atelier artiste loyer paris
Photos: Luis Alejandro Cuellar pour VICE FR
Culture

Les jeunes artistes font de leurs appartements leurs ateliers

Face aux prix prohibitifs des loyers à Paris, ils n'ont pas d'autres choix que de faire d'une pierre deux coups.

Depuis ce lundi 1er juillet, les loyers sont de nouveaux encadrés à Paris. Les propriétaires ne pourront donc plus se gaver et ne devront pas dépasser 20 % du prix de référence fixé par le préfet – en fonction du quartier et des caractéristiques de l’appartement. Le retour de cette mesure ne fera pas de Paris une ville « accessible » pour la classe moyenne, les étudiants et tous les autres qui ne gagnent pas assez d'argent pour se payer un appart' décent intramuros.

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Les artistes connaissent donc cette galère. En plus d'un logement, ils doivent se dégoter un atelier. Des solutions comme les ateliers partagés existent, mais restent onéreuses pour de jeunes artistes qui ne sont pas encore dans la hype et dont les carrières ne font que commencer. Et puis un atelier est un espace intime, où l'imagination dope l'inspiration et fait naître des œuvres d'art, qu'il est parfois difficile de partager. Certains artistes préfèrent le calme et la solitude pour mieux créer et face à un marché locatif complètement fou sont contraints de faire de leur appartement leur atelier.

Mais est-il facile d'imaginer et de créer une œuvre d'art dans un studio ou un F2 ? N'est-ce pas plus facile de le faire dans un grand espace, au vert à la campagne ? À moins que l'atelier d'artiste, tel qu'on le fantasme n'existe pas ? Comment trouver des solutions alternatives dans une ville les plus chères d'Europe ? Cinq jeunes artistes répondent.

Clement Davenel, 22 ans, Asnières-sur-Seine

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VICE : Salut Clément. Peux-tu m'expliquer ton parcours ?
Clément Davenel : J’ai un parcours fait de déplacement et de rupture, j’aime certainement l’instabilité. J’ai grandi à Cherbourg où j’étais inscrit dans un atelier me permettant de peindre et de dessiner, et ce pendant une dizaine d’années. Puis je suis arrivé à Montpellier où j’ai fait un baccalauréat littéraire, spécialité Arts plastiques. C'était une période géniale, j’ai pris conscience que je voulais poursuivre dans la création alors j’ai passé des concours. Je suis rentré à l’Esbama, toujours à Montpellier, mais j’ai démissionné au bout de quatre mois par incompatibilité avec l’école. Je me suis alors réorienté, je suis allé à l'université. D’abord un an à Aix-Marseille, puis à Paris, où je vais bientôt attaquer un Master 2 à la Sorbonne. Ça me nourri énormément, j’ai appris à prendre position, à regarder et à critiquer.

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Comment définis-tu ton art ?
J’essaie de le redéfinir à chaque pièce, mais l’essentiel de ma démarche est d’entrevoir les enjeux possibles de l’abstraction aujourd’hui, par la peinture, la sculpture et l’installation. Et ce, afin de construire des expositions qui ne soient pas constituées d’œuvres closes, mais formant des passages visibles entre elles. Des œuvres prenant l’espace, dont les matériaux produisent du sens à travers leurs assemblages, leurs mises en tension, leurs déséquilibres. Pour cette série de peinture (photos), il y a premièrement le choix d’une forme fermée qu’est le carré et d’un tissu à motifs. C’est une première contrainte donnée sur laquelle j’interviens avec un geste à la bombe, dans l’urgence. Puis, je compose une structure autoritaire et répétitive, se reproduisant au fur et à mesure de la série. Là, des enjeux de surface naissent et l’on se retrouve à la frontière entre la planéité du tableau et un espace en profondeur. Je cherche un processus par étapes, avec des formes et des gestes en opposition, venant créer une contradiction au sein de la peinture.

Quelle est la superficie de ton appartement ?
J'ai 27 m2. L’atelier en fait une dizaine et le reste me permet de stocker, de lire, et de faire la cuisine aussi.

C’est un choix d’en avoir fait ton atelier ?
Oui et c’est un bon choix. Je cherchais un atelier alors j’ai saisi l’opportunité. Celui-ci est un endroit de travail stimulant, l’appartement est bien divisé, la lumière est bonne, et il est assez ancien pour que je n’aie pas à trop à stresser pour son état de conservation.

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« Le statut d’artiste est devenu un signe de respect dans une société où tout le monde doit être un créateur »

Est-ce difficile pour un jeune artiste de trouver un atelier à Paris ? N’existe-t-il pas différentes formes d’entraide ? De partage d’espace ? ?
Il paraît que c’est difficile. Je connais beaucoup d'artistes qui ne trouvent pas d’atelier ou de structure collective. Il y a des endroits très convoités à Paris mais je n’ai jamais cherché ce genre d’espace. Les écoles sont des bons moyens pour avoir des locaux, mais moi ça ne me convient pas. Je dois être concentré, sans regard extérieur sinon je suis en plein spectacle ! Après, l’entraide n’est pas la première qualité du milieu artistique tel que l’ai côtoyé jusqu’à présent. Je crois que c’est une sorte de ring avec ses guerres de clans et ses rivalités. Il m’est difficile d’imaginer une solidarité réelle sur des questions telles que des espaces partagés. Le problème financier existe à tous les états de la création, peut-être encore plus à Paris, mais il y a des solutions. Il faut s’adapter, l’important à mon sens c’est d’être cohérent, si tu veux faire une peinture gestuelle expressionniste, tu peux difficilement y parvenir dans un studio de 10 m2. Mais tu peux faire du Giorgio Morandi.

Tu as besoin de beaucoup de matos pour peindre, du coup c’est un peu toujours le bordel chez toi ?
Oui beaucoup de matos, même si j’en voudrais encore plus ! Le bordel est toujours plus ou moins présent, mais il y a des phases de travail plus intenses où celui-ci est nécessaire et des phases de transitions où je range à fond et fait du vide, afin d’avoir de nouvelles bases et d’y voir plus clair.

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J'ai toujours pensé qu'il fallait se mettre au vert, au calme, à l'air libre, pour penser, imaginer, créer, dessiner, peindre, assembler. Mais je me dis que c'est un mythe…
Je crois que c’est en effet un mythe, mais qui relève peut-être d’une multitude d’attitudes possibles chez les artistes que nous admirons. Entre les œuvres In Situ d’un Gordon Matta Clark dans Soho, les peintures de Pollock réalisées dans le désert ou encore les sculptures dans l’intimité de l’atelier de Giacometti, il y a un contexte de création qui fait sens à travers l’œuvre que nous regardons.

Quel serait l’atelier de tes rêves ?
Je ne pense pas vraiment en terme de rêve, du moins plus depuis longtemps. D'une manière générale, je crois qu’il n’y a que le contexte qui importe. Je crois pas mal en la contrainte pour avancer et trouver des solutions plastiquement. Quand mon atelier sera en haut d’une montagne, j’espère faire du Land Art !

Tu as une notoriété certaine, et pourtant le fait que tu travailles dans ton petit appartement me renvoie à une logique de classes dans le monde des artistes… Quel est ton avis là-dessus ?
Il y a incontestablement des inégalités financières et de classes entre des jeunes artistes issus de milieux différents, et des artistes également plus confirmés, dans un monde où l’art contemporain est devenu visible, et où le statut d’artiste est devenu un signe de respect dans une société où tout le monde doit être un créateur ! Les artistes contemporains médiatisés instaurent un gigantisme de leurs ateliers allant de pair avec leurs productions, mais il faut être joueur, Duchamp avait une valise en guise d’atelier ! Je n’ai aucune notoriété mais si au sein d’un atelier minuscule, un individu parvient à trouver une forme esthétiquement signifiante face à une certaine expérience du monde, alors la lutte est belle.

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Sirine Ammar, 28 ans, Boulogne-Billancourt

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VICE : Bonjour Sirine. Quel est ton parcours ?
Sirine Ammar : J'ai fais les Beaux-Arts de Paris pendant cinq ans et je suis diplômée depuis un an et demi. Depuis, j'ai participé à plusieurs expositions collectives – DOC !, Point Ephémère, Villa Belleville, Arondit, musée du Louvre – et je viens de monter ma première exposition personnelle à la galerie du Crous, rue des Beaux-Arts. J'ai aussi signé 4 projets d'expositions où j'étais à la fois artiste et commissaire.

Comment définis-tu ton art ?
Je fais de la sculpture et de l'installation. J'utilise beaucoup la photographie que j'intègre à des volumes, des objets. Je passe par l'impression numérique sur différents supports, des tissus, de la toile cirée, des filets d'échafaudages, du marbre ou encore du plexiglas. J'établis tout un procédé de collages par lequel je détourne les images pour les rendre abstraites. Elles vont souvent se superposer ou bien entrer dans des motifs par exemple. J'ai aussi un véritable attrait pour le design. Je me plais à penser des mobiliers impossibles comme des tabourets-tableaux à accrocher au mur, ou des chaises sans assise.

« J'avoue que payer 200 euros pour quelques mètres carrés avec 15 personnes autour ne m'a jamais vraiment tenté. J'ai préféré faire autrement et travailler chez moi »

Quelle est la superficie de ton appartement ?
39m2.

C’est un choix d’en avoir fait ton atelier ?
L'idée s'est imposée progressivement. J'ai commencé par créer une pièce en plâtre dans mon salon pour une exposition collective. La deadline était assez proche et, à ce moment-là, je n'avais pas encore trouvé d'atelier. Je n'avais pas beaucoup d'espace avec tous mes meubles autour. Ce fut un mois de production assez compliqué, les pièces étaient volumineuses, les moules en terre que je fabriquais pour couler du plâtre faisaient beaucoup de poussière et je ne pouvais pas circuler. C'est quand j'ai décroché l'exposition au Crous que j'ai compris qu'il fallait tout enlever et travailler complètement dans mon appartement. Je n'avais pas le temps de chercher un atelier, il fallait commencer tout de suite. Je n'avais pas non plus les moyens.

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Est-ce difficile pour un jeune artiste de trouver un atelier à Paris ?
Il existe énormément de possibilités à Paris et en banlieue : des ateliers partagés, des squats, des locations d'espaces, des résidences… J'ai d'ailleurs déjà fait une résidence dans un squat, à DOC !, qui a été une merveilleuse expérience. Mais j'habite à une heure et demi en transports des zones om tout ce la se développe – Pantin, Aubervilliers, Saint-Denis, Montreuil – ce n'était donc pas envisageable pour moi. Et puis, j'avoue que payer 200 euros pour quelques mètres carrés avec 15 personnes autour ne m'a jamais vraiment tenté. J'ai préféré faire autrement et travailler chez moi. Mais je travaille aussi dans un fablab à Ivry, où j'imprime mes grands formats, et ça me permet de côtoyer d'autres artistes et designers.

Guide de survie en École d'Art

Du coup, c'est toujours un peu le bazar chez toi ?
Quand tu fais ton atelier chez toi, c'est forcément toujours le bordel. L'atelier est le reflet de tout ce que j'ai envie de créer, d'autant plus que je dois faire d'innombrables essaies et tests pour arriver à créer ce que je veux. Il y a du matos absolument partout, des murs jusqu'au plafond, en passant par la salle de bain. Il y a des jours où je peux en avoir marre : respirer la poussière, boucher la baignoire à cause d'une bassine de béton qu'il fallait nettoyer en dernière minute, sortir de la douche et avoir les pieds dans des pigments mal rangés. Mais c'est aussi une façon d'être en permanence dedans, j'ai l'impression de gagner un temps fou. Ça vaut toutes les emmerdes du quotidien.

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Quel serait l’atelier de tes rêves ?
Des immenses fenêtres, 10 mètres de hauteur sous plafond, un sol en béton, un grand jardin tout autour.

Tu as une notoriété certaine, et pourtant le fait que tu travailles dans ton petit appartement me renvoie à une logique de classes dans le monde des artistes… Quel est ton avis là-dessus ?
Je pense qu'il y a autant d'artistes que de façons de vivre et de concevoir l'art… Au-delà d'une logique de classes à l'intérieur même du monde des artistes, il y a la volonté et les choix de produire d'une certaine façon, de s'exposer d'une certaine façon aussi. Ce sont ces choix qui font que l'on travaille d'une manière plutôt qu'une autre.

Jean-Baptiste Boyer, 28 ans, Saint-Ouen

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Photo publiée avec l'aimable autorisation de Laure Roynette et de l'artiste.

VICE : Salut Jean-Baptiste. Peux-tu nous expliquer un peu ton parcours ?
Jean-Baptiste Boyer : Mon parcours est celui dʼun autodidacte. En troisième, je me suis orienté dans une filière professionnelle dʼart graphique. Jʼai toujours eu en filigrane la passion, lʼamour du dessin et de la peinture, ce qui mʼa toujours tenu dans le droit chemin, avec la musique. J'ai développé mon œil, j'ai appris le dessin et la peinture au fil des ans, au contact de personnes que je considères comme mes maîtres : mon grand-père, qui est architecte d'intérieur de métier, et un de ses amis, qui faisait des affiches de films, à une époque où tout était fait en peinture. J'étais fasciné par tout ça.

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Et tu trouves ensuite ta voie dans la peinture décorative…
Je me suis fortement amélioré techniquement dans le milieu de la peinture décorative, du trompe l'œil, plus que nulle par ailleurs. Mais dans le fond, c'est l'œil qui compte, tu peux faire 10 ans d'étude en dessin ou en couleur, le reste se fait tout seul, à force de travail, d'instinct et de sensibilité. Il y a des choses qui restent mystérieuses et qui ne s'apprennent pas. Soit tu as le truc, soit tu ne l'as pas. Comment définis-tu ton art ?
Ma peinture est avant tout très personnelle. Peindre me prend comme lʼenvie dʼen découdre dans la non-violence de lʼexercice de lʼart, tel un cri étouffé. On peut avoir de la violence dans un portrait exécuté d’une traite, sans maniérisme, comme un bon riff bien lourd de guitare. Mon art cʼest ma vision du monde, selon mes humeurs. Parfois il y a de lʼespoir, parfois du désespoir. Ce sont mes amis, les animaux et moi-même que je représente. Nous sommes les témoins de quelque chose qui nous dépasse et lʼhumilité quʼoffre lʼacte de peindre me donne le sentiment dʼêtre dans quelque chose dʼauthentique de vrai, de sensible.

Quelle est la superficie de ton appartement ?
30m2.

« Il est presque impossible dʼavoir un atelier dans Paris sans être dans les petits papiers des bonnes personnes »

C'est un choux d'en avoir fait ton atelier ?
Cʼétait une nécessité, il me fallait un espace pour travailler. Cʼest aussi mon lieu de vie, mais avec les odeurs dʼessences, il était nécessaire dʼavoir une cloison de séparation, pour mon petit chien notamment.

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N'est-ce pas trop difficile pour un jeune artiste de trouver un atelier à Paris ? Le problème est financier ? Nʼexiste- t-il pas différentes formes dʼentraide ? De partage dʼespaces ?
Il est presque impossible dʼavoir un atelier dans Paris sans être dans les petits papiers des bonnes personnes. Il existe en effet des formes dʼentraide mais cʼest souvent entre amis. Le problème est bien souvent financier, les prix dans Paris sont prohibitifs et je ne connais pas beaucoup dʼartistes en recherche d'espace vivant et travaillant à Paris. Ils sont bien souvent en proche banlieue, à Saint-Ouen, à Montreuil, ou à Ivry.

Tu as besoin de beaucoup de matos pour peindre, du coup cʼest un peu toujours le bordel chez toi ?
La quantité de matos dont jʼai besoin est énorme, rien que le chevalet prend 1/4 de lʼespace. Le pire c'est avant une exposition, lorsque les toiles ne sont pas encore parties à la galerie. On ne voit presque plus les murs de mon appartement. Je range régulièrement, c'est important que ce ne soit pas trop le bordel, sinon c'est l'enfer dans mon esprit et je n'arrive pas à me concentrer.

Quel serait l'atelier de tes rêves ?
Ce serait une maison avec un atelier séparé et un jardin. Le must serait d'avoir en plus un studio de musique car je suis également musicien.

Ce n'est donc pas un mythe que de dire qu'il faut se mettre au vert, au calme, à l'air libre pour penser, imaginer, créer ?
Avant je pensais que c'était un mythe. Mais je n'ai jamais autant ressenti le besoin, voire la nécessité, de me mettre au vert que depuis que je vis près de Paris. Jʼadore retourner en Bretagne chez mes grands-parents, jʼy trouve une tonne dʼinspirations et de repos qui me blindent pour affronter le travail durant lʼannée.

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Safia Bahmed-Schwartz, 33 ans, Pantin

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VICE : Bonjour Safia. Comment définis-tu ton art ?
Safia Bahmed-Schwartz : Je m'empare de la question du récit dans l'art en investissant les concepts de représentation, de contrefaçon et de storytelling. Je développe une pratique du dessin, de la peinture, de l’écriture, de l’édition, de la musique, de la vidéo et du volume où chaque médium se complète et se répond. Avec une notion prédominante d'intersectionalité, tant dans le fond que dans la forme.

Quelle est la superficie de ton appartement ?
70m2, et 15m2 de terrasse. C'est important de le dire, car c'est une de mes pièces préférées.

C'est un choix d'en avoir fait ton atelier ?
Avant je vivais dans un appartement beaucoup plus petit. Même si je pouvais travailler aux Beaux-Arts, ça a changé ma façon de créer. J'ai fait des choses plus petites, plus immatérielles, parce que chacun de mes projets, aussi petits soient-ils, prenaient énormément de place dans l'espace. J'ai pensé louer un atelier ou une place dans un espace partagé mais il aurait fallu payer deux loyers. Dans Paris intramuros, ou même dans la petite couronne, je n'avais clairement pas les moyens d'aligner deux loyers. Et puis parfois je passe plus de temps en studio, ou en tournée et je ne bosse pas vraiment les arts plastiques. Aujourd'hui, je peux tout faire de chez moi : je peins des fresques, je répète mes lives dans mon salon, et j'ai aménagé un studio pour produire et enregistrer du son dans une autre pièce. C'est super pratique, parfois je ne sors pas pendant des jours.

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« C'est effectivement ma réalité, celles de plein d'autres et je suis pas sûre que le cliché de l'atelier d'artiste existe encore de façon généralisée »

N'est-ce pas trop difficile pour un jeune artiste de trouver un atelier à Paris ? N’existe-t-il pas différentes formes d’entraide ? De partage d’espace ?
Les ateliers de la mairie de Paris sont attribués à des vieux artistes, souvent déjà bien établis et/ou institutionnalisés. Il y a aussi des espaces légaux mais c'est souvent très chers, il faut déjà vendre ses créations. Sinon il y a les squats et il faut s'assurer que c'est safe, ce n'est pas toujours garanti. Et puis aussi il y a des endroits qui ont l'air formidables sur le papier mais dans lesquels il fait très chaud l'été très froid l'hiver… Perso j'ai la flemme. Ça m'est arrivé de bosser dans ce genre d'espace, ponctuellement, parce que j'avais besoin de beaucoup de place ou de matériel spécifique. C'est super quand les autres personnes sont bienveillantes, talentueuses, intelligentes, mais j'aime surtout bosser chez moi, seule en culotte le son a fond totalement reclus.

Tu as besoin de beaucoup de matos pour peindre, du coup c’est un peu toujours le bordel chez toi ?
Je fais plusieurs choses en même temps, c'est donc très souvent le bordel oui. C'est comme ça que j'arrive à travailler. Je m'impose des phases pendant lesquelles je range, je nettoie. Cela me permet de finaliser l'œuvre et d'agencer la suite. Comme je t'ai dit, je fais plusieurs choses en même temps – peinture, dessin, texte, vidéo – et les créations que je fais simultanément se nourrissent entre elles. Par exemple, le texte d'une chanson peut être teinté du bleu que je suis en train d'utiliser pour une peinture et inversement.

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Quel serait l'atelier de tes rêves ?
Un espace assez grand mais de taille humaine. Une sorte de grand loft, avec un espace où on trouverait un four en céramique, un autre espace avec des machines pour manipuler du bois et du metal, une grande pièce isolée avec un studio de son, avec un piano et une batterie, un espace de stockage immense, qui se rangerait comme un dressing, une piscine qui irait de l'intérieur à l'extérieur, et a l'extérieur un potager avec des arbres fruitiers et des poules. Et sur le rooftop un bureau pour écrire sur les hauteurs face à la ville.

Tu as une notoriété certaine, et pourtant le fait que tu travailles dans ton petit appartement me renvoie à une logique de classes dans le monde des artistes… Quel est ton avis là-dessus ?
On est en 2019, je ne suis pas née avec une cuillère en or sertie de diamants dans la gueule, c'est effectivement ma réalité, celles de plein d'autres et je suis pas sûre que le cliché de l'atelier d'artiste existe encore de façon généralisée. En vrai, je suis heureuse de faire le métier que je fais, d'en vivre décemment, c'est un luxe d'avoir du temps pour penser et créer, peu importe la forme, je m'en suis donné les moyens et j'en suis très fière.

Patrick Byrnes, 35 ans, Paris 3

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VICE : Salut Patrick, peux-tu m'expliquer ton parcours ?
Patrick Byrnes : Je suis né en Corée du Sud et j'ai grandi dans les environs de Chicago. Après l'université, j'ai renoué avec une passion d'enfance, le dessin, et j'ai décidé de poursuivre mes études à l'académie des Beaux-Arts de Florence, en Italie, et au Grand Central Atelier, à New York. J'ai déménagé à Paris il y a deux ans pour aider à l'ouverture d'une école d'art.

Comment définis-tu ton art ?
Je pense que mon oeuvre peut entrer dans la case de ce qu'on appelle communément l' « académisme ». J'ai perfectionné ma pratique en studio en m'inspirant de la tradition académique classique. Mon objectif premier est d'honorer la nature par une représentation fidèle. Pour préciser ma pensée, je peux dire que mes peintures et mes dessins tendent à rendre compte de cette expérience intime qui anime mon travail : prêter une attention très poussée aux détails. Je travaille uniquement en me basant sur des modèles vivants. Je n'utilise donc pas de références photographiques puisque ma pratique est guidée par l'observation pure plus que par des idées préconçues ou le besoin d'aboutir à un rendu précis. Evidemment, je vise un résultat esthétique, mais ce qui m'intéresse surtout, c'est cette sensation de fluidité que je ressens quand je travaille sur une pièce qui me parle vraiment.

Quelle est la superficie de ton appartement ?
25 mètres carrés sous les toits.

« Le problème est que mon logement est en perpétuelle transition : chambre à coucher, atelier, chambre à coucher, atelier »

C'est un choix d'en avoir fait ton appartement ?
J'aime travailler et vivre dans le même espace, mais si je pouvais me le permettre j'aurais un atelier séparé, bien équipé.

Est-ce difficile pour un jeune artiste de trouver un atelier à Paris ?
Difficile à dire pour moi, je suis encore nouveau à Paris. Depuis mon arrivée il y a deux ans, j’ai vécu et travaillé dans le même espace et je n’ai pas encore cherché de solution alternative. Le marché des ateliers ressemble un peu au marché locatif, le centre de Paris est devenu trop cher pour les jeunes artistes. Même si des communautés d’artistes existent à Aubervilliers, Montreuil, Pantin et d’autres villes limitrophes de Paris, c’était important pour moi, en tant qu’étranger, de vivre dans le centre au début. Mais comme mes besoins changent, je réfléchis à explorer de nouvelles possibilités.

Ce n’est pas trop laborieux de créer dans un petit espace ?
Par commodité, je réalise de petits travaux et je peins de manière contrôlée. Le problème est que mon logement est en perpétuelle transition : chambre à coucher, atelier, chambre à coucher, atelier. Mais l’avantage c’est qu’il ne me faut pas beaucoup de temps pour tout ranger. Avoir un appartement et un atelier rangés est essentiel pour moi.

Quel serait l'atelier de vos rêves ?
Cela fait deux ans que que peins à l'aide d'une lumière artificielle, alors j'imagine un atelier avec une grande fenêtre orientée Nord. Il n'y a rien de plus beau que l'effet mouvant de la lumière naturelle qui tombe sur les objets. Je ne rêve pas forcément d'un grand espace. Franchement, j'ai très peu d'ambition pour créer des œuvres monumentales. Mais un peu plus d'espace pour s'étirer, physiquement et mentalement, serait merveilleux.

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