Booze’n Blues Bruxelles
Last Call

Avec l’ancienne fêtarde bruxelloise qui tient le Booze’n Blues

« Je fermais ici à 4 ou 5 heures du matin et puis j’allais faire la fête ailleurs. »
Romain Vennekens
Brussels, BE

Bienvenue dans « LAST CALL », une série dans laquelle on passe du temps avec les gens qui travaillent dans des bars afin de profiter de leurs leçons de vie – de comment surmonter un cœur brisé à ce qu'il ne faut absolument pas commander pour éviter de se couvrir de ridicule.

On aurait envie d’arriver au Booze’n Blues sur une bécane rutilante, assoiffé après avoir éprouvé la route. C’est qu’il y a là un parfum d’Amérique, sa musique vibrante, sa recherche de liberté. Le tout dans un espace étriqué mais réconfortant fortement ancré dans le paysage bruxellois. Il y a dans ce bar de blues quelque chose qui tient de l’antiquaire, du brol peut-être, réunissant les continents. Là c’est un disque d’Aretha Franklin qui résonne contre une tôle de l’Atomium, ici un poster de Buddy Holly au Vooruit de Gand. Les murs semblent imprégnés d’histoires, suintent la sueurs de trop de soirées électriques et gardent en mémoire les accords de nombreux concerts. Un lieu chaleureux où l’on vient partager une bonne bière, questionner un étrange Fakir, et vider son porte-monnaie dans un jukebox.

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Le Booze’n Blues a été crée par Eddy. On a rencontré sa sœur Nadia, ancienne fêtarde qui s’est retrouvée de l’autre côté du comptoir, faisant de ce bar une affaire familiale devenue institution bruxelloise

VICE: Bonjour Nadia, d’où est venue cette envie de tenir un bar de blues ?
Romain: Dans le café, c’est l’âme de mon frère. C’est lui qui voulait cet esprit. C’est un peu un musée, rempli d’objets qu’il a achetés ou trouvés. Et puis il y a aussi des trucs que des clients ont apportés. Beaucoup des objets ici sont très particuliers.

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Le Fakir

Oui, le fameux Fakir par exemple !
Le Fakir, c’est la révolution. On l’avait repéré dans un bar quand on était jeune, mon frère et moi. Eddy disait toujours au propriétaire que le jour où il fermerait, il voudrait le récupérer. Et puis les années ont passé et on a oublié. Un jour, on a revu le patron de ce bar qui nous l’a offert (ndlr : Le fakir est un automate divinatoire trônant sur le comptoir; vous mettez une pièce, vous lui posez une question et l’aiguille tourne et s’arrête sur une réponse).

Il y a quelque chose de magique chez cet objet. On y joue en rigolant, mais au fond, on a envie d’y croire.
C’est vrai, tout le monde joue dessus. Certaines personnes que je connais sont même en couple aujourd’hui grâce à lui. Ils se sont rencontrés ici et puis des mois plus tard, ils viennent me dire qu’ils vont se marier et que le Fakir leur avait prédit. C’est un beau moyen de rencontre. Je me rappelle aussi d’un client qui venait tous les jours après son boulot pour déposer sa pièce afin de poser une question. Un jour, l’entreprise dans laquelle il travaillait a décidé de déménager dans un autre pays. Durant plusieurs jours, il est venu nous demander pour acheter le Fakir. On a toujours dit non. Sa place est ici, il appartient à tous ceux qui viennent dans notre bar.

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Le jukebox aussi est assez réjouissant.
Oui, il est là depuis le début. Il date de l’expo 58. Ça fait partie de l’ADN du lieu. On a aussi un bout de l’Atomium, là, au plafond. Comme je te disais, c’est un musée.

« C’était un bar de nuit avant, donc quand on a ouvert, on a dû faire face à une faune nocturne. »

C’est quoi l’histoire de ce café ?
Mon frère, qui travaillait déjà dans un bar, voulait créer sa propre affaire. Il est tombé sur ce lieu qui était alors fermé et il l’a repris. Avant, c’était un bar de nuit, donc quand on a ouvert, on a dû faire face à une faune nocturne : des vendeurs de drogues, des pickpockets,… Il fallait faire un nettoyage. On a fait comprendre à ces gens-là qu’ils n’étaient plus les bienvenus et avec le temps, on a pu construire notre propre clientèle. À présent, c’est tout autre chose. Le quartier a changé et la clientèle aussi. Il faut savoir que quand on est arrivés ici, il n’y avait rien, même Saint-Géry n’était pas la place populaire et touristique qu’elle est devenue. Aujourd’hui, si vous demandez un plan de Bruxelles à l’office du tourisme, on est dedans. On n’a rien demandé, mais ça s’est fait.

Tous ces touristes, ça ne vous embête pas ?
Pas du tout. Ils se mixent très bien avec notre clientèle locale. Il arrive que lorsque la soirée commence, personne ne se connaisse et puis quelques heures plus tard tout le monde parle avec tout le monde. C’est ça qui fait le charme du bistro pour moi.

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« Je fermais ici à 4 ou 5 heures du matin et puis j’allais faire la fête ailleurs. »

Vous avez toujours voulu travailler dans un bar ?
Pour être honnête avec toi, à la base j’étais une fêtarde. Durant des années, j’ai emmerdé mon monde dans les bistros. Quand on me disait que c’était fermé, j’en voulais encore une. Je n’avais jamais pensé travailler dans un bar. Et puis j’avais mon boulot. C’est quand mon frère m’a demandé de venir l’aider que j’ai commencé. Je devais rester un mois et puis regarde, 21 ans après, je suis toujours là.

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Cela fait 21 ans que vous travaillez ici. J’imagine que cela veut dire que vous avez apprécié l’expérience.
J’adore être ici et parler avec les gens. D’ailleurs on m’appelle la pipelette. Et beaucoup viennent depuis tellement longtemps que ce ne sont plus des clients, ce sont des amis. Ce contact quotidien avec les gens, c’est pour moi la plus grande richesse.

Vous dites que vous étiez une fêtarde, mais en commençant à bosser ici, vous vous êtes retrouvée de l’autre côté du comptoir. Comment avez-vous vécu ce changement?
Ah mais je continuais de sortir après ! Je fermais ici à 4 ou 5 heures du matin et puis j’allais ailleurs. C’était parfois très dur, mais bon, j’avais 20 ans de moins. À l’époque, je bossais 7 jours par semaine ici, jusqu’à la fermeture. Aujourd’hui, j’ai levé un peu le pied, je ne pourrais plus faire ça. Et puis, être de l’autre côté du comptoir m’a fait comprendre à quel point je devais passer pour l'emmerdeuse de service dans d'autres bars.

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« Il m’arrive de devoir hausser le ton ou que j’attrape quelqu’un pour le faire sortir. »

Maintenant c’est à vous de gérer les emmerdeurs. Comment faites-vous?
Quand je me sens en danger ou en colère, je suis une fonceuse. Je ne baisse jamais les yeux devant personne et même si intérieurement j’ai peur, je ne le montrerai jamais. Je fais donc comprendre à la personne que ça suffit, qu’elle doit sortir. J’essaie de le faire au mieux, gentiment si possible, mais il m’arrive de devoir hausser le ton ou que j’attrape quelqu’un pour le faire sortir. En général, ça se passe bien. Je suis quelqu’un qui malgré tout reste fairplay. C’est comme ça que je gagne le respect de la personne que je mets dehors. Merci beaucoup Nadia.

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