac est sûrement le film le plus explicite mettant en scène de grandes stars du cinéma : on a retouché des acteurs pornographiques afin de faire croire que les acteurs principaux jouaient eux-mêmes les scènes sexuelles, dont très peu ont lieu hors-champ. Le film manque délibérément de sensualité, est aussi explicite que du vrai porno et se révèle aussi électrisant que frustrant à bien des égards ; même les membres de votre famille les plus ouverts (coucou tata Whisky) préfèreront regarder cette œuvre seuls. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’aucune grand-mère n’appréciera le film – peut-être que la vôtre l’adorera. Disons juste que ça risque de lui faire très drôle après les vœux présidentiels de Macron.
Visitor Q, Takashi Miike
Ma propre mère, qui est, à 60 ans, techniquement assez âgée pour être une grand-mère, a un attrait assez inhabituel pour le cinéma d’art et essai un peu extrême. C’est elle qui m’a initiée au cinéma de Takashi Miike en me montrant Audition quand j’étais adolescente. (Rassurez-vous, j’ai quand même bien tourné.) Ma famille ne ressemble pas à celle des autres, et même pour la mienne, ça s’est avéré être un peu too much. Faites donc l’impasse sur l’œuvre ultérieure de Miike, qui s’ouvre en demandant aux spectateurs s’ils ont déjà couché avec leurs pères. Un homme demande à sa propre fille, une prostituée qui allaite son amant, de coucher avec lui. Une relation sexuelle avec une femme morte est interrompue par une diarrhée impromptue. Si ce n’est pas le film le plus grotesque que j’aie jamais vu, je suis certaine qu’il doit quand même se situer dans le top cinq – je n’irais pas jusqu’à dire que je n’aime pas ce film mais j’admets qu’il n’est pas facile à recommander. Particulièrement si l’on considère Noël comme un moment de célébration gustative et/ou religieuse qui rend l’humour fécal d’autant plus difficile à avaler. Pas sûr que vous ayez envie de reprendre de la bûche après avoir vu Visitor Q. En y réfléchissant, pas sûr que vous ayez encore envie de quoi que ce soit, en fait.
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