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Music

Cheveux au vent et mors aux dents, M-O-R-S-E surfe sur son spleen en 56k

Un excellent premier album de petit cul souffreteux « en PLS sous la couette », qu'on écoute en entier avant sa sortie vendredi sur le label Cindys Tapes.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR

Le dénommé M-O-R-S-E fut un temps rattaché à l’internet wave, vraie fausse scène plus ou moins blaguée puis reprise telle quelle par des journalistes paresseux (on s'inclut dedans) pour parler d'une poignée de nouveaux artistes français un peu plus excitants que le tout-venant. S'ils se démarquaient les uns des autres par des horizons éclatés et des univers variés, ils partageaient tout de même une sorte de dénominateur commun, coincé entre une esthétique 90’s raclée des fonds de tiroir et des délires de beaux-arteux qui regardent le monde en 140p.

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Trap, imagerie hardtune, witch house, tropes noise, auto-tune glitchée : tous se tiraient la bourre sur n i g h t f a l l c o l l e c t i o n, mixtape mastoc de 43 titres sortie par M-O-R-S-E en 2016, et qui réunissait des talents aussi divers que Coucou Chloé, King Doudou, TG Gondard, ou encore l’Anglaise Lauren Ader. Et vu l’aspect monstre-somme du projet (toujours en téléchargement libre à cette adresse pour ceux que ça intéresse), on comprend que son instigateur ait pu représenter le point d’ancrage d’une scène à laquelle on a forcément envie de se ressourcer lorsqu’on est un peu friand de frissons nouveaux. C’est ce qu’a fait le mainstream historiquement d’ailleurs, en allant vampiriser les undergrounds de tous genres (David Bowie, au hasard, en fut l'un des exemples les plus frappants) pour les amener vers des contrées plus seyantes, aplanies et assimilables pour le grand public.

Il est donc assez curieux et intéressant de voir que M-O-R-S-E fasse aujourd’hui tout l’inverse sur son premier véritable album : comme s'il cherchait à se bouffer (ou à se «normaliser ») lui-même au lieu de se radicaliser, il choisit de s'emparer frontalement, « jusqu’à la déraison » (comme il le dit sur un de ses nouveaux morceaux), de ses fantasmes de pop sirupeuse en les plongeant dans le bain grailleux de la chanson d’amour. En s’appuyant visiblement sur une rupture compliquée qui aura achevé de transformer son petit cœur en éponge sentimentale qui n’en finit plus de s’égoutter, et en voulant sans doute plus ou moins consciemment s’émanciper des cases dans lesquelles on a voulu le ranger, M-O-R-S-E nous dit que c’est seulement en se vautrant dans des formes impures et dégoulinantes qu’on pourra vraiment traiter d’un sentiment aussi avilissant que celui de se faire larguer.

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Du coup, passés les premiers pouffements de rire et le relatif effroi ressenti face à des paroles aussi peu gênées d’être gênantes que « danser avec toi, te regarder droit les yeux, mettre ma main dans tes cheveux », le disque se révèle bien plus prégnant qu’il n’y parait, grâce notamment à une instrumentation soignée (accords en mode mineur, mellotron doucereux) et un premier degré tellement assumé qu’il en devient assuré. Et rassurant : alors qu'on n’a tellement plus affaire aujourd’hui qu’à autre chose qu’une ironie commode et arrangeante pour tout le monde, une telle foi dans son matériau crée automatiquement un appel d’air dans les mornes plaines de la pop française. Alors certes, le disque est parfois franchement pénible, ses coutures trop saillantes (la reprise d’« Elle a les yeux revolver », ou le morceau chanté en italien, là – on a compris que t’avais envie de t’amuser avec le gros caca de la variétoche qui tache, c’était pas la peine de le surligner quinze fois au stabilo rose fluo, mec), mais à son écoute, on se prend parfois à rêver d’un vrai bel horizon pour une variété de chez nous dont on n’aurait enfin plus à rougir, sans le filtre ORTF des uns, ni les airs de petits malins des autres.

Le premier album de M-O-R-S-E, Apathique, sort vendredi chez Cindys Tapes. Il s'écoute juste au-dessus et peut se commander ici.

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