David Bellion : job atypique pour footballeur atypique
Photo Louis Canadas / horace.co

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David Bellion : job atypique pour footballeur atypique

Après avoir achevé sa carrière au Red Star, l'ancien attaquant de Manchester et de Bordeaux occupe aujourd'hui le poste de directeur créatif du club audonien. Un poste unique dans le foot français.

VICE France et le Red Star se sont associés pour suivre la saison des Vert et Blanc de Saint-Ouen sur et hors des terrains, auprès des joueurs, du staff, des supporters et de tous ceux qui gravitent autour de ce club historique du foot français. Aujourd'hui, on vous parle de David Bellion, ancien joueur du Red Star, qui occupe un poste unique dans le foot français.


Quand un ancien footballeur reste dans un club après l'annonce de sa retraite, ce sont souvent les mêmes choix de reconversion qui s'offrent à lui : entraîneur des jeunes, entraîneur adjoint, voire recruteur. Pour David Bellion et le Red Star, ce fut différent : c'est lui qui s'est créé son poste de directeur créatif. Un intitulé intriguant, sauf quand on connaît toute l'histoire. Retour en arrière.

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Nous sommes en janvier 2014. En visite à Paris pour assister à la Fashion Week, l'attaquant, alors aux Girondins de Bordeaux, reçoit un appel de son ami Benjamin Eymère, directeur des Editions Jalou. Les deux se sont rencontrés quelques années plus tôt, un peu par hasard, dans un salon de thé parisien, réunis par leurs passions du foot et de la mode. Ce week-end-là, le directeur des magazines L'Officiel et L'Optimum invite Bellion à rencontrer une autre rare personnalité du football qui fréquente ces deux milieux : le président du Red Star Patrice Haddad.

Photo Marwan Shousher / shousherphotos.com

À l'époque, l'attaquant des Girondins se cherche un avenir : le ballon l'amuse un peu moins, son contrat se termine à la fin de la saison et il pense déjà à sa prochaine reconversion, à 30 ans à peine. Les mois précédents, il s'imaginait rouler en skate dans les rues de New York et enfiler la tunique du Cosmos le week-end, mais ça ne s'est pas fait. Entre alors Patrice Haddad, qui lui expose ses ambitions pour le Red Star. Pour Bellion, c'est l'occasion de revenir à Paris, là où se trouve une grande partie de sa famille et de ses amis, et là où il pourra s'adonner aux nombreuses passions cultivées au fil de sa carrière : la mode, l'art, la photographie, la musique… Exit les propositions de clubs chinois ou de promus de Ligue 1, l'ancien attaquant de Manchester United signe en National à l'été 2014.

« Ça a peut-être été la saison la plus exceptionnelle de ma carrière », raconte aujourd'hui le directeur créatif du Red Star autour d'une pizza dans un café italien du Marais. Une ambiance de potes comme il n'en avait pas connu depuis la saison du titre avec Bordeaux avec, au bout, la montée en Ligue 2. Des pépins physiques l'obligeront à se retirer des terrains à la fin de l'exercice, mais Bellion ne vivra pas "la petite mort" dont souffrent souvent les jeunes retraités du football : il avait déjà commencé à travailler sur son après-carrière. « Après l'entraînement, on se voyait avec le président, on cherchait des sponsors ou on trouvait des idées pour le Red Star Lab (une série d'ateliers pédagogiques alliant sport et culture à destination des jeunes, ndlr) »,explique-t-il.

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Cette idée de mêler culture et football, elle lui est venue au fil des saisons dans des équipes où selon lui « on ne faisait pas assez pour valoriser l'image du club ». Au départ, ce sont les partenariats entre clubs et maisons de couture qui lui mettent la puce à l'oreille. « C'est là que je me suis dit qu'il était possible de mettre en place ce genre de choses, quand Dolce & Gabanna a fait sa campagne avec les joueurs du Milan AC en 2004 par exemple. » Sa première incursion dans le monde de la culture survient en 2009, quand le magazine masculin L'Optimum lui demande un reportage photo dans les coulisses des Girondins de Bordeaux, alors tout juste sacrés champions. Il montre l'envers du décor d'une saison compliquée : champion d'automne fin 2009, le club s'effondre en deuxième partie de championnat et termine sixième. Au final, huit pages de reportage seront publiées dans le magazine de juin 2010.

David Bellion sous les couleurs du Red Star et entouré de Naïm Sliti (de dos), de Florian Makhedjouf (de face) et de Danislon Da Cruz (caché).

Depuis deux saisons, c'est donc le poste atypique de directeur créatif/brand manager qu'occupe David Bellion au sein du Red Star. Un poste atypique car inexistant dans la plupart des clubs de football, et encore moins à ce niveau. Son boulot : créer des ponts entre les mondes de la mode, de la musique, du design ou de la photo, et celui du football, tout en restant fidèle à l'histoire du club. Dans les premiers partenariats mis en place, on retrouve ainsi une collaboration avec la marque parisienne de streetwear Racket, pour les 120 ans du club, ou avec la webradio Hotel Radio Paris qui assure la direction musicale des avant-matches au stade Bauer.

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Faire connaître le Red Star en dehors de ses résultats sur le terrain est un challenge de longue date pour le club audonien. En 2015, dans une interview au Parisien, Jérôme Neveu, spécialiste du marketing sportif, estimait ainsi qu'il y avait de la place pour un deuxième club populaire à Paris, et que le Red Star était le mieux placé en termes de valeur marketing. « Le club possède un fond de marque très fort qui lui permet de traduire un potentiel économique important, expliquait ainsi Jérôme Neveu. Son problème est de grandir sans perdre son âme. » Voilà tout le travail de David Bellion, qui garde toujours en tête la genèse du Red Star dans un café du 7e arrondissement et les valeurs de mixité sociale voulues par Jules Rimet.

« Comprendre, incarner et développer : j'ai trouvé la bonne personne avec David qui a toujours été un OVNI dans le monde du football, raconte son président Patrice Haddad. Il s'est approprié l'identité du club pour l'ouvrir. On ne veut pas changer le Red Star, mais la banlieue et la ville ont changé et on doit nous aussi évoluer. » Pour remplir Bauer, l'idée est donc de ramener à la fois les habitants de Seine-Saint-Denis et les jeunes actifs et étudiants parisiens. « Le but, ce n'est pas de faire de la thune, rappelle toutefois Bellion. C'est de faire connaître ce club qui reste un peu mystérieux pour beaucoup de monde. » Pour cela, le Red Star veut se présenter comme le club alternatif de la capitale. Son directeur créatif l'a même théorisé ainsi lors de l'émission L'Œil du tigre sur France Inter : « Le PSG est un blockbuster, le Red Star est un film d'auteur. »

Quitte à froisser quelques supporters, qui ne se reconnaissent pas vraiment dans l'image plus branchée voulue par la direction. Certains déclarent comprendre que le développement du Red Star passe par là et attendent de voir ce que ça va donner : à l'instar de Sankt Pauli en Allemagne, ces clubs tentent d'allier leur forte identité populaire aux obligations marketing du football moderne. Bellion est allé à la rencontre des supporters pour avoir leur avis. Leurs principales requêtes : qu'on ne touche pas à ce que représente le Red Star, à son histoire, son ancrage territorial et aux différentes initiatives sociales, menées par les supporters notamment. Le symbole de ce football authentique, aux antipodes du « football moderne » tant décrié, est l'historique merguez-frites de la buvette de Bauer, qui doit perdurer.

David Bellion a en tout cas bien compris le message, mais veut aussi proposer autre chose : « Je ne base pas ma vision du club sur un type de supporter en particulier. Les supporters traditionnels viendront pour voir le match, mais on peut aussi imaginer d'autres personnes qui ne connaissent pas trop le foot, et qui veulent assister à un match avec leurs enfants par exemple, ou pour accompagner des potes. Ils auront du bon son, le merguez-frites, mais aussi de la street-food de qualité à côté. Mon boulot, c'est de faire du match du vendredi soir un divertissement agréable pour tous, de ramener des spectateurs par d'autres biais. » Et peut-être alors, de convertir d'autres habitants de la région parisienne au Red Star et à son histoire, une fois calés en tribune Rino Della Negra.