Culture

Un roman se penche sur le militantisme de la gauche vénère

Le jeune auteur Marc Faysse publie « La Communale », l'histoire d'Achille, un étudiant de Rennes 2 qui découvre un militantisme plus concret que celui de l'UNEF.
Marc Fraysse
 Photos: Brian du Halgouet / Éditions du Commun

La Communale raconte l’histoire d’Achille, un jeune étudiant de Rennes, adhérent à l’UNEF, qui tracte à ses heures perdues. Le reste de son temps, il travaille au fond de la bibliothèque universitaire, à ranger des bouquins, ou zone dans son studio. Sa vie bascule le jour où il rencontre Yann, un personnage charismatique, qui lui parle d’autogestion, de vie en squat et de la guerre à mener contre le système capitaliste. Achille adhère à ses discours, trouve une famille et quitte son monde solitaire et sécurisé. Il bascule ainsi petit à petit dans un militantisme plus concret. Le livre explore à travers lui le milieu des autonomes, entre squats, fêtes à outrance et actions militantes.

Publicité

Jeune, les cheveux bruns, une boucle d’oreille discrète, Marc Faysse est avenant. À 29 ans, La Communale, est son premier roman, une fiction librement inspirée de ses expériences, dans lequel il veut contrebalancer les caricatures médiatiques faites sur la « gauche radicale ». Toujours militant, il veut complexifier ce qu’on dit de l’« ultra-gauche », mot passe partout, presque insultant dans la bouche de certains. On s’est entretenu avec lui pour parler de son ouvrage, de Rennes 2 et de black bloc.

VICE : Marc, qu’est-ce qui a déclenché l’envie d’écrire cette histoire ?
Marc Faysse : Je vivais à Rennes et mon quotidien a littéralement changé au moment où je suis arrivé à Paris. J'ai commencé à fréquenter des gens beaucoup plus insérés dans la vie professionnelle. Ça m'a fait me rendre compte qu'il y avait un vrai décalage avec ce que je vivais en Bretagne. J’ai découvert que les gens que je fréquentais chez moi étaient caricaturés dans les médias et sous-représentés. J'ai donc voulu dresser un portrait d'eux plus juste. L'idée du bouquin est d'apporter de la complexité dans le débat public au travers d'un roman plutôt documenté, histoire de sortir du « gentil manifestant » contre le « méchant manifestant ».

Quand tu parles de sortir des caricatures, tu penses à la fascination médiatique autour du « black bloc » par exemple ?
Je voulais décrire le quotidien de gens qui sont complètement sous les radars, qu'on résume facilement sous le terme « black bloc ». Pourtant, ce terme ne décrit qu'une méthode et pas des gens. Il n'y a pas d'association « black bloc » par exemple. Les gens appartiennent au black bloc le temps de l'action mais en soi, le black bloc n'existe pas. Ce n'est pas quelque chose auquel on adhère, c'est une méthode qu'on utilise. En manif, c'est une méthode offensive durant laquelle ils attaquent des objets politiques clairement hostiles à leurs idées, comme les banques ou les espaces de publicité. Mais étant donné que le bloc n'est pas une organisation mais une méthode, on attribue au black bloc tout un tas de choses.

Publicité
1555064516459-BDH_20190411_115

Marc Faysse

Pourquoi avoir choisi Rennes pour raconter cette histoire ?
Rennes c'est un espace-temps un peu particulier parce qu'en 2016 il y a eu tout le mouvement autour de la loi Travail, mais aussi la ZAD, dont Rennes était un peu l'une des bases arrières. Il y a beaucoup de choses qui s'y passent, il y a des lieux qui existent : des squats politiques, des manifs qui prennent des tournures différentes. C'est une ville qui ressemble un peu à Toulouse pour ça, avec des milieux alternatifs beaucoup plus puissants qu'ailleurs.

Qu'est-ce que tu voulais montrer en racontant l'histoire d'Achille ?
C'est un récit d'expérience simplement. Je voulais montrer les étapes qui poussent quelqu'un d'essence bourgeoise à aller si loin. C’est vrai qu’Achille se livre comme un soldat, un chevalier. Il perd sa rationalité. Son engagement est très émotionnel. Il a envie de prouver que sa limite est plus loin.

« Je trouve qu'il y a de l'excès de zèle parmi les néo-convertis. Ce que je veux dire par là c'est qu'il y a des gens avec qui on ne peut pas discuter quand ça fait très peu de temps qu'ils sont dans la cause, dans le mouvement »

À quel point t'es-tu inspiré de ton expérience personnelle pour nourrir le roman ?

À Rennes, je militais auprès des Eclaireurs et éclaireuses de France, une asso qui œuvre en faveur l'environnement. Rapidement, je me suis retrouvé un peu embarqué dans une vie alternative autours des squats, des fêtes politiques et des mouvements qui organisaient la lutte de manière un peu plus radicale. Il y a eu, comme je le décris dans le bouquin, un vrai glissement d'un militantisme classique syndical à un militantisme dans lequel la cause épouse totalement la vie quotidienne.

Publicité

Tout devient politique : la manière dont on vit, la manière dont on consomme, dont on tombe amoureux, dont on habite. Le militantisme devient un prisme à travers lequel la vie est plus excitante. J’ai voulu montrer comment ce militantisme change ta vie quotidienne. Dans l'histoire, comme dans la vraie vie, il s'agit d'une tribu. Il y a à peu près 400-500 personnes à Rennes dans ce milieu-là et en fait les choses se savent vite et elles restent entre nous. Je ne voulais pas non plus montrer une version tronquée du militantisme, il y a plein d'effets pervers. C'est un mouvement radical. Quand j'en parlais à mes parents par exemple, c'était impossible pour eux de comprendre.

Dans ton livre, tu évoques notamment l'utilisation d'un vocable propre au groupe qui participe à la constitution d'un esprit d'appartenance. Peux-tu revenir sur trois mots tirés du bouquin : chourses, auto-réductions et Éducation nazillonale ?
C'est comme dans n'importe quel groupe, quand on devient basketteur, par exemple, on apprend ce que cela veut dire « dunker ». Quand on devient surfeur on apprend ce que veut dire le pic d'une vague, etc. Et ça donne un sentiment d'appartenance. Pour revenir à ta question, les chourses, c’est la contraction de courses et de chourrer. C’est ce que fait Achille lorsqu’il décide de mettre en pratique les théories auxquelles il croit. Il vole souvent au Monoprix dans le livre. Les auto-réductions sont des méthodes de lutte. C'est l'investissement rapide et massif d'un commerce pour voler collectivement. Il est presque impossible de se faire arrêter. Ça s'est vu plusieurs fois à Rennes. Cela permet d’envoyer des messages politiques contre le gaspillage par exemple. Et l’Éducation nazillonale, c’est un terme spécifique donné au processus d'endoctrinement à l’école, qui a surtout lieu au collège, où on ne parle jamais de quoi que ce soit qui a un rapport avec l'esclavage, avec la colonisation ou encore la Commune. On ne présente l'histoire que du côté des vainqueurs, la France comme le gentil, ce qui empêche toute pensée critique.

Publicité

Ce vocabulaire, Achille se l’approprie vite dans le roman.
Oui. Les « néo-convertis » sont les plus virulents, on met de l'eau dans son vin quand ça fait deux, trois ans qu'on pratique les idées. Je trouve qu'il y a de l'excès de zèle parmi les néo-convertis, il y a des gens avec qui on ne peut pas discuter quand ça fait très peu de temps qu'ils sont dans la cause, dans le mouvement. C'est un vrai problème que je voulais pointer. C'est d'ailleurs le cas de mon personnage, qui en un an, épouse totalement la cause et qui, soit pour se prouver à lui-même, soit pour prouver qu'il « en est », adopte une spirale un peu autodestructrice, en montant ce coup politique dont on ne va pas dévoiler l’intrigue. Il est en tout cas impossible d'imaginer qu'il s'en sorte indemne. Il le sait, il n'est pas con, mais comme il a trouvé un sens à sa vie, il met tous ses espoirs dedans.

Ce qui rejoint un autre concept que tu développes dans le roman, le « ticket de sortie », que l’on « brûle » ou pas. Peux-tu expliquer ce que tu entends par là ?
Le « ticket de sortie », c’est la capacité, ou pas, à pouvoir sortir du mouvement. C'est vraiment important car quand se déploie toute la répression [policière, étatique, NDLR], on se rend bien compte que certains ont une deuxième chance. Ce « ticket de sortie » dépend moins de l'intelligence que du capital social des gens. En réalité, ceux qui prennent le plus de risques, ceux qui « brûlent » leur ticket de sortie ce sont ceux qui font partie des classes dominés, selon moi. Un peu comme Fanny dans le roman. Si tu es bourgeois, il y a moins d’enjeu : si la révolution échoue ce sera dommage pour tes idéaux mais pas dommage pour toi. Ce pourquoi tu luttes ne représente pas une cause de survie.

Finalement, ton personnage part en guerre, comme un héros de révolution romantique presque. Il change complètement sa perception de la société.
Oui, son idéal est révolutionnaire. Le personnage de Yann lui parle de guerre et il adhère. Affirmer que l'on vit en paix, c’est refuser de remettre certaines choses en question. On le voit avec les « gilets jaunes » aussi. S'il y a des gens prêts à foncer au transpalette sur la porte de Benjamin Griveaux, c'est bien que nous ne sommes pas en paix. Et puis, on se rend compte qu'Achille s'emmerdait avant. Il trouve un sens à sa vie mais également des gens à qui il a envie de ressembler. À la fin du livre, sans dévoiler l'histoire, il sait qu'il s'embarque dans un truc difficile, il déprime. C'est un élément déclencheur car c'est la fin d'une certaine insouciance. Ce qu'ils ont construit s'effondre.

VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.