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Dix ans après, l’US Ivry handball n’a pas oublié ses héros

En 2007, les handballeurs ivryens remportaient à la surprise générale le titre de champion de France. En stoppant l'hégémonie montpelliéraine, le club est entré dans l'Histoire.

Mercredi 8 février 2017, 20 heures. Ivry-Créteil, soir de derby. Dans les tribunes du gymnase municipal Auguste-Delaune, les Lusifers – l'association de supporters des locaux – et leurs tambours tentent d'orchestrer la partition, tout de rouge vêtus. La salle affiche presque complet. Le temps d'un instant, on se croirait de retour le 1er juin 2007, où l'affluence monstre poussait des centaines de personnes à se regrouper derrière les vitres donnant au-dessus du terrain et ce jusqu'à la buvette. Si elles n'apercevaient sans doute rien du match, tandis que d'autres étaient perdues dans les alcôves d'une salle dont seuls les habitués connaissent tous les recoins, elles voulaient être là pour célébrer, en famille, ses champions. Dans l'Espace Robespierre attenant, plus de 500 Ivryens s'étaient rassemblés devant le grand écran. Face à Villeurbanne pour la dernière journée du championnat, tous étaient prêts à honorer un titre qui ne pouvait alors plus leur échapper.

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« La fête qui a suivi était impressionnante, je n'avais jamais vu le gymnase comme ça, tout en rouge et noir, les joueurs peinturlurés… C'était la grosse fiesta. » Ce soir-là, il y a dix ans, Marie Mesrar était en tribunes. « Normalement Delaune est à 1 500 - 1 800 places, mais là je pense qu'on était largement hors quota sécuritaire ! Si on a réussi à placer 3 000 personnes là-dedans… C'était impressionnant.» Aujourd'hui, elle fait partie des élues responsables de l'Aire des bénévoles de l'US Ivry, structure du club dédiée aux bénévoles. En tant que première passionnée et cheville ouvrière du club depuis plusieurs années, son souvenir de ce moment de gloire est intact. À demi-mots, elle avoue même avoir versé une larme une fois le trophée brandi. « Il y avait des joueurs qui n'avaient pas connu ça depuis longtemps, se rappelle-t-elle. Je pense à Fabrice Guilbert, Thomas Richard… Ça faisait quand même 10 ans qu'ils attendaient ça (depuis le dernier titre d'Ivry en 1997, ndlr). Les jeunes les regardaient avec des étoiles dans les yeux, ils étaient des héros. Forcément on pense à Lucho (Luc Abalo, élu meilleur joueur du championnat, ndlr). Le regret que j'ai eu c'était Éric Amalou. Il était là en 2005-2006, c'était sa dernière année en tant que pro et il a loupé ça, c'est dommage. »

Marie a passé les trois derniers matches à domicile debout dans les tribunes. La foule, qui, au fur et à mesure des victoires, venait gonfler les tribunes, ne lui laissait de toute façon pas vraiment le choix. Tout le monde voulait en être. De là à dire que le succès était couru d'avance ? « Peut-être pas, rétorque-t-elle. Mais on savait que l'équipe était suffisamment sereine pour y arriver. Ça se voyait à travers des attitudes. Il y avait une sérénité, pas d'excitation… Ils étaient très calmes. »

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Virgile Pierquin, l'un des enfants du club, jouait encore en moins de 18 à l'époque. Et comme beaucoup, il s'imaginait professionnel en voyant ses aînés triompher sur les parquets. « Bon ce n'est plus vraiment possible aujourd'hui hein », glisse-t-il dans un sourire. Le jeune homme a grandi. C'est avec le souvenir de ces heures dorées que le désormais responsable de la section amateur de l'US Ivry prépare l'avenir, à commencer par l'école de hand. Lui non plus n'a pas oublié cette dernière rencontre face à Villeurbanne. « Tout le monde était rentré sur le terrain juste après le coup de sifflet final, c'était génial. Les joueurs ont à peine eu le temps de se serrer dans les bras qu'on leur sautait dessus… C'est un peu ça qui fait notre particularité aussi. On est un club familial. »

Cette famille, Mohamed Mokrani en a fait partie. Mais, en ce mercredi de février à Delaune, c'est avec les Ciel et Blanc de Créteil que le pivot n'hésite pas à faire parler son physique sur certains de ses anciens partenaires. Il suffit de se plonger dans son regard pour comprendre que lui, l'Ivryen de naissance, né et formé dans la ville, fait abstraction de tout ça. L'enjeu a pris le pas sur la nostalgie. Face à Remy Gervelas ou François-Xavier Chapon, avec qui il a partagé ce titre, il semble imperturbable. Pourtant, en dehors des terrains, ses souvenirs sont intacts. « Même si on se voit moins souvent on est toujours en contact, explique le n°33 Cristolien. Que ce soit avec Luc (Abalo), Romain (Guillard) avec qui j'étais aussi à Dunkerque, Thomas (Richard), Dragan (Pocuca) qui entraîne les gardiens dans mon club… On a ce lien qui restera à vie. »

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Les années terminant en 7, à l'instar des chapitres d'un livre, ont souvent été des marqueurs dans l'histoire de l'US Ivry. Fondé en 1947, le club accède à l'élite en 1957. 20 ans plus tard, la section féminine célèbre son dernier titre à ce jour, en 1977. Sans oublier le triomphe des messieurs en 1997 et 2007. « C'est vrai que tous les dix ans on fait un truc, acquiesce Pascal Léandri. Bon là on a un peu de retard mais… »

Le directeur général du club a vécu, en short, l'épopée 97 avant d'enfiler le survêtement dix ans plus tard en tant qu'entraîneur-adjoint. Pour avoir été témoin de ces deux saisons, il relève des points communs mais aussi quelques particularités : « Ce sont un peu les mêmes histoires je trouve, avec des équipes qui s'entendaient bien. L'année d'avant (en 2005–2006), on avait fini 5e. On venait de changer d'entraîneur et d'un coup l'équipe avait eu un déclic. Et en 1997 on était arrivés avec cette envie de gagner des choses ensemble sans se prendre la tête. Ce sont des histoires de potes dans les deux cas, où l'on sortait pas mal (rires). Maintenant c'est plus compliqué. J'ai de très bons souvenirs de 1996 où on a gagné la Coupe, le championnat bien sûr un an après. Mais c'est vrai qu'en 2007 il y avait des choses marquantes. Remporter le titre, c'était loin d'être écrit contrairement à dix ans avant où on avait une grosse équipe. Et puis il y a eu des tournants assez fous… »

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De tous ceux qui en étaient – de près ou de loin – il y a dix ans, chacun ou presque a eu son propre déclic. Son moment où, au plus profond d'eux, ils ont senti que c'était possible. Pour le gardien de but François-Xavier Chapon, le début de la phase retour a été crucial. « On rencontre très vite Chambéry et on gagne d'un but. Dragan (Pocuca) arrête un penalty à la dernière seconde. Contre Montpellier on gagne aussi d'un but avec Luc (Abalo) qui marque dans un angle complètement fermé en toute fin de match, avec un Omeyer qui avait dû faire 23 arrêts, il stoppait tout. Derrière les deux clubs perdent et on passe premiers. C'est à partir de là qu'on s'est dit que c'était jouable. On avait rencontré les plus gros donc on pouvait battre tout le monde. »

Le déplacement à Dunkerque a eu un écho particulier chez Mohamed Mokrani. Tout un symbole pour celui qui a également connu le succès en 2014 avec les Nordistes. Le seul à avoir perturbé la domination de Montpell' et désormais du PSG ces dernières années – et à avoir fait partie intégrante des deux dernières grosses surprises du championnat de France – c'est lui. « On savait qu'en cas de victoire on prenait la tête du championnat. Et là on sort un match extraordinaire. Je me rappelle qu'il y avait déjà 13–5 à la mi-temps, ça m'a marqué. On avait été très solides. »

Mais de l'avis de tous, cette avant-dernière journée, ce choc face à Nîmes – alors en pleine Féria – restera toujours à part. L'arrière droit Thomas Richard, Ivryen parmi les Ivryens, raconte : « C'était le couperet parce que c'était toujours chaud d'aller jouer là-bas. Ils jouaient leur place en Coupe d'Europe, nous le titre. Et puis ils n'ont pas perdu un match chez eux cette saison. Ça a été intense. À la fin je prends "deux minutes" où je me démolis l'épaule d'ailleurs ! C'est vrai que je sors sur Saurina (arrière gauche de Nîmes, ndlr), j'essaie de le maintenir et là j'ai le bras qui part, je suis un peu derrière. Heureusement on avait plutôt bien géré le match et l'envie a fait le reste. Ça a été une libération. » Le dernier coup franc de la rencontre, à l'ultime seconde, est gravé dans l'esprit de Pascal Léandri : « C'était de notre côté parce qu'on était en défense. Putain, mais je crois que si tout le banc avait pu aller défendre, on serait tous allés sur Benoît Chevalier (arrière droit nîmois, ndlr). Il avait la balle, tout le monde lui parlait et nous on gueulait : "allez va-y, tire au-dessus. Ce qu'il a fait. Tu sentais le truc, ça aurait pu changer l'histoire. Ce tir-là, il ne pouvait pas le marquer. Les étoiles étaient alignées. »

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Quand on évoque cette saison 2006-2007, une donnée se détache plus que les autres du flot de statistiques. Encore aujourd'hui, elle constituerait presque une anomalie à l'échelle d'une structure professionnelle de handball. Ce chiffre, c'est le 75, comme le pourcentage de joueurs de l'équipe formés au club cette année-là.

Quand on questionne Daniel Hager, dit "l'encyclopédie de l'US Ivry", sur ce qu'il a ressenti 10 années plus tôt, il semble surpris du temps qui passe. « On a l'impression que c'était hier », confesse-t-il. Dans la salle de musculation située au deuxième étage du gymnase Auguste-Delaune, il veille au grain sur ses pépites, lui le responsable de l'équipe de jeunes. Dans l'ombre, il façonne les aspirants pros depuis 2007, après neuf années en tant qu'entraîneur de l'équipe première. S'il n'était pas aux manettes cette saison-là, ce titre, de l'avis de tous, porte aussi sa marque. « Ce succès, c'est l'amalgame réussi de plusieurs générations, relève Daniel. Il y avait la première, celle de 1976 qui était partie à un moment donné et qui avait décidé de revenir. Dans le même temps c'était l'arrivée à maturation des jeunes avec les Luc (Abalo), Audräy (Tuzolana) etc. Beaucoup étaient aussi là depuis un moment. Sur 18 joueurs, t'en avais 14 du centre de formation encadrés par Zoran (Martinovic), Dragan (Pocuca), Ragnar (Po Oskarsson) ».

Les joueurs en train de célébrer le titre de champion de France.

Stéphane Imbratta s'occupait du centre de formation avant, il y a dix ans, de prendre en charge l'équipe pro. Un mot revient souvent quand on évoque avec lui sur cette aventure : « fabuleux ». « Imagine que c'était ma première expérience en tant que coach principal et ça s'est fini en apothéose (il a aussi remporté le trophée de meilleur entraîneur de la saison, ndlr). C'était juste fabuleux… On a vécu une vraie histoire de club, à la fois affective, émotionnelle, sportive… Il y a beaucoup de valeurs qui se sont entremêlées là-dedans et je crois que c'est ce qui a fait toute notre réussite, avec aussi un mélange de générations et des étrangers qui ont fait leur part du job. Oskarsson, Martinovic, Pocuca, entre autres, se sont mis complètement dans l'ambiance. Mais c'est vrai que quand je repense aux 75% de joueurs formés au club, fiou ! Tous sports confondus je sais même pas si ça a existé pour te dire. Ça a eu un impact, bien sûr. T'imagines que les joueurs se connaissaient, avaient une histoire commune, le maillot c'était quelque chose d'important pour eux. On avait des moyens limités, le 7 ou 8e budget de D1, le favori c'était Montpellier. Finir en beauté, en passant d'outsider à champions de France, c'était magique. »

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Pascal Léandri était assis sur le banc à ses côtés. Il est le premier à confirmer l'importance du rôle de chacun : « Raggy (Oskarsson) était le métronome de l'attaque, il a fait une saison top niveau (meilleur buteur du championnat, ndlr), marquait les pénos importants, faisait jouer l'équipe dans le bon rythme… Zoky (Martinovic) en détonateur, Ahmed (Hadjali) pour la bonne ambiance, Audräy (Tuzolana), Damir (Sajlagic), qui était aussi le leader de l'ombre et ne lâchait rien, les gardiens s'entendaient bien et faisaient de bonnes perfs, Momo a su faire des choses au poste de pivot et en défense avancée, Thomas Richard a apporté de la sérénité au groupe… C'est peut-être ça aussi la réussite d'une équipe : quand chacun a un rôle, ne cherche pas à jouer celui de l'autre mais fait bien le sien. »

Le capitaine Fabrice Guilbert brandit le trophée.

Sans oublier le capitaine. Un an auparavant, Pascal Léandri portait le brassard mais avait décidé de raccrocher à la fin de la saison. Fabrice Guilbert venait de revenir dans son club formateur. Il raconte le passage de témoin : « C'est assez marrant. À l'intersaison, Steph (Imbratta) m'appelle, on va manger ensemble et il me dit qu'il faut qu'on parle. "Pascal arrête, pour le capitanat comment tu vois le truc?" Je lui dis : "Bah moi!". Je suis pas le plus vieux mais l'un des plus vieux, je suis international, ça veut dire un peu respecté par les plus jeunes, aussi par les plus vieux et les étrangers… En fait j'étais bien avec tout le monde. Je te donne un exemple simple : tu mets un petit jeune qui était bon comme Luc. Mais comment veux-tu qu'il puisse dire quelque chose à Martinovic qui a 33 ans? C'était complexe ! J'avais déjà joué avec Pocuca qui était plus vieux mais qui n'avait pas forcément l'âme d'un capitaine, Martinovic non plus. Par rapport à ces gars le rapport était bon, je pouvais leur dire des trucs sans souci. Oskarsson aussi. Avec ceux de ma génération, les Damir, Thomas… Thomas avait besoin de se concentrer sur lui-même. Damir était trop bouillant. Je pensais que le plus logique était moi, et c'était pas pour me mettre en avant ou quoi que ce soit. Ça n'a pas changé ma manière d'être. Moi je parle beaucoup, je veux pas avoir un rôle particulier en plus parce que je suis capitaine. »

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Le collectif a pris le relais. Dans le vestiaire, discussions et échanges sont permanents. Plutôt que d'imposer, on suggère, Stephane Imbratta le premier. Les mises en place sont rigoureuses mais le jeu en lecture, le feeling et l'improvisation permettent d'épanouir tout un groupe. En capitalisant sur les bases prometteuses établies en 2006 avec une finale de Coupe de France et en sortant d'un début d'exercice pas toujours maîtrisé, les Rouge et Noir ont tracé leur route vers les sommets.

Février 2007. Alors que les Costauds viennent d'achever leur Mondial allemand à la quatrième place, après une demi-finale houleuse face au pays hôte, l'US Ivry s'apprête à attaquer la phase retour du championnat. Après un début de saison moyen, difficile à l'époque de tirer des plans sur la comète. Mais voilà : « Il s'est passé quelque chose pendant la trêve, raconte Daniel Hager. Je me souviens qu'en janvier, on avait proposé aux joueurs de faire une grosse préparation physique dans l'espoir d'aller peut-être chercher quelque chose. Ils ont tous fait les efforts, tu sentais qu'ils avaient vraiment envie de gagner, les mecs adhéraient au truc. »

Les héros de l'époque.

S'il devait y avoir une personne qui symbolise ce nouvel élan, ce serait sans doute Béatrice Barbusse. Préparatrice mentale puis trésorière, elle devient présidente du club à l'amorce de la seconde partie de saison. « Je me demande même si ce n'était pas le 7 février », se rappelle-t-elle aujourd'hui. À Ivry, on ne semble pas pouvoir échapper à la volonté du 7. Son premier discours face aux joueurs a toujours une place à part dans sa mémoire. « Je suis une femme, ancienne joueuse, je me suis mis la pression. Un premier speech en tant que présidente devant des pros, faut pas se louper, d'autant plus qu'il y avait cet enjeu au bout : le titre. On avait deux points de retard sur Montpellier. Si les joueurs gagnaient tous les matches, on était champions. Ils avaient leur destin entre les mains. Et sur ce que j'ai de plus cher au monde, je n'ai jamais préparé un discours comme celui-là. Encore aujourd'hui, dix ans après. »

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La maître de conférences en sociologie se souvient de son départ, une semaine avant cette prise de parole, pour la Martinique afin d'y donner des cours. Quand ses collègues allaient piquer une tête à la piscine à la fin de leur journée, Béatrice Barbusse regagnait sa chambre d'hôtel pour écrire pendant deux heures. Elle apprend par coeur son allocution, répète devant la glace. « Dans mon discours, certains s'en souviennent encore, il fallait que je leur explique pourquoi j'ai accepté d'être présidente. J'ai mis en avant les valeurs du club, dit que je me sentais très bien entourée et aussi légitime. Il nous restait 13 matches. Si on les gagne, banco. Je sais que n'importe quel joueur dans n'importe quel sport collectif ne connaît pas ses deux-trois matchs à l'avance. Il connaît celui qui arrive et c'est tout. Donc je me suis dit que j'allais les impressionner en apprenant l'ordre des matches par coeur jusqu'au dernier coup de sifflet de la saison. Fabrice (Guilbert) était comme un dingue ! Je leur ai dit : "Vous croyez quoi les gars? On est aussi investis que vous, on est dans le même bateau. Vous gagnez, vous donnez des billes pour faire avancer le club." Là j'ai senti dans les regards, les attitudes des uns et des autres, qu'il se passait quelque chose. Dans ma tête, je crois que je savais qu'ils allaient le faire. »

Dire que la route vers le titre était dégagée est presque aussi faux que d'avancer que les joueurs n'y croyaient pas. «Dès le début on savait qu'on voulait viser les premières places, mais on ne savait pas qu'on pouvait être champions, il y avait quand même Montpellier qui était là depuis des années », explique François-Xavier Chapon. Un avis partagé par Mohamed Mokrani : « On a vécu un départ catastrophique. J'étais loin de m'imaginer au bout de quatre journées qu'on était capables de le faire ». Pourtant le deal était clair dès le départ pour Stéphane Imbratta. Avant même le début de saison, il avait réuni ses troupes. Son discours était simple, son ambition claire : « Je suis sûr qu'on peut être champions de France ». Thomas Richard résume parfaitement : «Steph (Imbratta) a réussi à tirer le meilleur de nous-mêmes en nous piquant au vif. Il y a un dicton qui dit : "Ils l'ont fait parce qu'ils ne savaient pas que c'était impossible". C'est un peu ça. On s'est autorisé à essayer des choses, à être un peu plus nous-mêmes, à être au service des autres parce que c'était le fond du jeu d'Ivry. Ça a libéré beaucoup de monde et donné de l'incertitude à notre jeu. C'était une force en 2007 parce que nos adversaires ont été surpris qu'on soit capables d'improviser, de créer de la nouveauté. Je me souviens d'un échange que j'avais eu avec Patrick Cazal (arrière droit Dunkerquois) l'année d'après. Il m'avait dit : "Quand vous nous avez battu à Dunkerque et que j'ai vu que vous étiez déjà en train de penser aux matches d'après, je me suis dit que vous alliez être champions". »

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D'un fantasme au départ, c'était devenu un rêve que tous voulaient concrétiser. 13 rencontres 2007 en mode turbo et une invincibilité à domicile plus tard, l'US Ivry remportait son 8e bouclier.

Car c'est dans leur antre du gymnase Auguste-Delaune que le succès s'est bâti. 12 victoires, un nul, zéro défaite. Commencer par être intraitable chez soi était, certes, la première étape pour espérer, presque une obligation. Encore fallait-il être en mesure de le faire. À l'époque le club était habitué aux grosses saisons à domicile. Venir gagner chez les Rouge et Noir était toujours compliqué. L'objectif affiché de ne pas lâcher le moindre point a non seulement su transcender les fans mais aussi les joueurs et le staff.

Stéphane Imbratta a été marqué par l'ambiance qui régnait il y a dix ans. « On avait réussi notre pari, la salle était devenue un vrai chaudron ! Les tribunes sont très proches du terrain, on appelait ça une salle à l'anglaise, un peu comme les terrains de foot du Royaume. Il y avait ce lien très fort entre tous, y compris les supporters. Cette osmose entre le public, les joueurs… À partir du moment où tu es dans une dynamique pareille, ça aide aussi, il ne faut pas se mentir. Toute cette atmosphère a pris de l'ampleur et le feu dans les gradins n'est jamais redescendu. » Thomas Richard complète les propos de son ancien coach : « L'équipe est sur le terrain, mais si ça marche c'est parce qu'elle est soutenue toute l'année par le club, les fans, les bénévoles, les jeunes. On est dans un monde associatif à Ivry et sans tout ça, ça ne fonctionne pas. »

Les joueurs d'Ivry durant la rencontre du sacre.

Retour le 8 février 2017. Le coup de sifflet final retentit. Derrière au score pendant presque l'intégralité de la rencontre, l'US Ivry s'incline (27–28) dans l'un (le ?) des derniers derby historiques de la Lidl Starligue. Un soulagement pour Créteil qui sort un peu la tête hors de l'eau mais pas de la zone rouge. Cette saison les deux équipes sont dans le dur même si rien n'est joué à l'amorce de la phase retour. Hormis une surprise XXL, il sera compliqué pour les Rouge et Noir d'accrocher le titre cette année. De là à dire que le hand a beaucoup changé en dix ans… « Avant il n'y avait que quelques clubs structurés, explique Pascal Léandri. Aujourd'hui tu en as 14 voire 16, avec Chartres et Tremblay en D2, donc ça donne de plus en plus d'endroits où on travaille bien, où on sort du monde, où les joueurs sont prêts physiquement et tactiquement. » Pour lui, c'est la raison pour laquelle le sport a changé, et coupe l'herbe sous le pied de l'explication trop simpliste sur l'arrivée des Qataris au PSG. « Ça, ça te permet d'avoir un club qui doit gagner la Ligue des Champions donc c'est bien qu'ils aient des internationaux français. C'est mieux qu'ils soient là plutôt qu'ailleurs. » Virgile Pierquin ne le cache pas : les dernières saisons ont été nettement plus difficiles à vivre du côté d'Ivry. Mais le reconnaître ne signifie pas abdiquer, loin de là. « Je pense qu'on a tous conscience que le club a vécu des années plus compliquées mais on fait en sorte d'avancer pour un jour peut-être revivre ça, explique l'intéressé. On en a tous envie et on fait tout pour. »

En attendant, quand on a le blues, on ressasse. De cette aventure 2007, on pourrait tirer une encyclopédie. Les souvenirs sont nombreux, les histoires sans fin. La mission est presque impossible pour tenter de toutes les récapituler. Chacun – joueur, entraîneur, présidente – y va de son analyse émue. Pour Béatrice Barbusse, ce sont des paroles d'une chanson de Barbara qui lui reviennent en tête : « Regarde, quelque chose a changé, l'air semble plus léger, c'est indéfinissable…""Cette année-là, personne ne nous attendait, complète-t-elle. On a surpris le monde du hand. Cette cohésion qu'on avait… Jamais je n'avais connu ça de ma vie, même quand j'étais joueuse. On n'avait pas besoin de se parler. Il y avait ce sentiment d'être intouchables, que quelque chose vous porte. »

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« C'est un moment exceptionnel dans une carrière, confirme Mohamed Mokrani. Ce premier titre, avec tous ces joueurs qui viennent d'Ivry comme moi, il a une saveur particulière. C'est une immense fierté d'avoir pu contribuer au rayonnement de la ville, parce que quelque part on en est les représentants par notre statut de joueur pro. » Thomas Richard préfère retenir les efforts consentis par tout un groupe pour aller chercher le fameux bouclier. « Le moment de la délivrance où on se dit : "Ça y est, on l'a, on est heureux", ouais ça c'est une joie. Mais c'est l'aventure de toute une année, de tout un championnat. Et c'est long. Tenir, grappiller des places, faire des erreurs, essayer de les combler… Ça demande une stabilité et nous on était plus dans une logique de coupe. » Fabrice Guilbert faisait partie de ceux qui ont connu toutes les catégories ou presque au sein du club. Que ce soit en minimes, cadets, juniors, espoirs, il a connu la gagne. En 1997, pour sa première année en D1, il est sacré champion. « C'était un truc de fou!, plaisante-t-il. Mais en fait ça me paraissait logique, on a juste continué ce qu'on faisait avant. La différence c'est qu'on n'avait pas un rôle majeur, on arrivait dans une équipe où t'avais Vassili Koudinov* etc. c'était top. Et dix ans après, en 2007, j'ai un rôle plus important et je suis capitaine. Même si ce rôle, honnêtement, c'est important mais pas plus que ça, ça reste un mec comme un autre. Le seul truc, c'est qu'on te remet la coupe en premier (rires). Mais le groupe était plus fort que tout. » Aujourd'hui sans club, Stéphane Imbratta aspire à rebondir rapidement. L'homme ne vit pas dans le passé mais prend plaisir à revenir sur ce très beau souvenir. « On a tous ça en commun, personne ne pourra jamais nous l'enlever. Ça a été une fabuleuse année, elle restera en nous. »

À Ivry, l'histoire est prégnante. Quand le handball arrive en France à la fin des années 1940 – début des années 1950, le club est l'un des pionniers. Le développement du sport s'appuie sur le réservoir de l'école Robespierre implantée dans la ville. Un terreau on ne peut plus fertile pour bâtir l'un des centres de formation les plus respectés de l'Hexagone. Le titre de champion de France en 2007, le huitième au palmarès de l'USI, n'a fait que renforcer une politique locale solidement enracinée. Pas forcément de celles qui vous assurent un succès immédiat sur les parquets, certes. Mais assurément l'une des plus payantes à long-terme, qui donne le plus de satisfaction et crée des souvenirs intemporels lorsqu'elle est couronnée de succès.

*Le double champion olympique russe et champion de France avec Ivry en 1997 est décédé, samedi 11 février, à l'âge de 47 ans.