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Photos Robin Jafflin pour VICE FR
Food

La chevauchée des vendangeurs suisses

Dans le canton suisse du Valais, les vignes et les Alpes ne font qu’un. Monorail, hélico ou funiculaire, on est allé voir à quoi ressemblaient ces vendanges de l’extrême.

Aux premières heures du jour, une lumière dorée vient caresser les sommets entourant le vignoble de Fully. Petit à petit, chaque parcelle est à son tour baignée par un faisceau intense et chaud. Pas un bruit, seule une brise légère vient caresser mes oreilles. Rien ne vient perturber ce silence presque religieux, quand tout à coup un bruit de moteur se fait entendre. Il est 8 heures et la vigne s'éveille à l'arrivée des viticulteurs. Sur ces pentes frôlant parfois l’angle droit, s’étalant entre 400 et 900 mètres d’altitude, le début du mois d’octobre est synonyme de vendanges pour les quelques dizaines de producteurs du vignoble. Gérard Dorsaz me fait faire le tour du coin.

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A bord de son 4x4, le président de l'appellation Fully me trimballe le long des coteaux, empruntant des chemins où la limite entre la route et la pente est parfois à peine perceptible. Il me décrit avec passion le terroir local, non sans un très fort accent valaisan, à mi-chemin entre l’alsacien et le québécois. « Ce qui fait notre richesse ici, c’est le terrain en granit et notre microclimat extraordinaire ». Coincé entre les glaciers, surplombé par les Alpes et longeant les prémices du Rhône, le vignoble se trouve dans ce qui ressemblerait à une oasis helvète.

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Gérard Dorsaz observant ses parcelles.

Au loin, on peut entendre des hélicoptères se rapprochant peu à peu du vignoble. A partir de 16 heures, les voyages se font de plus en plus nombreux. Car Gérard est de ceux qui sortent leur vendange par les airs. « C’est cher, certes, mais ça nous fait gagner un temps précieux, reconnaît-il, imagine toi devoir descendre 650 kilos de raisins à la main. Il faut que l’équipe tienne le mois de vendanges ». C’est dans un brouhaha sans nom, dans la poussière et les feuilles qui tournoient autour des pales de l’appareil, qu’un opérateur sors de l’engin, tel Robert Duvall dans une rizière. Un second en sort. Gérard le prend avec lui pour l’emmener dans les vignes, là où se trouvent les cuves à transporter. Zigzagant entre les différents câbles et les aspérités du terrain, l’hélicoptère vient se positionner pile au-dessus de l’opérateur. En deux minutes à peine, la cuve est en l’air et descendue sur l’air de stationnement en contrebas. Cinq minutes auront suffit pour déplacer presque deux tonnes. « Tu vois, je te l’avais dit on gagne un temps de fou », me lance le viticulteur depuis son 4x4.

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Le neveu de Jean-Michel, venu toute la semaine aider dans les vignes remonte les grappes à l'aide d'une chenillette.

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Le neveu de Jean-Michel.

Devant chaque parcelle, Gérard me cite un à un les principaux cépages travaillés dans le coin. Au total ce ne sont pas moins de 64 cépages qui sont cultivés sur un peu plus de 300 hectares. Si les Gamay, Syrah, pour les rouges ou les Chasselas, Sylvaner ou encore l’Ermitage [ici de la Marsanne ndlr], pour les blancs représentent plus de 85% de la production locale, ce qui fait l’originalité des vins de Fully ce sont ses cépages autochtones : la Petite Arvine, un cépage blanc, l’Humagne ou encore le Cornalin qui eux sont du rouge.

Tout autour de nous, des petits groupes s’agitent dans les rangs de vigne. Je retrouve alors Jean-Michel Dorsaz et sa femme, Bettina – la moitié du village s’appelle Dorsaz, un nom à priori typique du cru. Depuis 1995, il gère le domaine familial créé en 1945 par son grand-père. Pour accéder à ses parcelles il n’y a qu’un seul moyen : le monorail. Installé par son père dans les années 70, il permet de descendre et de remonter le matériel ou la vendange, sans « user le personnel ». Ses vignes sont tellement difficiles d’accès, qu’il est obligé de les traiter par hélicoptère ou par drone. « C’est cher –0,75 francs suisses du m²–, mais ça me fait gagner énormément de temps et ça reste très efficace », justifie Jean-Michel. Avant de redescendre chercher des caissettes pour remonter le raisin, Jean-Michel me présente à son neveu, Fabien, celui qui conduira toute la journée le monorail. Une fois les présentations faites, je descends avec lui dans ce qui ressemble à un Space Mountain helvète, la sécurité et la vitesse en moins.

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Vue depuis le space mountain helvète (le monorail de Jean-Michel).

Arrivés en bas, nous retrouvons Bettina et son équipe de vendangeurs. Ici on vendange en famille, entre amis ou avec les employés présents à l’année. Pendant que Fabien enchaîne les allers-retours sur son train de la mine, Raoul fait le lien entre les vendangeurs et le monorail. Chaque caissette de raisin pèse une bonne dizaine de kilos et les porter à bout de bras dans la pente, qu’elle soit ascendante ou descendante, est crevant. En une journée, c’est plus de 200 caissettes qui seront remontées. « Je ne sais pas si on aura assez de cuverie », reconnaît Jean-Michel. Les pressées s’enchaînent. Pendant que le vieux pressoir pneumatique abat son oeuvre, le vigneron, ou éleveur comme on dit ici, multiplie les allers-retours entre son chai et ses vignes pour redescendre le raisin. Le rythme est intense.

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Une cuve contenant plus de 600kg de raisin, remontée par hélicoptère.

Taulard en cuisine

La journée touche à sa fin. Le soleil vient finir sa course sur les sommets des Alpes voisines. Les neiges éternelles se transforment doucement en une coulée dorée se reflétant sur les coteaux du vignoble, déjà luisants. C’est à cet instant que je retrouve Gérard. è Viens c’est l’heure de goûter », me lance-t-il, un sourire en coin. A l’instar de Jean-Michel pour qui « il est l’heure de l’apéro dès que l’horloge affiche deux chiffres », le verre de pinard de fin de journée est une religion. La Suisse consomme à elle seule la quasi totalité de la production nationale. Cette dernière représente pourtant à peine 35% du vin bu par les helvètes. « La concurrence étrangère, italienne en tête, nous fait du mal. Ils sont moins chers », regrette Gérard. Pour lui, la Suisse manque encore de renommée. « En France, les viticulteurs sont respectés. Nous, en Suisse, on est considérés comme des culs terreux ». Malgré cette méconnaissance des vins helvètes par le grand public, quelques professionnels de la haute gastronomie semblent avoir jeté leur dévolue sur un des cépages phare de Fully : la Petite Arvine.

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Une cuve arrive par hélicoptère sur la remorque qui la mènera au chai de Gérard Dorsaz.

A la carte de Guy Savoy ou encore d’Anne Sophie Pic, la Petite Arvine de Gérard commence à percer dans le game de la bonne bouffe. « Nos vins deviennent des vins de sommeliers. S’ils nous en commandent deux cartons par an c’est déjà pas mal », regrette-il. Alors que nous goûtons ses vins, un truc me fascine subitement chez lui : il observe chacune de mes réactions comme un artiste présentant son oeuvre à un collectionneur. Cette attitude peut-être anodine, traduit à merveille l’état d’esprit de Gérard. Sensible, passionné, cherchant sans cesse la justesse afin d’obtenir un vin « tendu », comme il aime à dire.

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