téléphone rose
Illustration de Vincent Vallon
Life

Je suis devenue animatrice de téléphone rose pour un site hot au rabais

« Tu peux t’aider avec ta langue et des doigts, un bruit de succion reste un bruit de succion, n’hésites pas à tester et tu affineras avec le temps »

Il y a quelques mois de cela, un ami m’envoie un message avec le lien d’une annonce de recrutement pour devenir hôtesse sur le téléphone rose. Dans mon esprit, il n’était pas possible de passer à côté de cette expérience de comédienne du cul ultra-soft. En effet, tu peux très bien susurrer des mots doux et trash à l’oreille d’un mec qui vit à l’autre bout de la France en survêtement ou en pyjama pilou-pilou. Je me lance donc à la conquête de ce poste d’hôtesse « hot » en envoyant un mail de candidature à l’adresse indiquée : telrosejm@gmail.com

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Je reçois quelques minutes plus tard un mail de réponse de la part d’un certain « service audiotel » me proposant de remplir un formulaire qui sert à définir mon aptitude à exercer cette activité : mon caractère et la tonalité de ma voix – puisque je dois la décrire et la qualifier – et ma profession, pour savoir si j’ai du temps libre à accorder à ce nouveau métier, décrit comme un « à-côté » permettant d’arrondir les fins de mois. Il est précisé dans ce même mail qu’une personne en charge du recrutement me contactera d’ici quelques jours pour procéder à l’entretien d’embauche. Il me tarde de découvrir comment le job me sera présenté, un job, qui, avec l’arrivée d’Internet me semblait caduc. Sauf qu’il me manquait un truc, cet objet des temps anciens, mais non moins indispensable à ma « potentielle » nouvelle lubie : un téléphone fixe.

Il est installé dans mon salon, je l’ai pris rose, tant qu’à faire, autant s’amuser un peu avec les symboles. Il ne faudra pas plus de 24 heures pour que la recruteuse le fasse sonner : « Bonjour Soisic, c’est Magalie, c’est moi qui gère les filles et qui fait passer les entretiens aux nouvelles animatrices, je suis aussi en ligne donc je saurais au mieux te guider. Si tu le veux bien, je vais te poser quelques questions pour en savoir plus sur toi et sur ta façon d’être au téléphone ». Magalie me teste, elle jauge mon aptitude à rester sérieuse et professionnelle face aux appels et aux requêtes des clients. « À 40 centimes la minute certains sont rapides et jutent en 10 secondes d’autres sont plus longs, ils feront durer le plaisir parce qu’ils kiffent l’animatrice. Là, ce sera à toi de faire la différence ».

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En effet, certaines personnes sont des clients fidèles, ils ont besoin de s’épancher, de se vider la tête et le reste, c’est aussi ce qui est précisé sur la page d’accueil du site dans l’onglet intitulé les bienfaits du téléphone rose, la réponse est la suivante : « Évacuer dans tous les sens du terme… Des tensions nerveuses, jouir, se vider, se décharger est nécessaire pour un homme. Se soulager à propos de ses frustrations, de sa sexualité “hors normes“, de ses soucis personnels parfois. Parler librement de sexe avec une femme ouverte d’esprit. Ce que l’on ne peut pas dire à ses collègues, ses proches… sa femme ».

Hymogène – c’est le pseudo de Magalie – se charge également de la promotion du service. Sur la page d’accueil du site, elle assure à tous les clients de la ligne rose : « Des femmes exclusivement françaises qui répondent à tous vos fantasmes, le prix le plus petit pour permettre à tous d’avoir accès au tel rose de qualité, sans se ruiner. » C’est une sorte de fast food locavore de la branlette par téléphone qui est garanti par la tenancière des lieux.

« Tu peux t’aider avec ta langue et des doigts, un bruit de succion reste un bruit de succion, n’hésites pas à tester et tu affineras avec le temps »

Elle souhaite savoir si je suis prête en me mettant au défi et en me rassurant en même temps. Sa technique est assez bien rodée : réussir à me donner envie de me surpasser, de devenir quelqu’un d’autre, de jouer un rôle tout en restant moi-même. Elle me conseille de ne pas trop m’éloigner de ma propre personnalité, il ne faudrait pas que je m’y perde. Tant pour le caractère et la voix – inutile de prendre une voix de chaudasse que je n’arriverais pas à tenir le temps de la discussion – que pour la description physique. Il est vrai que m’inventer un bonnet E me serait contre productif, je ne saurais pas quoi faire avec.

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L’entretien va durer une bonne heure. Elle m’expliquera que j’ai le choix des scénarios, plus précisément que j’ai le droit d’en refuser lorsqu’ils sortent de la légalité, autrement dit que les jeux de rôles avec de l’inceste, des mineurs et de la violence dedans sont interdits. Par exemple, elle s’autorise à ne pas pratiquer de jeux de rôle impliquant des scènes d’urologie et de scatologie, ça ne l’émoustille pas : « Je reste assez classique finalement, je ne saurais pas m’impliquer dans un scénario qui me rebute dans la réalité ». Moi qui imaginais que le téléphone rose était une sorte de SOS amitié, je dois me rendre à l’évidence, il va falloir parler cul, cru parfois, voire souvent et être douée d’une certaine imagination pour rebondir sur des scénarios satisfaisants. Il va falloir que je sache faire une fellation par téléphone, en la décrivant, geste par geste, que je ne me prive pas de bruitage.

« Tu peux t’aider avec ta langue et des doigts, un bruit de succion reste un bruit de succion, n’hésites pas à tester et tu affineras avec le temps ». Le stress commence doucement à s’emparer de moi quand elle me lance joyeusement un : « C’est bon pour la voix, je sens que tu es à l’aise au téléphone, certaines fois le téléphone rose peut servir de thérapie à une sorte de timidité, dans ton cas, ce sera facile, quand veux-tu faire le test ? Ce sera la dernière étape de notre entretien. »

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Le test consiste à faire un essai en direct pendant une heure avec les clients. Avant cela, une toute dernière chose doit être mise en place, mon avatar. En ce qui concerne le visuel, ce sera dans un second temps, si je passe l’épreuve finale avec brio. Pour commencer il me faut juste un nom, ce sera Louisa. Me voilà lâchée dans la cage aux fauves et il n’y a pas de manière plus directe et efficace pour voir si ça fera l’affaire. Le rendez-vous est pris pour le lendemain matin entre 8 heures et 9 heures.

Il est l’heure, la sonnerie du combiné retentit. Je décroche, personne au bout de la ligne. Une sorte d’enregistrement qui me dit : « Bienvenue sur votre plateforme de voyance, pour en savoir plus taper sur la touche étoile ». Je raccroche immédiatement. Je ne souhaite pas bloquer la ligne avec ces conneries publicitaires. Le téléphone sonne à nouveau avec toujours ce message énigmatique à l’autre bout. Je finis par taper sur la touche demandée, une voix automatique me précise : « Vous avez deux clients en salon ». Je me retrouve en une fraction de seconde mise en relation avec une personne. Michel est nu ce matin, il est allongé sur son lit, il se branle certainement et il a envie de compagnie :

– « Bonjour, je m’appelle Michel et toi quel est ton nom, me lance-t-il.

– Moi, c’est Louisa. Comment vas-tu Michel ce matin ? Que puis-je faire pour t’aider ? »

La conversation ne sera pas longue, j’entends un râle et je me retrouve – sans temps mort – avec une autre voix au bout du fil : « Bonjour, je m’appelle Eric… ». Les interlocuteurs s’enchaînent avec par moments un renvoie sur un enregistrement qui m’annonce le nombre de clients que j’ai en salon. Je ne comprends pas bien l’intérêt, dois-je être rapide pour passer au client suivant ou bien au contraire, faire durer la conversation en prenant le risque que les autres se lassent d’attendre leur tour. Par ailleurs, m’entendent-ils converser avec Patrick, Olivier, David, Nicolas, Remy… ? Je n’en saurais rien. Pascal tente de me joindre à plusieurs reprises, mais sa ligne capte mal. Je n’entends pas bien ce qu’il me raconte, j’en déduis à son insistance qu’il recherche de la compagnie, une oreille bienveillante, rien de plus.

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Il faut se décrire sans cesse car il faut bien qu’ils puissent m’imaginer pour faire monter l’excitation. Certains me raccrochent presque au nez. Magalie m’avait prévenue, on ne sait pas si c’est parce qu'ils ont fini leur petite affaire ou si finalement ma voix ne leur convient pas. Il ne faut pas chercher à comprendre. Les clients s’enchaînent, ils sont souvent grands, brun aux yeux bleus, quelle chanceuse je suis ! Antony me demande de le sucer, je m’exécute : « Je prends ta verge dans ma main et effectue doucement quelques mouvements de va-et-vient jusqu’à ce qu’elle durcisse. J’approche ensuite mes lèvres de ton gland que je lèche délicatement avant de te prendre totalement en bouche et de te sucer goulûment… ». Antony raccroche. Il a joui.

« Oui maîtresse, c’est bon maîtresse »

Mon dernier interlocuteur sera Jean-Louis. Il ne souhaite pas que je participe à son jeu de rôle, enfin si, mais je serais plutôt là comme une guide et maîtresse de cérémonie d’un gang bang géant. Le fantasme de J-L est de se faire prendre par une dizaine de mecs à la chaîne. Je suis prête pour devenir la domina qu’il souhaite que je sois :

– « Jean-Louis mets-toi à genoux et suce un par un tous les jeunes hommes que j’ai habilement disposés en arc de cercle autour de toi !

– Oui maîtresse !

– Jean-Louis, tu la sens la queue de numéro 5 qui te prend violemment les fesses ? Il te plaque contre le mur, tu ne bouges pas Jean-Louis !

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– Oui maîtresse, c’est bon maîtresse. »

Cette conversation durera plus de quinze minutes, je m’applique à faire durer le scénario, à ne pas m’emmêler dans les numéros attribués à chaque mec. Jean-Louis s’emballe, il est sur le point de jouir lorsque le temps est écoulé, il est 9 heures, nous sommes coupés. Ma première pensée est pour Jean-Louis, il doit être frustré, mais tant pis c’est le jeu et pour être sincère avec moi-même, cette heure fut épuisante. Il faut rester concentrer à chaque seconde, ne pas lâcher l’interlocuteur, mener à bien le projet qui n’est autre que sa jouissance…

Je n’ai pas le temps de me poser avec un café que mon téléphone sonne à nouveau, c’est Magalie qui veut faire un point sur ma phase de test : « Alors, je vais commencer par le point négatif, tu ne dois jamais les vouvoyer. Direct, tu passes au tutoiement, c’est beaucoup plus chaleureux. Sinon pour le reste, c’est très bien. Si tu veux je te donnerais des conseils pour les scénarios avec les soumis car le tien était quelque peu impossible à retranscrire dans la réalité. Je t’ai entendu te décrire, grâce à ces éléments, je vais pouvoir trouver un avatar qui colle à ton personnage. Petite, brune à frange, petite poitrine, yeux verts, d’origine asiatique… Ça ne sera pas facile, mais je vais faire au mieux. En tout cas bienvenue parmi nous ».

Magalie Hymogène me fait l’impression d’une mère maquerelle. Qui est-ce « nous » ? Y a-t-il des rencontres organisées pour échanger les bons plans, une sorte de forum et de plateforme pour vérifier les heures effectuées et l’argent gagné ? En récupérant 6 euros à chaque heure de bla-bla, je ne risque pas d’aller loin… Elle me rassure en me disant qu’il ne faut pas que j’hésite d’ici quelques semaines à lui demander une augmentation. Elle m’envoie par mail des codes pour accéder à mon profil, y enregistrer une annonce vocale et un lien vers une sorte de blog composé essentiellement de conseils pratiques. Le contrat quant à lui me sera envoyé par courrier. Il ne me reste plus qu’à caler les horaires que je souhaite effectuer pour tenter de devenir Louisa, la parfaite animatrice du téléphone rose.

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