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Music

Arctic Monkeys en ont ras-le-bol d'être les sauveurs du rock

Tant mieux, d'ailleurs : le groupe respire enfin sur son nouvel album, « Tranquility Base Hotel & Casino ».

Pour un groupe qualifié de sauveur-du-rock britannique à chaque fois qu'il sort un nouvel album, Arctic Monkeys a toujours entretenu un rapport plutôt dispersé à la chose rock. Depuis ses débuts il y a douze ans, le groupe est passé de l’indie punk nerveux aux riffs sombres et empesés d'AM (2013), avec des détours par le desert rock paranoïaque et la pop psyché. Il y a toujours eu des guitares, des riffs, mais Arctic Monkeys n'a jamais été du genre à choisir un son et à s’y tenir ; leur esthétique a toujours été dépendante du bon vouloir de leur leader Alex Turner, qu’il campe le rôle d’une rock star alcoolique et déprimée sur AM, d’un jeune provincial aux hormones en ébullition sur leurs deux premiers albums, ou d’un romantique fleur bleue sur Suck It and See.

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Le groupe a toujours ainsi opté pour un modus operandi à la fois changeant mais somme toute assez bon élève ; une sorte de Bowie sans le trouble, gardant du grand caméléon l'art de l'emprunt et de la citation, mais sans véritable génie ni transcendance. Avec, en outre, une force de frappe toujours plus décroissante : AM, avec sa marche forcée de rock de sénateur et sa manière de faire du Black Sabbath en mollesse, semblait ainsi s'éloigner pour toujours de la fougue acnéico-libidinale du début. Laquelle, si elle ne révolutionnait rien dans la forme, portait au moins en elle l'impatience de sa jeunesse.

Pour la première fois, sur Tranquility Base Hotel & Casino, leur sixième album et le premier en cinq ans, Arctic Monkeys s'éloigne non seulement des riffs de stade et des mélodies pop (au profit d’un son plus étrange, plus étriqué, presque inhospitalier), et le fait avec une grâce renouvelée, qu'on qualifiera, faute de mieux, de crépusculaire. Comme si le groupe avait pour de bon laissé tomber l'affaire du rock, étant de toute façon arrivé un poil trop tard sur le circuit et ne goutant que les miettes (mais en raflant la mise au niveau des pépettes) des derniers soubresauts romantiques - Libertines et consorts - du rock britannique des années 2000.

Alex Turner, pour peu que sa persona se soit caricaturée elle-même jusqu'à l'outrance au fil des années, passant du portraitiste aigu mais en retrait de la jeunesse banlieusarde de Sheffield à une parodie de rockstar-ambassadeur sur le retour (un costume qu'il a toujours porté gauchement), a toujours eu l'air de s'en désoler. Aujourd'hui, la trentaine bien entamée, il laisse tomber ses costumes successifs accumulés au fil des années, non pas pour nous parler tout nu (ce serait embarrassant pour tout le monde), mais pour nous montrer qu'il flotte comme un fantôme dans une garde-robe trop grande pour lui, condamné pour toujours à sentir le parfum de grand-maman. La différence, c'est qu'il semble désormais suffisamment blindé pour l'admettre ouvertement et s'en amuser.

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Certes, le Tranquility Base Hotel & Casino n'est qu'un fantasme de plus, une galerie des ambitions avortées et des espoirs perdus de Turner qui tient toujours autant à l'exercice de style que d'ordinaire, mais l'homme nous fait visiter son allée des débauches fatiguées avec la prestance dégingandée du guide qui n'en a plus rien à foutre, allant même jusqu'à arborer un abominable bouc. Ce qui a le mérite de rendre la chose, sinon légère, tout du moins assez plaisante à regarder.

Dès le premier titre de ce nouvel album, le superbe « Star Treatment » qui doit autant à Jean Constantin qu'à la pop de chambre des années 70, Turner commence ainsi : « Je voulais juste être l'un des Strokes. Maintenant, regardez le bordel que vous m'avez fait faire. » Cette version de Turner est une affreuse caricature – celle d’un playboy en sale forme, d’une star vieillissante qui quitte la lumière des projecteurs, aigrie par des années de gloire dont elle se serait bien passée. Les chœurs haut perchés des albums précédents sont toujours là, mais avec la voix mouvante de Turner, le morceau s’apparente plus à de la muzak qu’à de la musique.

Pourtant, le côté Huit et Demi pour les Nuls de Turner est sans doute son plus intéressant. Les temps forts de l'album le plongent pleinement dans ce nouveau personnage de Mastroianni taille enfant, peut-être celui qu'il a le mieux incarné jusqu'à présent : il s’adonne à la rêverie sur « One Point Perspective », médite sur sa carrière et perd le fil de ses pensées, avant de chuchoter « Je fantasme sur toi » d’un souffle qu'on imagine plutôt chargé sur « Golden Trunks ». La plupart des morceaux s’articulent plus ou moins autour d'un motif répétitif (le riff central menaçant de « Golden Trunks » ou les légers tintements de piano de « One Point Perspective »), donnant lieu à une notion du temps étrange et déformée ; beaucoup de ces morceaux n'ont pas de hook, mais fonctionnent malgré tout, leur attrait se prolongeant au fur et à mesure d'une écoute répétée.

Surtout, les talents indéniables de Turner au niveau du songwriting peuvent enfin surnager au-dessus d'une personnalité tête à claque, qu'il a trop longtemps laissée phagocyter sa musique. Et même si une forme de technophobie aussi passionnante que chez Arcade Fire (c'est-à-dire aucunement) vient un peu parasiter certains morceaux, on se dit qu'une grosse dépression était peut-être la meilleure chose qui pouvait arriver à Turner. Au moins pour qu'il arrête un peu de faire le malin.

Le nouvel album d'Arctic Monkeys, Tranquility Base Hotel & Casino, est sorti le 11 mai sur Domino.

Shaad D'Souza est sur Noisey.
Marc-Aurèle Baly aussi.