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Société

Un prêtre hindou anti-musulman à la tête du plus grand État indien

Depuis son arrivée au pouvoir, il a fait fermer les abattoirs, et des brigades « anti-Roméo » battent le pavé pour éviter que les femmes indiennes se fassent harceler.

On ne chante plus « Modi Modi », mais « Yogi Yogi » dans l'Uttar Pradesh, le plus grand État indien. Yogi Adityanath a 44 ans, porte des robes couleur safran, et a renoncé aux plaisirs matérialistes de la vie à l'âge de 21 ans.

Ce prêtre hindou intégriste est gouverneur de l'Uttar Pradesh depuis le 19 mars, après avoir été désigné par le parti Bharatiya Janata Party (BJP) du Premier ministre, Narendra Modi.

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Beaucoup ont vu cette investiture comme un coup politique de Modi, afin de se garantir le soutien des hindous dans la perspective des élections de 2019. Adityanath est sûrement l'homme de la situation. Populaire, controversé et imprégné d'idéologie religieuse, on lui reproche de mener une politique trop clivante.

En 2005, Adityanath a lancé un mouvement de « purification » visant à convertir les chrétiens à l'hindouisme. Il s'est vanté d'avoir réussi à en convertir plus de 5 000. En 2007, il a passé 11 jours en prison pour avoir violé une interdiction provisoire imposée par l'administration, dans une période de forte tension entre les communautés.

Nécessaire pour se présenter, la déclaration sous serment de Adityanath en 2014 indique qu'il a déjà été condamné pour tentative de meurtre, menaces, incitation à la haine religieuse, profanation d'un lieu religieux, émeutes et intrusion dans des cimetières.

À travers ses nombreuses campagnes électorales, Adityanath a martelé sa volonté « d'unir les Hindous » contre une supposée menace de l'Islam. En janvier, il a a déclaré soutenir une exclusion des musulmans d'Inde.

Les discours incendiaires du nouveau gouverneur ciblant les minorités s'avèrent très populaires dans l'Uttar Pradesh, où les musulmans représentent seulement un cinquième des 220 millions d'habitants. Avant cela, Adityanath avait déjà accusé les musulmans de prôner un « amour du djihad » ou de préparer une « guerre de l'amour », qui viserait à attraper les femmes hindoues et les convertir à l'islam.

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« Si une hindoue marie un musulman, nous prendrons 100 musulmanes en retour… S'ils [les musulmans] tuent un hindou, alors nous tuerons 100 musulmans », a-t-il déclaré devant une foule conquise.

Adityanath a tenu d'autres propos polémiques, parmi lesquels le fait que les minorités s'opposant au yoga devaient quitter le pays ou se jeter à la mer, ou encore son souhait de placer des idoles hindoues dans toutes les mosquées.

Sur un siège éjectable

Dès les premiers jours de son mandat, Yogi n'a pas tardé à se mettre au travail. Ses brigades « anti-Roméo » – supposées faire diminuer le harcèlement de rue envers les Indiennes – battent déjà le pavé, malgré les nombreuses critiques. Certains y voient l'instauration d'une police morale de l'État.

Yogi a aussi ordonné des fermetures d'abattoir en masse dans le cadre de sa politique de « purification ». Les représentants du gouvernement estiment que c'est une manière de « sévir » contre le business illégal. Mais les propriétaires d'abattoirs et de boucheries ne sont pas du même avis. À Noida, en banlieue de New Delhi, les boucheries ont été recouvertes d'un voile. Les propriétaires ont expliqué avoir été obligés de « couvrir » les entrées de leurs commerces sur ordre de la police, pour ne pas choquer les végétariens. Beaucoup ont entamé une grève illimitée depuis lundi, brandissant la menace d'une pénurie de viande.

Selon Rakesh Sinha, un partisan de Yogi, la vieille politique est dépassée. « Les humeurs populaires, les polémiques et le talent du communicant sont au coeur de la politique d'aujourd'hui », explique Sinha à VICE News.

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« Ce n'est pas tant un changement de pouvoir qu'un changement de paradigme », poursuit Sinha. « On a besoin d'une décolonisation des esprits… Le futur sera un combat d'idées. Et nous le gagnerons ».

Cependant, beaucoup d'intellectuels et de personnalités, notamment le juriste Fali Nariman, tentent de s'opposer au nationalisme de Yogi avec une vision de l'Inde plus tolérante, pluraliste et progressiste.

« La constitution est en danger. La désignation d'un prêtre hindou ? Je me demande si ce n'est pas le début d'un État hindou. Le Premier ministre doit répondre à cette question, pour que les gens sachent à quoi s'attendre », a déclaré Narimana lors d'une conférence de presse le week-end dernier.

L'Inde compte 1,3 milliard d'habitants, parmi lesquels 80 pour cent d'hindous, 14 pour cent de musulmans, et le reste de chrétiens, sikhs et autres minorités. Au regard de ces statistiques, la désignation d'un homme usant d'une rhétorique violente envers les minorités religieuses ne peut que prêter à polémique.

Asaduddin Owaisi, député indien de l'opposition et leader musulman, a déclaré à VICE News : « Le BJP favorise la communauté majoritaire, les éléments se réclamant du Hindutva (le militantisme hindou). »

Les sites religieux menacés

En tant que gouverneur de l'Uttar Pradesh, Adityanath pourrait jouer un rôle majeur dans une vieille querelle : une bataille légale qui menace de resurgir dans les prochains mois, à propos d'un site religieux.

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Le 26 décembre prochain marquera les 25 ans de la destruction de la mosquée Babri Masjid, démolie par des émeutes. Cet évènement a fragilisé les liens entre hindous et musulmans. Les ruines de la mosquée de Ayodhya restent l'un des sites religieux les plus âprement disputés au monde. Beaucoup d'hindous dévoués, dont Adityanath, ont voulu le remplacer par un temple de Rama.

Malgré toutes ces questions épineuses à venir, les soutiens du gouverneur estiment qu'il doit être jugé sur ses compétences administratives, et non son passé. « Donnez lui une chance », est même devenu un hashtag populaire sur Twitter le jour de l'annonce de sa désignation.

La suite ne sera qu'une attente tendue, où l'on verra si Adityanath appliquera le programme de sa campagne, ou s'il adoptera un ton plus raisonnable, plus convenable par rapport à son poste de gouverneur. Dans tous les cas, sa nomination a secoué ceux qui pensaient que l'Inde avait tourné la page des tensions religieuses et de la politique de la peur.


Zeenat Saberin est journaliste free-lance et vit à New Delhi.