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À la rencontre des réfugiés et bénévoles au stade olympique

Une poignée de bénévoles haïtiens de Montréal étaient sur place jeudi pour rencontrer les gens et offrir des bouteilles de Cola Couronne, une boisson gazeuse populaire en Haïti. Un des bus a été accueilli par le maire Denis Coderre et d’autres élus locaux

Sous un soleil de plomb, des touristes égarés faisaient le tour du stade olympique. Jeudi, dans la cour extérieure de l'Esplanade Sun Life, un beer garden prenait forme. Et dans l'enceinte du stade, plusieurs dizaines de demandeurs d'asile nouvellement arrivés au Canada, principalement des Haïtiens, passaient leur deuxième journée d'attente dans un centre d'accueil improvisé.

En début de journée vendredi, ils étaient 300. Plus de la moitié ont déjà quitté le stade, pour rester avec des parents ou dans des appartements trouvés via des organismes communautaires, selon Carl Thériault, agent d'information au CIUSSS Centre-Ouest.

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Une poignée de bénévoles haïtiens de Montréal étaient sur place jeudi pour rencontrer les gens et offrir des bouteilles de Cola Couronne, une boisson gazeuse populaire en Haïti. Un des bus a été accueilli par le maire Denis Coderre et d'autres élus locaux.

Denis Coderre répond aux questions des journalistes après avoir accueilli des migrants au Stade olympique.

« J'ai entendu qu'il y avait beaucoup de personnes au stade, me dit Wilkène Chatelier, une bénévole. J'ai offert mon aide parce que c'est ça qu'on fait, d'habitude, dans notre communauté. »

En matinée, Kathleen Weil, la ministre de l'Immigration du Québec, a précisé en conférence de presse que le nombre de demandes d'asile faites au Québec a triplé au cours des deux dernières semaines. « Nous avons les moyens pour faire face à cette situation, mais ce qui est plus particulier, c'est la cadence. D'une moyenne de 50 demandes d'asile par jour entre janvier et juillet, nous sommes passés à une moyenne de 150 demandes ces deux dernières semaines », a-t-elle affirmé.

Selon l'Agence des services frontaliers du Canada, 2985 demandeurs d'asile sont entrés au Québec par voie terrestre entre janvier et juin 2017, par rapport à 2500 pour toute l'année 2016, et moins de 1000 en 2015. La ministre Weil assure que « toutes les mesures d'identification et de sécurité » à l'égard des demandeurs d'asile « ont été prises sans aucun compromis ».

Le stade olympique a été aménagé pour accueillir les migrants après que d'autres lieux d'hébergement, tels la Résidence YMCA et le refuge de l'Armée du Salut, eurent atteint leur capacité maximale, explique Lucie Charlebois, la ministre déléguée à la Santé publique. « Ça fait moins qu'un mois et demi que [le pic] dure. (…) On savait qu'on s'en allait vers le stade, parce qu'il y avait des lits d'hôtel et des résidences de l'UQAM qu'il fallait libérer », explique-t-elle. Le stade pourrait, si nécessaire, héberger les personnes jusqu'au 19 septembre. Les demandeurs d'asile pourront recevoir des permis de travail et des soins de santé, et leurs enfants pourront aller à l'école en attendant que leurs dossiers soient traités.

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Lucie Charlebois, ministre déleguée à la santé publique, répond aux questions des journalistes à une conférence de presse tenue hier.

C'est la première fois que des demandeurs d'asile sont hébergés au stade olympique, mais la ministre Charlebois assure que la situation n'est pas sans précédent. « C'est une situation normale qui a pris des proportions plus grandes à cause du volume (…), mais ce n'est pas parce qu'il y a du volume qu'on n'est pas capable de le gérer », dit-elle.

Motivations

Marjorie Villefranche, directrice générale de la Maison d'Haïti, pense qu'il y a plusieurs raisons qui peuvent pousser une personne résidant aux États-Unis à traverser la frontière. Selon elle, la déclaration que le président Donald Trump a faite au mois de mai dernier concernant le statut de protection temporaire dont bénéficient près de 60 000 Haïtiens depuis le tremblement de terre de 2010 est inquiétante.

En effet, il a suggéré qu'elle soit révoquée en novembre prochain. « On a vu ça venir il y a huit semaines, quand plusieurs personnes nous ont dit que leur statut allait expirer. Des personnes désespérées feraient n'importe quoi pour avoir une solution permanente pour elles et leurs familles », explique-t-elle.

Si les Haïtiens sont nombreux parmi le flux impressionnant de demandeurs d'asile arrivés au cours des dernières semaines, ils ne sont pas les seuls à traverser la frontière américaine pour chercher refuge au Canada. Plusieurs redoutent les politiques migratoires de Donald Trump, et craignent d'être déportés dans leur pays d'origine.

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Pour Martin*, un demandeur d'asile burundais hébergé au stade, c'est une question de vie ou de mort. Son pays vit dans l'instabilité politique et la violence périodique depuis une tentative de coup militaire ratée en 2015. Il est arrivé aux États-Unis il y a « plusieurs semaines » et il a rapidement décidé qu'il ne voulait pas y rester. « Avec le système migratoire en place en ce moment [aux États-Unis], on avait de gros risques d'être déportés. Si on te déporte au Burundi, c'est la mort. »

Avec l'afflux des demandes, le temps d'attente pour le traitement d'une demande d'asile est actuellement de 22 mois et pourrait même prendre plusieurs années. Martin, 32 ans, ne pense pas aux démarches bureaucratiques qui l'attendent. « Mon premier plan, c'est d'avoir la paix. Après ça, on verra », dit-il.

Tiers pays sûrs

Les demandeurs d'asile sont contraints de traverser la frontière loin des postes frontaliers.

L'Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs, en vigueur depuis 2004, oblige le Canada à renvoyer toute personne qui fait une demande d'asile à un poste frontalier en provenance des États-Unis. Cependant, une personne qui traverse la frontière ailleurs qu'à un poste frontalier sera arrêtée au Canada, amenée à un poste de police et aura droit à une audience pour déterminer la recevabilité de sa demande. Si la demande est recevable, le demandeur pourra rester temporairement au Canada en attendant une audience finale et une décision. Tous pays d'origine confondus, le Canada a accepté 66,7 pour cent des demandes d'asile effectuées en 2016.

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Des défenseurs des droits des réfugiés considèrent que l'entente expose les demandeurs d'asile à des risques non nécessaires. Des migrants ont perdu leurs mains cet hiver en traversant la frontière dans des lieux isolés. Mavis Otuteye, une Ghanéenne de 57 ans, est morte d'hypothermie en mai en tentant la traversée près d'Emerson, au Manitoba. « L'entente encourage des gens à prendre des mesures désespérées, mettant à risque leur sécurité et même leur vie », a déclaré Loly Rico, présidente du Conseil canadien pour les réfugiés.

Le député fédéral libéral Marc Miller, rencontré en conférence de presse jeudi, considère que « l'accord est une façon très efficace de gérer les dossiers de réfugiés entre deux grands pays » et qu'il a « fait ses preuves » malgré les risques inhérents à son application.

Le maire Denis Coderre était au Stade olympique jeudi pour rencontrer une centaine de migrants arrivés par autocar. Il a insisté sur le fait que l'accueil des migrants était « un geste humanitaire » et que la Ville était « là pour les aider. » M. Coderre a participé à l'élaboration de l'accord des tiers pays sûrs pendant son mandat de ministre fédéral de l'immigration. Il a qualifié les politiques d'immigration de Trump d'« odieuses », mais il considère que l'accord sur les tiers pays sûrs « fait toujours du sens ».

Le stade olympique.

« J'accepte le principe de l'accord, parce que ce n'est pas one-size-fits-all », dit-il. « Si on a des considérations spécifiques en fonction de notre propre politique étrangère, on peut les appliquer », a-t-il ajouté.

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« L'heure juste »

Pour les leaders de la communauté haïtienne, il faut « donner l'heure juste » aux personnes qui songent à traverser la frontière. « Il y a lieu de lancer une campagne d'information (…) pour que les gens ne soient pas la proie des abuseurs », a lancé en conférence de presse Frantz Benjamin, président du Conseil municipal de Montréal et conseiller municipal pour Saint-Michel (Équipe Denis Coderre).

Il tient à lancer « une campagne d'information de concert avec les autorités canadiennes et québécoises à l'échelle de la diaspora haïtienne » pour combattre les rumeurs qui circulent sur les réseaux sociaux et pour assurer que les migrants ne sont pas exploités par des escrocs qui leur promettent la résidence permanente au Canada en échange de grosses sommes d'argent.

Pour le moment, cependant, les familles continuent d'arriver. Marjorie Villefranche souligne la puissance des réseaux sociaux. « On partage plein d'informations sur comment entrer ici, et on dit "Venez, venez, c'est magnifique", et les gens pensent (…) qu'ils pourront facilement venir ici et avoir une solution permanente. »

*Nom fictif pour préserver l'anonymat de la personne interviewée.