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The Onion a perdu son indépendance

La dernière ferme à contenu drôle et intelligente indépendante a été vendue ce mois-ci. Qu’est-ce que cela dit du web en général ?

Parfois, je passe des heures à chercher un texte vraiment drôle sur Internet. Bien sûr, l'absurdité des comportements et des manières de communiquer sur les réseaux sociaux m'occasionne régulièrement un fou rire, mais il est difficile de trouver un média spécialisé dans un contenu humoristique de qualité. Peut-être que cette recherche désespérée confirme que j'ai un humour de niche. Ou peut-être que l'humour de niche disparait sur Internet parce qu'il résiste difficilement aux changements d'échelle en terme d'audience.

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La semaine dernière, le groupe media espagnol Univision est devenu l'actionnaire majoritaire de The Onion, et contrôle désormais Clickhole et AV Club. Univision possède 40% des parts de l'entreprise, et a acquis le droit de la revendre si elle le souhaite. Évidemment, la vente s'est accompagnée des traditionnelles déclarations enthousiastes de la part des responsables éditoriaux ; ceux-ci se sont félicités des nouvelles opportunités offertes à l'entreprise en terme de création, d'audience, de revenus publicitaire, etc. Ils ont également mis l'accent sur le chemin parcouru depuis leurs débuts comme startup en 1998.

Vu l'état actuel des médias sur Internet, il faut reconnaître que la parodie et la satire sont devenus indispensables. Et pourtant, il est quasiment impossible de faire vivre un média satirique durablement. Oubliez le fait que les jeunes blancs adorent le site et la marque The Onion ; combien de médias sont réputés pour leurs vertus comiques, et seulement pour cela ? La plupart des médias qui visent les 15-30 ans ont fait leurs débuts dans un domaine précis comme la musique, la technologie ou la mode, puis se sont étendus progressivement pour couvrir le plus de domaines possible. Ils ont renoncé à toute forme de spécialisation, se contentant désormais de rester « agiles » afin de répondre aux besoins du consommateur contemporain.

Le but d'Univision est de toucher les jeunes anglophones et de diversifier leur éventail de supports. Ce n'est pas la première fois que nous voyons un « vieux média », c'est-à-dire un média du Web 1.0, suivre la même voie que Pitchfork, qui a récemment été vendu à Conde Nast. Il semble que tout le monde ait renoncé à créer un média original après avoir pris connaissance des caractéristiques démographiques de la Génération Y.

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La consolidation des médias numériques mainstream n'est pas encore terminée, et il faudra encore probablement un an ou deux avant que des médias radicalement nouveaux soient créés ou découverts. L'Internet évolue si rapidement que prendre le parti de la nouveauté n'aura aucun sens tant que de nouveaux réseaux sociaux n'auront pas brisé les routines de consommation de contenu existantes.

Si un nouveau média au contenu généraliste a peu de chances de faire son trou, les opportunités d'un média satirique sont, quant à elles, presque inexistantes.

L'humour destiné a destination d'une large audience a toutes les chances d'être mésinterprété. Des armées d'internautes défendent les valeurs de la tolérance de manières variées et contradictoires, dénonçant systématiquement tout ce qui pourrait s'apparenter à une déclaration polémique. Le propre de l'humour est qu'il peut-être impertinent, grossier, voire blessant quand il moque des traits ou des comportements répandus dans la population. Intégrer des plaisanteries à votre article est susceptible de réduire votre audience de 50%. Cela vaut rarement le coup d'essayer d'être drôle si la blague n'est pas en lien avec l'actualité ou n'exploite pas références culturelles à la mode.

La satire intelligente peut-elle renaître sur Internet ? Où allez-vous pour lire des textes qui vous font rire ? Est-ce qu'un média dédié à l'humour peut exister sans être qualifié de troll ou de clickbait ? Puisque les médias ont orienté leur stratégie vers l'agrégation d'une audience universelle, verra-t-on émerger des sites qui renouvellent le genre de la satire dans les années à venir ?

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The Onion a vraiment fait du très bon boulot. Il s'est adapté à chaque évolution d'Internet. Même après avoir déposé leur marque, l'équipe a continué de proposer des contenus de qualité et a poursuivi son évolution. Après s'être invités dans une émission de télévision sur la chaine américaine IFC, ils ont créé l'AV Club au moment où les fermes de contenu orientées culture et divertissement ont connu un pic de popularité. Son modèle économoque s'est avéré plus solide que Grantland, aujourd'hui disparu, ou que the Dissolve, la plateforme cinéma de Pitchfork. Enfin, leur dernier projet, Clickhole, a imposé un commentaire absurde, intelligent et incisif de ce qu'Internet était devenu. Pour ne rien gâcher, The Onion est resté rentable pendant très longtemps.

En tant que marque spécialisée dans les contenus humoristiques, The Onion a réussi à créer un écosystème de sites harmonieux sans que l'on ne puisse jamais les accuser d'être allés « trop loin. »

Internet regorge de comique en tous genres. Certains ont investi Youtube. D'autres, des comptes Twitter censés incarner « l'essence du langage Internet. » Des comptes Instagram publient des mèmes à destination des plus jeunes. Les pages des marques sur facebook postent leurs propres images humoristiques. Mais est-ce qu'un nouveau The Onion percera un jour ? Il est difficile d'imaginer comment la marque d'un média multiplateformes pourrait imposer une forme de satire sobre et de bon goût sans être phagocytée par des médias plus puissants, et sans être accusée de faire de « l'humour oppressif » dans un sens très large.

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Sur Internet, le contexte, le support, et le moment de la publication sont essentiels ; ils conditionnent notre perception d'un contenu, qui nous semblera drôle, ou non. Cependant, il est désormais très difficile de publier des choses amusantes sur un Internet qui favorise désormais l'asynchronisme et la décontextualisation. Différentes niches de gens d'âge, origines, opinions politiques, culture et de milieux différents fréquentent désormais les mêmes réseaux sociaux. Aucune voix en particulier ne semble prendre l'ascendant sur les autres. Les comiques d'Internet parviennent parfois à toucher une niche en particulier, mais il leur est difficile de toucher un public général sur un réseau social. Ils peuvent facilement gagner en visibilité, mais jamais en pénétration.

Pourtant, The Onion a réussi à vaincre la logique impitoyable de la ferme à contenu, et à vendre des fictions satiriques à une large audience. En outre, il est présent depuis longtemps sur Internet et entretient des relations historiques avec les régies publicitaires, contrairement aux sites plus récents qui peinent parfois à établir des partenariats.

En 2016, année qui verra sans doute les médias mainstream acquérir une forme de maturité, The Onion a encore une choisi de s'adapter et de continuer son travail, même si la perte de son indépendance est en jeu. Vendre un média ne signifie pas pour autant jeter son tablier. L'équipe de The Onion estime probablement qu'elle peut continuer à faire son travail malgré tout, en dépit d'un avenir incertain. On ne peut que se réjouir de cette ténacité.