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Le moteur de recherche français Qwant pense pouvoir renverser Google

« Quand un ou deux moteurs de recherche décident des produits auxquels des milliards de gens auront accès, ce n'est pas tant un problème de neutralité, c'est un problème de démocratie. »

Si Google est un Goliath, alors Qwant se voit comme le courageux David qui l'abattra au terme d'une lutte acharnée.

Le moteur de recherche français, récemment intégré à une version personnalisée de Mozilla Firefox, assure l'anonymat de 21 millions de personnes à travers 30 pays. Le nombre d'utilisateurs de Qwant a augmenté de 70% en un an : un décollage très encourageant pour l'entreprise qui lance ce mois-ci une application mobile. Celle-ci permettra aux utilisateurs de faire des recherches de manière anonyme grâce à un navigateur dédié.

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Le moteur de recherche a été fondé par Éric Leandri, entrepreneur spécialisé en sécurité réseaux, et Jean-Manuel Rozan, investisseur et ancien trader. Aujourd'hui, les deux hommes dirigent une équipe de 50 personnes basées à Paris, Nice, et Rouen. Leur but est de positionner leur moteur de recherche sécurisé comme alternative au sacro-saint Google.

« Nous ne voulions pas que Qwant soit un moteur de recherche comme on en voit des dizaines », explique Léandri. « Nous avons des valeurs – respecter la vie privée de nos utilisateurs, ne pas suivre et enregistrer leurs activités, ne pas archiver leurs requêtes. Ces valeurs ont été implantées d'un point de vue technique et d'un point de vue marketing, dès le début. Ces valeurs, nos équipes les ont embrassées facilement parce qu'elles constituent un défi, parce qu'elles sont gratifiantes. »

Aperçu de la page d'accueil de Qwant. Image : Qwant

On peut comparer Qwant à DuckDuckGo, le moteur de recherche qui refuse de fournir des résultats de recherche personnalisés, ou encore au moteur de recherche néerlandais ixquick, qui permet également d'utiliser la navigation privée (mais est assorti d'une demi-page d'annonces Google). Qwant n'utilise pas de cookies pour suivre les utilisateurs et ne collecte pas les données de navigation personnelles. Il ne fait pas de profilage de données non plus. Deux personnes qui chercheront « voyage au Mexique » sur Qwant obtiendront les mêmes résultats de recherche, quels que soit leur âge, leur sexe, leur milieu social, leurs habitudes de consommation, de navigation et leur localisation.

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Qwant se distingue de ses concurrents par ses catégories de recherche, qui vont au-delà des onglets « actualités », « images » et « vidéo » traditionnels : il propose par exemple un onglet « réseaux sociaux » (qui collecte uniquement les résultats de recherche Twitter) et un onglet « musique » qui permet d'extraire des albums et des titres iTunes. Qwant possède également une page artiste pour les grandes figures de la musique pop (à laquelle sont intégrées les dernières actus sur l'artiste), et lie votre recherche aux trends des réseaux sociaux. (En cherchant « arbres verts » sur Qwant, vous tomberez par exemple sur le dernier album d'Al Green). Enfin, le moteur de recherche a récemment introduit une section intitulée « Carnets » qui permet de créer des profils utilisateur et offre une page de discussion sur laquelle les utilisateurs peuvent télécharger leurs propres photos, vidéos et textes, commenter et discuter. Le forum propose 31 thèmes différents : emploi, automobile, gastronomie, santé et loisirs, entre autres. Un moteur de recherche adapté aux enfants, Qwant Junior, est également dans les tuyaux.

Résultats de recherche Qwant pour un groupe de musique. Image : Nicholas Deleon/Motherboard

En août, Qwant a été intégré aux versions allemande, française et britannique du navigateur Firefox pour PC et Android. Son extension est téléchargée 5000 fois par semaine environ, ce qui correspond à 140 000 téléchargements lors des trois derniers mois.

Le succès de Qwant marque la méfiance des Européens à l'encontre de Google, de ses publicités, de son hégémonie sur le Web.

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« Nous sommes à un moment charnière où nous les citoyens, les internautes et les consommateurs, devons choisir de conserver ou non notre droit à la vie privée, et définir dans quelle mesure nous sommes libres de l'exercer », a déclaré Leandri. « Internet n'est pas seulement un moyen de communication – c'est aujourd'hui une sorte de cerveau de substitution. Des informations qui auraient dû rester dans les limites impénétrables de votre esprit, ou dans le sanctuaire de votre propre maison, sont maintenant envoyées sur des serveurs dans le monde entier. Des tiers peuvent les consulter, dont des entreprises. Tout ce que nous faisons est enregistré, stocké, et peut être récupéré sur demande. »

Même quand les entreprises proposent des options de confidentialité, il s'agit de « faux choix », selon Leandri. « Par exemple, certaines entreprises proposent une confidentialité absolue à ses utilisateurs ainsi que des services sur mesure ; mais quand on lit les petits caractères, on s'aperçoit que les données personnelles sont collectées malgré tout. « Ils prétendent qu'on ne peut pas profiter des services d'une intelligence artificielle sans renoncer au contrôle de nos données personnelles, mais dans la plupart des cas, c'est un mensonge éhonté », a déclaré Leandri. « Exploiter la vie privée des gens quand on entraine des IA, c'est facile. Et surtout, c'est commode. Mais nous pensons qu'il existe des solutions alternatives. »

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Recherche d'informations sur Donald Trump grâce à Qwant. Image : Nicholas Deleon/Motherboard

Leandri s'inquiète de notre dépendance croissante envers les IA et les « assistants numériques » qui anticipent nos besoins. « Plus vous vous y habituerez, moins vous vous demanderez comment et pourquoi telle IA recommande ce trajet plutôt qu'un autre, ce livre ce produit », ajoute-t-il. « Toute entreprise possédant un tel pouvoir sur nos vies peut être tentée s'en abuser – et même avec les meilleures intentions du monde, les effets que ces algorithmes de recommandations peuvent avoir sur nous sont difficiles à anticiper. »

Qwant tire son bénéfice de sites Web CPC (coût par clic), et possède un accord avec une filiale berlinoise spécialisée en marketing internet, Zanox. Elle met en contact les utilisateurs avec des sites commerciaux (Qwant gagne entre 44 et 88 centimes par clic). Les Français ont également prévu un partenariat avec TripAdvisor (tous les détails seront annoncés sous peu) et eBay. Qwant a profité de la vente de 20% de son capital à Axel Springer, une maison d'édition allemande, pour 6 millions de dollars en 2014 (le directeur de la maison d'édition, Mathias Döpfner, a critiqué Google publiquement).

Pour l'entreprise, le grand défi sera de garder son intégrité et de suivre ses principes tout en gagnant de l'argent.

« Nous n'essayerons pas de vous proposer un service spécifique parce que cela aurait un intérêt commercial pour nous ; nous ne filtrerons pas les résultats de recherche sur la base d'un agenda politique ou commercial », ajoute Leandri. « La promesse que nous faisons à nos utilisateurs et à l'ensemble de la communauté Web, c'est que nous traitons tout le monde de la même façon, et que nous proposons un service honnête. »

« Nous sommes à un moment charnière où nous les citoyens, les internautes et les consommateurs, devons choisir de conserver ou non notre droit à la vie privée, et définir dans quelle mesure nous sommes libres de l'exercer »

Afin de prouver sa volonté de transparence, Qwant a publié son code source afin que des parties tierces, comme la CNIL, puissent certifier ses engagements (pas de suivi des utilisateurs, pas de collecte de données personnelles). Enfin, l'entreprise a fait appel à quelques white hats qui seront chargés d'éprouver la sécurité du système. Cette année, la société espère publier ses algorithmes en open source, afin que tout le monde puisse vérifier ses pratiques de confidentialité.

La bataille contre Google ne fait que commencer. Seuls 12% des utilisateurs de Qwant utilisent le moteur de recherche pour smartphones. Le trafic de recherche mobile est largement dominé par Google, qui détient 95% des parts de marché smartphones aux États-Unis. De plus, Quant n'est pas défini comme moteur de recherche par défaut sur Safari et Chrome, ce qui constitue un gros handicap pour l'entreprise. « Quand un ou deux moteurs de recherche décident des produits auxquels des milliards de gens auront accès, ce n'est pas tant un problème de neutralité, dit Leandri, c'est un problème de démocratie. »