Noisey

Il y a 40 ans, les Mekons découvraient le vaccin contre la hype

Avec son nouvel album, le groupe de country-punk anglais nous montre que pour rester toujours fringant après tout ce temps, il vaut mieux être premier à la fête du village que deuxième en ville.
The Mekons, interview, country punk
© Ricky Malpas

Si le punk ne croyait en aucun futur, le post-punk s’en est offert un légèrement plus brillant. Mais loin de Londres, Manchester ou Liverpool, difficile d’exister pour des groupes qui ont laissé passer la première, puis la nouvelle vague, et ont fini par rester à sec sur la plage. Dans le Leeds, Sheffield ou Edimbourg du début des années 80, on s’en balec du succès et de la branchitude montante. C’est ainsi que se sont formés presque par hasard les Mekons à la fac de Leeds, profitant du matos de leurs amis de Gang of Four, ceux-là mêmes qui allaient être pompés par James Murphy et la moitié des dance-rockers bouclés des années 2000.

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De quasi hobby d’étudiants, le groupe allait se retrouver signé sur une major du disque avant d’imploser, puis de réapparaitre quelques années après dans une formule plus détendue, branchée accordéon et racines country. C’est elle qu’on retrouve près de 35 ans et une vingtaine d’albums plus tard, autour de huit musiciens désormais éclatés entre Chicago, New York, la Californie et l’Angleterre.

Leur petit dernier, Deserted, ce sont neuf titres crachés depuis un studio californien près de Joshua Tree, neuf glaviots secs comme des chercheurs d’or, nerveux et fougueux, qui réconcilient les Pogues pour l’âme folk, le violon et les chœurs braillés, Kurt Weill qui picolerait avec Nick Cave dans un whisky bar, et Tropical Fuckstorm pour ces guitares acérées servant un je-m’en-foutisme à gros bide décomplexé et crâne dégarni, comme dans les meilleures fêtes de village. Proclamé groupe préféré de Lester Bangs, les Mekons n’auront pas pu démontrer au rock critic à quel point il avait raison, lui qui a cassé sa pipe en 1982, avant que la troupe donne son meilleur. Un groupe assez stupide pour continuer, suffisamment génial pour ne jamais laisser le terrain aux incompétents. Un bout de sa longue histoire est raconté par Jon Langford, batteur de la première heure devenu chanteur compositeur, installé depuis 25 ans à Chicago.

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Noisey : Sentez-vous l’influence que les Mekons ont exercé depuis les années 90 ?
Jon Langford : Des gens de plus en plus jeunes nous connaissent mais pas toujours sur toutes nos époques. D’ailleurs les Anglais ont un peu oublié nos débuts là où les Américains connaissent mieux notre période années 80, en particulier les albums Fear and Whisky et The Mekons Rock’n’Roll. Ce qui nous intéresse, c’est de continuer donc dès qu’il y a un regain d’intérêt sur ce qu’on a fait, on adore. En 2013, il y a eu un documentaire sur nous réalisé par le journaliste Joe Angio, Revenge of the Mekons, un film qui a nous a fait connaitre auprès des plus jeunes.

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Pourquoi avoir enregistré dans le désert californien ?
Ça s’est fait simplement. Dave, notre bassiste, bosse dans un studio d’enregistrement dont il nous a parlé. Ça avait l’air fantastique. En 2015, on avait enregistré le précédent, Existentialism, principalement à New York. Pour le suivant, on a décidé d’aller sur la côte ouest, ça a pris pas mal de temps à organiser. Quand ça s’est précisé, Tom (Greenhalgh, compositeur et autre cofondateur rescapé du groupe) et moi avons commencé à écrire, à échanger des textes et des sons. Mais la plupart de ce qui a fini sur l’album est né sur place, sans grand plan préalable… Comme toutes les idées qui naissent chez les Mekons, tout ne vient parfois que d’un mot, comme ici « désert ».

Peut-on dire que les Mekons n’ont jamais vraiment splitté ?
Le seul moment où il n’y a plus eu de groupe, c’est vers 1981. Pourtant, même à cette époque, on se voyait et on faisait des trucs. Du premier groupe, trois ou quatre étaient partis. Vers 1983, les Mekons ont opéré une sorte de mutation. Plein de personnes se sont retrouvées impliquées. On a senti qu’on pourrait prendre une nouvelle direction. La première mouture faisait vraiment partie de la scène punk-rock, a fini sur une major avec des singles qui ont marché. Mais tout allait trop vite, c’est une époque où tu arrivais et dégageais aussi sec, au rythme hebdomadaire des numéros du New Musical Express. Nous, on aimait juste travailler ensemble et faire de la musique. Au bout de quelques années, au début des 80’s, on bossait dans notre coin et plus personne ne s’intéressait à nous. On a trouvé ça finalement bien mieux que de devoir faire le prochain single punk accrocheur. D’un groupe qui avait démarré avec des non-musiciens et sur la suspicion des musiciens, on en a peu à peu pris à bord comme Susie Honeyman au violon, Lu Edmonds (joueur de saz et par ailleurs guitariste de Public Image Ltd), Steve Goulding (batteur) et Sally Timms, une super bonne chanteuse.

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Mais personne à cette époque n’était musicien !
Oui, c’était une période intéressante. Le grand intérêt du punk est d’avoir amené des gens à un instrument. La musique des années 70 stagnait, l’heure était à la virtuosité, la musicalité, les solos et les harmonies. Je trouvais ça super ennuyeux quand j’étais gosse. Le punk t’autorisait à faire ce que tu voulais, particulièrement dans le nord de l’Angleterre et les autres provinces loin de Londres. Il y avait bien sûr des gens impliqués en Angleterre mais je trouve que c’est en Ecosse ou au Pays de Galles que c’était le plus intéressant car la notion de carrière existait moins. Cette nouvelle ère de la musique semblait totalement inédite.

Venir de Leeds n’était pas un inconvénient face au business de Londres ?
Oui mais à l’inverse, on a reçu beaucoup de soutien de Manchester, comme des Buzzcocks ou de Tony Wilson du label Factory qui nous aimaient, ainsi que des gens d’endroits bizarres. Notre tout premier label, Fast Product, qui a sorti notre single « Never Been In A Riot » en 1978, était situé à Edimbourg en Ecosse. Quand nous avons joué pour la première fois à Londres, c’était étrange. Le punk était déjà comme terminé et devenait un truc de mode. Le Clash et les Sex Pistols avaient signé sur des majors. Nous-mêmes avons fini sur Virgin, comme les Pistols. Mais pour moi, ce sont les sales moments des Mekons.

N’était-ce pas dû à votre image moins sérieuse que les autres, sur vos pochettes en particulier ?
On aimait vraiment tout prendre en charge que ce soit en studio, nos pochettes… Je crois qu’on essayait d’être démocratiques. Tu n’es pas obligé de vendre beaucoup de disques pour faire de la musique et peut-être qu’on ne cherchait pas à vendre beaucoup. Beaucoup de groupes n’avaient pas besoin de vendre, ils étaient là pour divertir sans avoir besoin de créer des superstars même si la pression de l’industrie musicale les poussait à ça.

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Votre expérience avec Virgin n’a pas été bonne ?
Oui, je dirais ça comme ça. On leur a donné le contrôle sur nous et ils auraient été les seuls à en tirer le bénéfice si ça avait bien tourné. Ils auraient engrangé beaucoup d’argent et on aurait été carbonisés. Le fait que nos albums sur Virgin n’aient pas bien marché a probablement été une bonne chose car ils se sont très vite débarrassés de nous. Et on a vraiment pu faire ce qu’on voulait.

Qu’y avait-il de spécial à Leeds à la fin des années 70 ?
C’était une ville triste et en pleine dépression. J’adore y retourner mais je ne la reconnais pas. C’est une sorte de ville à l’européenne avec plein de cafés, des gens en terrasse qui parlent au téléphone… Quand j’y vivais, c’était une ville dure. Dès nos débuts, la conscience politique y a été très forte. Les bénéfices de notre tout premier concert ont été reversés à une cause. Il y avait un climat raciste, du fascisme dans les rues, ça nous a tout de suite interpellés. Quand des clubs ont organisé des concerts pour Rock Against Racism, nous avons tout de suite voulu en donner. Ce mouvement faisait un super bon travail. En 1981, « Ghost Town » des Specials était numéro un des charts. C’était bien pour sensibiliser les kids vulnérables qui pouvaient être tentés par l’extrême-droite. Les punks et les rude boys étaient bien plus attirants. Pour nous, la musique a vite été liée à l’idée de résistance, à la politique. En dehors du punk, la seule autre qui faisait sens était le reggae. Il y avait une grosse scène musicale issue des West Indies à Leeds, on y avait des amis et on donnait des concerts avec eux. Mais nous n’étions pas anti establishment dans nos chansons. On essayait d’écrire des textes drôles et malins en réaction à la politique.

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Y’a-t-il eu comme à Manchester un concert mythique qui a donné envie à chacun à Leeds de monter un groupe ?
Oui, un peu plus tard, les Sex Pistols ont aussi joué à Leeds, au Polytechnic, avec les Heartbreakers. Je n’y étais pas mais il n’y avait pas tant de monde. Comme d’autres, je pourrais dire que j’y étais ! Sérieusement, pour tous les présents, c’était comme une soirée de libération. Je n’aimais pas trop comment sonnaient les Sex Pistols, ça ressemblait à du rock’n’roll à l’ancienne, mais j’adorais les textes et la voix. Avec des groupes comme Gang of Four, tu sentais qu’un truc différent se passait de bien plus intéressant là où la plupart des punks ne faisaient que du heavy metal en accéléré. Ils s’étaient juste acheté des pantalons à zip et coupé les cheveux. Après, un groupe comme le Clash, sa musique, les positions prises, les textes, la façon de s’emparer du reggae, nous a encouragés. Là où les Pistols nous ont parlés pour l’énergie et leur « fuck off » généralisé, c’était énorme. Mais j’ai préféré Public Image Ltd, un groupe fantastique.

Comment avez-vous monté les Mekons ?
Je me souviens de Tom me demandant : « Veux-tu participer à un groupe où personne ne sait jouer ? ». Je me suis alors dit que ça semblait un peu absurde. Mais au final, pas si fou pour l’époque. Peut-être le rock’n’roll pouvait enfin être joué par des gens faisant des choses simples plutôt que ces trucs de virtuoses. Nous sommes nés en réaction à ça. L’autre chose dont je me souviens, c’est d’avoir ensuite rencontré Andy Corrigan et Mark White, qui furent les premiers chanteurs des Mekons. Ils me parlèrent de Gang of Four, le groupe que formait alors Andy Gill, un ami de la fac de Leeds. J’avais alors ma propre batterie et beaucoup d’offres de groupes qui se formaient. Mais Tom et Ros (Allen, bassiste) étaient mes potes d’école. Je leur ai présenté Andy, Mark et Kevin (Lycett, guitariste) : tous m’ont alors semblé être les personnes avec lesquelles m’embarquer.

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Y’a-t-il eu compétition avec Gang of Four ?
Mekons et Gang of Four étaient proches avant d’être à Leeds. Andy Gill et Jon King étaient amis avec Kevin et Mark, tous venaient de la même école. Là, nous étions dans la même section d’art à la fac. On partageait le même local de répétitions, la même sono. Les Mekons n’étaient censés être que le groupe de première partie de Gang of Four. C’est bizarre car c’est nous qui avons décroché les premiers un contrat. On espérait que ça ne les mettrait pas en colère. Et en fait, ça les a un peu énervés. Mais c’était des amis donc ça s’est bien fini. Ils pensaient normal de sortir un disque avant nous et on l’a sorti avant eux. Franchement, on ne pensait pas le mériter.

Avez-vous fait preuve de trop de modestie au final ?
Sûrement. Je me souviens avoir dit à Bob Last de Fast Product que Gang of Four était un vrai groupe et il a répondu : « Nous ne voulons pas d’un vrai groupe ». Ils sonnaient de façon professionnelle mais il a répondu que ça ne l’intéressait pas. Quand tu les voyais, c’était vraiment un groupe énorme, un des meilleurs que j’ai vus dans ma vie, un pur résultat émanant des quatre qui le formaient et non le truc d’un seul qui aurait comme souvent fini par trahir les autres.

Est-ce vrai que votre premier single, « Never Been in a Riot », a été écrit en réaction à « White Riot » du Clash ?
C’est vrai. Je crois que c’est Mark qui l’a entendu en premier. Puis, on a entendu des kids fascistes le chanter : « On veut une émeute blanche, une émeute blanche ! » Ce n’était pas du tout ce que voulait dire le Clash. Ça nous a donnés une bonne leçon par rapport à la responsabilité qu’on avait avec nos chansons. C’est difficile d’écrire des textes ambigus ainsi que de bons slogans.

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Pour quelle raison avez-vous monté le trio The Three Johns au début des années 80 ?
C’était mes potes de la fac d’art. Quand les Mekons ont été en veille sans plus jouer live, il m’a fallu un groupe. On s’est retrouvés quand nous avons été virés de Virgin et on a décidé de monter un groupe plutôt « arty ». On était intéressés par les nouveaux outils, comme la boite à rythme. On a commencé à se servir de celle d’un pote et on a vite enregistré avec. On a soudain compris combien c’était facile. Se saouler dans l’après-midi, puis lire des livres par-dessus une boite à rythmes en faisant des bruits marrants avec des synthés : c’est vraiment comme ça qu’on a démarré. On a commencé à avoir des chansons, à obtenir des concerts. Il nous a fallu notre propre boite pour la scène. À cette époque, j’étais un peu impliqué dans les Sisters of Mercy qui en avaient aussi une. Leur leader Andrew Eltdritch m’a expliqué comment l’utiliser.

Avec les Mekons, aviez-vous des contacts avec les scènes d’autres villes du Nord ?
Oui, nous étions amis à Sheffield avec The Human League, qui a aussi démarré sur Fast Product, et avec Stephen Mallinder de Cabaret Voltaire. À Manchester, on était potes avec The Membranes, Marc Riley & the Creepers… Je connais aussi plein de gens passés par The Fall. Il faut dire que tellement de musiciens y ont défilé, c’était obligé d’en connaitre certains. Au milieu des années 80, j’ai fait beaucoup de production en indépendant pour des labels londoniens : les Creepers, Janitors, Gaye Bykers on Acid… La première fois que les Mekons ont rencontré The Fall, ce ne fut pas très amical mas Mark E. Smith a vite changé. En fait, il était sympa dans la vie. C’est juste que dans la presse, il aimait débiner tout le monde. Je l’ai rencontré plusieurs fois, il a toujours été sympa. Une semaine après un festival en Hollande avec The Fall, les Ramones, les Triffids et les Three Johns, je me souviens que dans le NME, un journaliste lui a posé une question sur nous. Il a répondu : « J’ai toujours détesté les Mekons ».

Alors qu’au festival, il était super sympa ! J’imagine qu’il était forcé de se comporter comme ça. Quand tu lis le livre sur The Fall, c’est incroyable comme au final, aucun de tous ceux qui ont travaillé avec lui n’en dit du mal. Il les a tous virés mais ils lui gardent du respect. Il y a quelques années, j’ai réalisé un single avec Martin Bramah, l’un des fondateurs de The Fall. Je ne l’avais jamais rencontré avant toutes ces années et on a fini par enregistrer dans un studio de Budapest, ce qui en soi était bizarre. J’avais comme l’impression de le connaitre car je connaissais d’autres musiciens passés par le groupe. Bref, il m’a raconté des histoires sur Smith, mais il ne le haïssait pas. Smith était Smith. Plein de gens ne l’aimaient pas mais pour moi, c’était quelqu’un de spécial. J’ai toujours aimé The Fall, y compris les albums récents. Et c’est triste car il n’y en aura plus.

Sur Deserter, on sent de la fraicheur et zéro nostalgie, quel est le secret ?
On essaie de ne pas nous répéter mais de viser notre son favori du moment. Là, les musiciens ont même parfois échangé leurs instruments. Si tu écoutes bien certains titres, ça sonne ancien tout en sonnant frais si tu vois ce que je veux dire. Je ne sais pas d’où ça vient mais le titre « Mirage », sonne quand même en écho à ce qu’on faisait au début des années 80 et j’adore ça. Sally, notre chanteuse, me l’a fait remarquer alors que je n’y avais pas fait attention. C’est vrai que le reste sonne très différemment. Il n’y a pas de frontières pour nous. Notre violoniste Susie par exemple, est incroyablement écossaise dans son jeu. Il n’y a pas d’autre mot. Je ne veux pas dire par-là qu’elle joue des vieux airs traditionnels. Non, juste qu’elle apporte des sons qui me rappellent des montagnes sous la pluie, des ciels bien nuageux… Tant qu’elle sera là, on ne sera jamais un groupe tex-mex.

Le dernier album des Mekons, Deserted, est sorti le 29 mars sur Glitterbeat / Differ-ant.

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