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Crime

Abercrombie & Fitch face au port du voile

La justice américaine doit décider si la marque de vêtements aux vendeurs torses nus a le droit de refuser d'embaucher une femme voilée pour protéger son image.
Photo via Flickr

La marque responsable des décibels assourdissants et des volutes nauséabondes de parfum dans les centres commerciaux des États-Unis va se produire bientôt dans un nouveau théâtre : celui de la Cour Suprême des États-Unis. Une polémique enfle autour d'accusations de discrimination et de la très controversée "look policy", ou "politique de l'apparence" de la marque.

La Cour Suprême s'est saisie d'une plainte de l'Agence fédérale pour l'égalité devant l'emploi (Equal Employment Opportunity Commission - EEOC) contre Abercrombie & Fitch, marque de vêtements pour adolescents. Le dossier sera examiné pendant la session de décembre. Abercrombie & Fitch aurait refusé l'embauche à une jeune femme parce qu'elle portait un voile islamique.

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L'histoire commence en 2008 dans un magasin Abercrombie Kids de Tulsa, dans l'état de l'Oklahoma. Samantha Elauf, alors âgée de 17 ans, se rend à un entretien d'embauche pour un poste de "modèle" - l'équivalent Abercrombie d'une vendeuse. L'employée chargée du recrutement, Heather Cooke, alors âgée de 23 ans, donne à la candidate un score élevé, soit une recommandation d'embauche.

Mais après avoir parlé du voile de la candidate à l'un de ses supérieurs, Cooke est informée que le port du voile ou du chapeau ne sont pas conformes au règlement intérieur de la compagnie. À la suite de la conversation, Elauf reçoit un faible score dans la catégorie "apparence et style" et se voit refuser l'embauche.

La décision du responsable du magasin se fonde sur la "politique de l'apparence" de la compagnie, qui stipule que les employés doivent "maintenir un niveau de style et de présentation » correspondant " à l'image de la marque." Le règlement souligne également la nécessité d'avoir des ongles propres et présentables, une coupe de cheveux classique et un maquillage frais et naturel. Il contient également des exigences concernant le vernis à ongles pour les pieds, la pilosité et les tatouages.

En réponse à d'autres poursuites dont la marque a fait l'objet ces dernières années, Abercrombie a été forcé de faire des exceptions pour raisons religieuses dans sa politique de l'apparence.

Politique qui, d'après Richard Cohen, un avocat du droit du travail, ne va pas forcément à l'encontre de la loi.

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"La politique de l'apparence [d'Abercrombie] stipule la nécessité d'avoir un look "bon chic bon genre", ce qui ne constitue pas en soi une discrimination," a expliqué Cohen, lors d'un entretien avec VICE News. D'après Cohen, les problèmes surviennent au moment de l'application de ces principes. La politique de l'apparence devient discriminatoire lorsqu'elle s'applique à une personne portant soit un voile, soit une croix autour du cou. C'est là que l'exception pour raisons religieuses entre en jeu.

Même si Cooke atteste avoir reconnu que le voile porté par Elauf constituait un acte religieux, toutes les parties s'accordent sur le fait qu'Elauf n'a jamais été explicite lors de l'entretien, et n'a pas demandé de dispense religieuse.

C'est sur cette absence de demande que se base la décision prise en avril par le 10ème circuit de la Cour d'Appel des États-Unis: la "politique de l'apparence" et la capacité d'Abercrombie à maintenir une image soignée sont impératifs à la bonne santé de la marque. Le juge souligne le fait que la jeune fille n'avait pas réclamé elle-même de dispense religieuse. Ce jugement conteste la décision d'un autre tribunal qui avait pris le parti d'Elauf.

Le jugement dit : "Mlle Elauf n'a a aucun moment durant le processus d'embauche informé Abercrombie qu'elle portait un voile ou "hijab" pour des raisons religieuses, et qu'étant donné le conflit entre cette pratique et la politique vestimentaire d'Abercrombie, elle aurait donc besoin d'une dispense pour pouvoir continuer cette pratique."

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Cette décision s'aligne sur les arguments présentés par Abercrombie, société établie à Columbus, dans l'état de l'Ohio. Les avocats de la compagnie ont déclaré: "Il est incontestable que Samantha Elauf n'a pas informé Abercrombie que ses croyances religieuses exigeaient le port du voile sur le lieu de travail. Il est évident qu'un employeur doit être informé que les obligations religieuses d'un candidat pourraient entrer en conflit avec les exigences du règlement."

Pour sa part, l'EEOC soutient que "Déclarer qu'un employeur peut pratiquer la discrimination envers un candidat ou un employé à cause de pratiques supposées religieuses, à partir du moment où l'employeur n'a pas "connaissance effective " de la nécessité d'une dispense religieuse…Cela ouvre la porte à la discrimination religieuse."

D'après Cohen, si la Cour Suprême décide de se prononcer sur un aspect isolé de cette affaire, elle se penchera sur la notion du préavis. Est-ce que, oui ou non, le simple port du voile suffit à déterminer qu'Elauf a besoin d'une dispense religieuse. Elle pourrait également décider de valider l'arrêt de la cour inférieure, qui dit qu'Elauf n'a pas informé la compagnie de ses obligations religieuses. Dans ce cas, la décision porterait seulement sur la question de la demande explicite d'exception religieuse, et non sur la question plus large de la politique de l'apparence.

"Si c'est ça l'argument, ils gagneront le procès," a expliqué Cohen. Dans ce cas, il n'y aurait ni changement, ni validation de la politique de l'apparence de la marque.

Cohen a déclaré que s'il représentait la compagnie, il viserait une décision plus globale de la justice. Son raisonnement est le suivant: si la cour se prononce en faveur de la politique de l'apparence de la compagnie, toute débat sera évité à l'avenir. Et si au contraire, la cour se range du côté de la plaignante, la politique de l'apparence aura un cadre d'application.

Suivez Kayla Ruble sur Twitter: @RubleKB

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