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FRANCE

Ce qu’on a appris sur notre métier en couvrant les attentats à Paris

Interroger les témoins d’une fusillade, couvrir une attaque sans penser à la précédente, accepter qu’il ne se passe rien, différencier une rumeur et une fausse information, quelques problématiques auxquelles on a été confrontés en 2015.
Un pompier devant le bar La Belle équipe le 13 novembre à Paris (Photo par Etienne Rouillon / VICE News)

Le bureau français de VICE News a ouvert à Paris fin 2014. Quelques semaines plus tard, une première vague d'attentats frappait la région parisienne. De la rédaction de Charlie Hebdo à l'assaut de Saint-Denis, voici ce que nous avons retenu sur le plan journalistique de notre couverture des attaques qui ont frappé la capitale en 2015.


Mieux vaut demander aux témoins ce qu'ils ont entendu plutôt que ce qu'ils ont vu.

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Un homme au téléphone arrive devant la Belle équipe, bar parisien où 19 personnes ont été tuées le 13 novembre. (Photo par Etienne Rouillon / VICE News)

Depuis l'attaque de Charlie Hebdo, la première question que l'on pose aux témoins d'une fusillade qui vient de survenir, c'est « Quel bruit ça faisait ? ». Les oreilles des témoins sont beaucoup plus fiables que leurs yeux.

Le soir du 13 novembre, quelques minutes après l'attaque qui a visé la terrasse de la Belle équipe, une cliente d'un restaurant voisin nous raconte « Ça faisait ta-ta-ta-ta-ta-ta » on comprend immédiatement que l'on est dans autre chose que quand ça fait « boum, boum », alors que la rédaction ne sait pas encore ce qui se passe au même moment au Bataclan, au stade de France et sur plusieurs terrasses parisiennes.

Un témoin pourra confondre la silhouette d'un fusil de chasse et celle d'une AK-47 mais pas le bruit d'une rafale d'arme automatique et celui d'un pistolet. Difficile d'avoir une idée de la chronologie d'une fusillade quand on nous dit « Ça m'a semblé durer des minutes et des minutes, une dizaine peut être », comme nous racontait une femme qui rangeait son scooter à quelques mètres des locaux de Charlie Hebdo, lorsque les frères Kouachi se sont enfuis par l'Allée verte. En revanche elle décrivait très précisément le son des coups de feu. Ce son nous permet de nous faire rapidement une idée du genre d'événement que l'on couvre.

Les réseaux sociaux peuvent créer de réels mouvements de panique.

 Un tireur d'élite et son coéquipier prennent position sur les toits de Paris pendant la "Marche républicaine" à Paris le 11 janvier. Une marche en hommage aux victimes des attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher. (Photo Etienne Rouillon / VICE News)

En fin d'après-midi le dimanche 15 novembre, le glas sonne pour les victimes des attaques du vendredi précédent, qui ont fait 130 morts. Le parvis de Notre-Dame de Paris est noir de monde. Soudain une clameur : mélange de cris de panique étouffés et d'applaudissements, tournant au brouhaha murmuré. On voit des petits groupes partir à grandes foulées, mais sans courir, les yeux rivés sur leurs téléphones.

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À l'origine de ce mouvement de foule, l'information selon laquelle des coups de feu ont été tirés dans le Marais. Ça part dans tous les sens sur Twitter. L'info s'amplifie et provoque des mouvements de panique également devant le Carillon, autre lieu touché par les attentats. Beaucoup redoutent une nouvelle attaque simultanée visant cette fois les lieux de recueillement. Il s'agissait en fait de pétards lancés par des gamins au niveau du métro Saint-Paul. Fausse alerte mais vraie panique. Il y en aura d'autres, comme ce mariage bruyant, le même matin, dans le nord-est de Paris, des pétards sont là aussi pris pour des coups de feu.

Une affiche posée sur des toilettes publiques devant la salle de concert du Bataclan où 90 personnes ont perdu la vie le 13 novembre (Photo Etienne Rouillon / VICE News)

Les jours suivant les attaques de janvier et novembre, identifier et neutraliser les rumeurs pour ne pas perdre de temps sur leur couverture va représenter une part importante de notre travail. Le journal français Le Monde donne le lendemain des attaques du 13 novembre quelques conseils utiles pour éviter de propager des rumeurs ou d'être trompé : partir du principe qu'une info donnée par un inconnu sur le web a plus de chances d'être fausse que vraie, se fier aux personnes reconnues comme travaillant pour un média. Être hyper-méfiant en ce qui concerne les photos : qu'il s'agisse de breaking news ou d'info plus froide — comme la crise des migrants — on a vu circuler en 2015 sur Facebook ou Twitter une multitude de photos sorties de leur contexte, retouchées ou avec des légendes fausses. Enfin, même les médias peuvent dire des bêtises, surtout lors de couvertures d'événements complexes en direct. Mieux vaut attendre que deux médias reconnus donnent une même info pour la considérer comme probable.

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Difficile de couvrir novembre sans penser à janvier.

Le 7 janvier, vue sur la rue Nicolas Appert, où se trouve le siège de Charlie Hebdo qui vient d'être attaqué, alors que les secours continuent d'arriver et que la police scientifique procède aux premiers relevés. (Photo Etienne Rouillon / VICE News)

Un moyen de douter efficacement d'une rumeur ou d'une information insuffisamment claire pour être reprise, c'est de se demander « Est-ce que cela ressemble à une situation qu'on a déjà connue ? ». Une fausse information ressemble souvent à une ancienne information. Et cette année, des fausses informations liées aux événements de novembre faisaient écho à des situations vues en janvier.

Des policiers armes à la main Porte de la Villette, le 8 janvier. (Photo par Etienne Rouillon / VICE News)

Le samedi 14 novembre en fin de matinée — quelques heures après la vague d'attaques qui a fait 130 morts — on apprend dans la presse qu'une voiture a forcé un barrage de police dans les Yvelines. Plusieurs personnes armées seraient à bord du véhicule qui fonce vers Paris. À peu de chose près, on est dans un scénario similaire à la journée du 8 janvier, au lendemain de l'attaque des locaux de Charlie Hebdo, des informations donnaient les tireurs, les frères Kouachi, en route vers Paris. Cela avait motivé le déploiement d'un impressionnant dispositif policier aux entrées nord de Paris, Porte de la Villette et Porte de Pantin. Finalement le barrage forcé des Yvelines est une fausse alerte.

Les journalistes sont tous au même endroit, racontent la même chose, pour le meilleur et pour le pire. 

Des journalistes perchés sur un rond-point le 9 janvier, à plusieurs centaines de mètres de l'assaut visant les frères Kouachi à Dammartin-en-Goële. (Photo Etienne Rouillon / VICE News)

À quoi sert d'aller là où d'autres journalistes iront immanquablement ? Évidemment chaque rédaction veut avoir son article sur ce genre d'événement, on rapporte tous à peu près la même chose. Notre nombre, la multiplicité des points de vue, peut à la fois donner des choses intéressantes et parfaitement ridicules.

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Un matin de novembre, toute la presse est bloquée dans une rue de Saint-Denis, devant le cordon de police, alors que l'assaut est donné sur la planque de l'un des organisateurs des attaques, Abdelhamid Abaaoud. On est plusieurs heures après les derniers coups de feu entendus. Il ne se passe rien, en face de nous : la police, les forces spéciales, l'armée, les secours, tout le monde attend.

Des journalistes et quelques badauds devant le cordon de police à Saint Denis, lors de l'assaut de la planque de l'un des suspects des attaques du 13 novembre. (Photo Etienne Rouillon / VICE News) 

D'un coup, tous les journalistes, au moins une cinquantaine de personnes, se mettent à courir toutes caméras dehors pour suivre un policier qui poursuit un passant qui lui paraît suspect. Une minute plus tard, beaucoup reviennent la mine déçue : ils ont perdu leur place devant le cordon de police, simplement pour suivre un micro-événement n'apportant aucune info.

Quelques instants après, on entend un gros bruit sourd. Un nouvel assaut ? En discutant rapidement entre journalistes, on se rend compte que ce que l'un prenait pour un bruit de coup de feu n'est en fait qu'une barrière en train d'être installée par un agent de la voirie. Recouper nos ressentis entre nous, comme on recoupe nos informations, permet souvent de ne pas annoncer d'âneries sur ce genre de situation couverte en direct.

Même après un attentat les voleurs volent et les forcenés continuent de faire des trucs de forcenés.

Des policiers bloquent l'accès au Primark de Villeneuve-la-Garenne le 13 juillet, alors qu'un braquage a lieu et que les forces spéciales prennent position. (Photo Etienne Rouillon / VICE News)

Dans les semaines et mois qui suivent un événement aussi marquant que l'attaque de l'Hyper Cacher, toute intervention de police d'envergure est d'abord perçue dans une rédaction par le prisme de l'attaque terroriste. Courant 2015 on peut citer par exemple une déception amoureuse à l'origine d'une prise d'otage dans un bureau de poste — une semaine jour pour jour après celle de l'Hyper Cacher — ou encore un braquage suivi d'une prise d'otage dans un centre commercial en région parisienne. Dans ces deux cas, la première question que l'on posait aux forces de l'ordre c'était celle de savoir s'il fallait écarter la piste terroriste.

Ce filtre de lecture est un réflexe qu'on essaie de perdre le plus rapidement après des drames aussi lourds — pas parce que si ce n'est pas une attaque terroriste, on doit moins traiter l'information — mais parce qu'arriver sans préjugé sur une situation permet de la rapporter au mieux. Ce sera pour nous l'un des enjeux des premières semaines de 2016.

Retrouvez sur cette page l'ensemble de nos articles consacrés aux attaques de novembre. 

Suivez Étienne Rouillon sur Twitter @rouillonetienne