Les genres musicaux sont morts,  la génération Z les a tués
Capture d'écran de Billie Eilish, 'when the party's over
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les genres musicaux sont morts, la génération z les a tués

L’avènement des services de streaming et d’artistes issus de la Gen Z, comme Lil Nas X et Billie Eilish, annoncent la fin des genres stricts, tels que nous les connaissons. Tant mieux ?

Depuis quelques semaines, un morceau littéralement hors-norme domine les charts américains. « Old Town Road », du rappeur Lil Nas X, a été décrit comme à la fois trap, rap et country – même s’il a été exclu du Country Billboard en raison de son « infidélité » à la tradition country. Si la chanson contient en effet des éléments de tous ces styles musicaux, il est tout aussi correct de dire que « Old Town Road » n’appartient à aucun genre. Lil Nas X est un artiste de la Gen Z, et la Gen Z se fiche des étiquettes. En même temps que nous nous affranchissons des frontières du genre, la Gen Z se débarrasse des frontières musicales et se tourne, à la place, vers des sons plus fluides, de plus en plus difficiles à catégoriser.

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Bien sûr, ce n’est pas la première génération à refuser ces cases. Les millenials ont eux aussi eu leur lot d'artistes inclassables, mais leur musique a rarement su échapper au mainstream. Lorsqu’ils passaient d’un son à l’autre, ces artistes circulaient entre différentes catégories musicales traditionnelles sans pour autant s'en affranchir complètement. La transition de la country à la pop de Taylor Swift, par exemple, l’a simplement vue passer d’un genre établi à un autre. Difficile de parler de transgression, la couleur musicale reste lisible, même si elle a changé d’un album à l’autre. Aujourd’hui, les artistes de la Gen Z se passent carrément de ces catégorisations. Mais pourquoi ?

Il est impossible de parler d'hybridité sonore sans évoquer l’ascension stratosphérique des services de streaming, qui a complètement transformé notre façon de consommer la musique. Sur Spotify, nous ne sommes pas condamnés à écouter un album ou un genre spécifiques ; nous faisons notre marché, nous choisissons nos chansons préférées pour les rassembler en playlists particulièrement diverses. Selon une étude menée par Sweety High, un groupe média à destination des filles de la Gen Z, près de 97% des femmes de cette tranche d’âge écoute « régulièrement au moins cinq genres musicaux différents ». Les goûts se diversifient, et cela influe sur la création musicale. Et les personnes les plus touchées par cette façon d'organiser son écoute sont celles qui dictent aujourd'hui les tendances musicales du monde.

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La manière dont la musique est classée sur les plateformes de streaming a aussi son importance. Spotify catégorise ses playlists toutes faites en genres musicaux, mais aussi en fonction de l’humeur, ou de l’activité que l’on exerce pendant l’écoute (« relaxation », « concentration maximum », « la vie est belle » ou « sous la douche »). Sans surprise, ces playlists contiennent quantité de genres musicaux différents. La Gen Z a grandi avec Spotify et ces rangements plus fluides. Cette façon de privilégier l’humeur et l’atmosphère au genre a modifié notre perception de la musique. Maintenant que les jeunes de la Gen Z font de la musique à leur tour, il est logique qu’ils créent des chansons qui défient les genres et qu’ils utilisent les réseaux sociaux pour les promouvoir.

Si vous êtes nés après l'an 2000, vous faites partie de cette génération. Vous avez une utilisation des réseaux sociaux encore plus régulière que la génération précédente, vous maîtrisez parfaitement la viralité de vos contenus et vous savez comment faire croître votre nombre d’abonnés. Avant de cartonner avec « Old Town Road », Lil Nas X tenait un compte Twitter déjà très populaire, qui lui a permis de lancer sa chanson sur TikTok. Le morceau servait alors de bande-son pour une vidéo suivant l'amourette de deux ados, rapidement devenue virale sur la plateforme. Le succès de la chanson réside en partie dans son timing impeccable. Actuellement, le Yeehaw Agenda - un retour en grâce des codes de l'esthétique cow-boy, principalement mené par des artistes et un public afro-américain - connaît un succès grandissant sur les réseaux sociaux. Et c'est évidemment « Old Town Road » qui sert d'hymne à ce mème devenu mouvement. La maîtrise des réseaux sociaux de Lil Nas X est indiscutable. « Les rumeurs disent vrai, je suis un génie du marketing », tweetait-il récemment.

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Les réseaux sociaux font également partie intégrante du récent et fulgurant succès de Billie Eilish. Au détour d’une interview pour Harper’s Bazaar en 2017, elle exprimait sa reconnaissance, avouant même : « sans [les réseaux sociaux], je ne suis rien. » Au-delà de leur utilisation plutôt normalisée, pour interagir avec des fans, annoncer clips ou tournées, les réseaux sociaux impactent la création musicale de jeunes artistes comme Lil Nas X et Billie Eilish. Sur internet, il suffit de quelques clics pour trouver des gens qui partagent nos goûts et nos opinions. Et si cela a quelque chose d'évidemment réconfortant, on peut vite avoir l'impression de se fondre dans une masse immobile. Créer son propre espace, en tant qu'artiste, devient alors essentiel. Mêler les genres pour créer une musique non-conventionnelle, c'est se créer une identité musicale unique, échapper à cette masse.

Les réseaux sociaux nous ont tous exposés à cette diversité sonore. Les chansons non-anglophones sont plus populaires que jamais. Des artistes hispanophones comme Rosalia et Bad Bunny se produisaient à Coachella cette année, et la K-Pop, avec des groupes comme BLACKPINK et BTS, est à la conquête du monde. Les playlists des auditeurs de Gen Z sont mondialisées. Quand vient leur tour de composer leur musique, ils n'ont alors aucun mal à mixer les influences et les genres. La chanson « R.I.P . », de la chanteuse de 23 ans Sofia Reyes, illustre parfaitement cette tendance. Pandora Music agrège huit genres différents à la chanson, chacun représentant 16% de la chanson, et puisant des influences caribéennes, afro-latines, et latines. La multiplicité de « R.I.P. » est à l'image de cette mondialisation musicale.

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La Gen Z a également grandi avec les applications et les sites qui facilitent la création et la distribution musicale. Les logiciels de création ne sont plus réservés aux professionnels de l’industrie et il existe désormais des applications téléchargeables, disponibles à tous. Une fois le morceau créé, il est facile de l’uploader sur SoundCloud – exactement comme l'a fait Billie Eilish. Dès 13 ans, avec son frère, la chanteuse commençait à penser une musique traversant les genres. En 2015, elle partageait sa chanson « ocean eyes » sur SoundCloud, avec un lien de téléchargement gratuit. Quelques heures plus tard, Hillydilly, un site prescripteur musical, relayait le titre sur son site, et après cela, des propres mots de Billie Eilish : « ça n’a fait que prendre de l’ampleur. »

Sa réussite est la preuve éclatante que partager sa musique avec succès n’est pas qu'une question de contacts privilégiés dans l’industrie. Cela ne signifie pas non plus que la musique n’est pas totalement industrialisée – c’est le cas. Mais il est désormais possible d’acquérir une fanbase avec : du talent, un ordinateur et un compte SoundClound.

En toute logique, cette facilitation du processus créatif, et cette popularité potentiellement accessible de façon autonome, libère les artistes de leurs obligations envers les maisons de disques. Il n’y a donc plus de raison de se cantonner aux genres préétablis. Si votre son est intéressant, l’industrie viendra à vous. Par exemple, l’artiste de 23 ans Dominic Fike a signé un contrat de 4 millions de dollars pour une musique qu’il a créée en indépendant, quand il était assigné à domicile. Juste après qu'il ait posté une démo de six chansons sur internet, les labels se sont arraché son talent. Le son de Fike est un mélange de guitare, de musique indé et de hip-hop, ce qui fait de lui la figure typique de « l’artiste-Gen Z » : un bourreau des genres stricts, un alchimiste de sonorités.

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Les services de streaming, les réseaux sociaux et l’accès facilité à la création musicale modifient aussi la façon dont la Gen Z mesure le succès de ses idoles. Les nouveaux auditeurs - et les nouvelles stars - se soucient moins des classements et des ventes que les générations précédentes en ce que les catégories existantes ne correspondent plus à la musique qu’ils écoutent. La controverse de « Old Town Road » n’a pas seulement relancé les conversations sur les genres, elle nous a aussi forcés à nous demander si les classements Billboard avaient encore le moindre sens.

Cela signifie-t-il que nous entrons dans l’ère de la musique post-genre ? Finirons-nous par devenir « sans genre » et par parler des chansons simplement comme de « chansons » et plus comme de « chansons country » ou de « chansons pop »?

Dans une interview pour Billboard - l’entreprise qui publie les classements basés sur les genres - Billie Eilish disait en 2017 : « Je déteste l’idée de genres. Je ne pense pas qu’une chanson doive être mise dans une catégorie. » Alors que des artistes de la Gen Z, comme elle, enchaînent les hits inclassables, il apparaît clairement que nous sommes en train de nous affranchir, petit à petit, de la rigidité des genres. Il n'est pas improbable que d’ici dix ans, les catégories finissent par n’être que des coquilles vides. Les artistes de la Gen Z avancent en tout cas dans cette direction - et il est peut-être temps que l’industrie musicale suive leurs traces.

Cet article a été initialement publié dans i-D UK.

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