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Santé

Avec les gens qui pensent que le tabac est bon pour la santé

« C’est peut-être contraire à tout ce qu'on vous a dit jusqu'à maintenant, mais comme pour tout, on vous ment. »
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Avec les gens qui pensent que le tabac est bon pour la santé

Dans une vidéo publiée sur Facebook l'année dernière, un type du nom de Joey Rocha explique, depuis son salon en désordre, que la fumée de tabac ne cause pas le cancer. « Le tabac est bon pour vous, affirme-t-il tandis qu'un bébé se trémousse dans une chaise haute derrière lui. C’est peut-être contraire à tout ce qu'on vous a dit jusqu'à maintenant, mais comme pour tout, on vous ment. »

Dans la vidéo de trois minutes, qui compte actuellement moins de 1 000 vues, Rocha affirme que la nicotine améliore les performances et que les filtres des cigarettes sont les véritables agents cancérigènes. C’est une affirmation farfelue, qu’il soutient avec des preuves incroyablement minces, mais pour Joey, vloggeur passionné de la terre plate, tout cela est très à-propos. Parce qu’il fait partie d’un sous-ensembles de théoriciens du complot qui prétendent que les effets néfastes du tabac sur la santé sont surestimés, voire potentiellement fictifs.

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Des livres, des articles, des blogs et même une conférence de 2009 montrent à quel point le mouvement est étonnamment bien organisé. Des personnalités publiques, telles que John Mcafee, fondateur du logiciel antivirus Mcafee, et le député européen Nigel Farage ont également exprimé publiquement leurs doutes quant au lien entre le tabac et la maladie. De plus, la communauté évoque souvent Ian Dunbar, un médecin britannique qui a publié deux livres et plusieurs vidéos sur YouTube dans lesquels il affirme que « fumer devrait être autorisé partout, mais les préjugés culturels totalitaires – un état d’esprit proche du racisme – l’interdisent ».

Le tabac est reconnu comme étant dangereux depuis 1950, lorsque l’épidémiologiste britannique Richard Doll a publié la première étude concluante reliant le tabagisme au cancer du poumon. Depuis, de nombreuses études ont révélé à maintes reprises que les poumons humains n'ont tout simplement pas évolué de sorte à permettre l'inhalation régulière de fumée. Il y a toujours eu des sceptiques, mais ils étaient généralement des employés de l’industrie du tabac et non de simples citoyens n’ayant rien à gagner comme Joey Rocha.

La théorie adoptée par Joey et ses pairs est plus nuancée que le simple « tabac est bon ». Le groupe affirme que les dangers du tabac sont surestimés, alors que ses avantages médicinaux sont sous-représentés. Et ce qui est intéressant, c'est que l'argument n'est pas totalement sans fondement.

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En 2003, une étude approfondie réalisée en Californie a révélé que le lien entre le tabagisme passif et la maladie était plus faible qu’on ne le supposait à l’origine. D’autres études ont également suggéré que le tabac et sa nicotine, un alcaloïde, pourraient offrir des avantages potentiels, comme cette méta-analyse de 2015 qui a révélé que les fumeurs sont moins susceptibles de contracter la maladie de Parkinson.

Il est important de noter, cependant, que de telles études ne prouvent pas que le tabac est sans danger, et que de légers avantages pour la santé ne compensent pas les coûts. Mais selon Richard White, 32 ans, auteur de Smoke Screens : The Truth Behind Tobacco, ces découvertes éclairent la politisation de la question. « Ce n’est pas une théorie du complot, dit-il. Il ne faut pas chercher bien loin pour voir qu'il y a beaucoup de manœuvres politiques ici. »

Dans le monde des théories du complot Richard est une figure inhabituelle. Il est d’apparence calme et impartiale, étaye ses affirmations par des articles et des études. Mais d’un autre côté, ce n’est pas un scientifique, mais un type ordinaire travaillant dans le marketing. Il dit avoir décidé d'écrire le livre après avoir compilé des recherches à la suite du diagnostic de cancer de sa grand-mère. Et étonnamment, il a cessé de fumer depuis la publication du livre. Mais alors que Richard se démarque de l'étiquette de conspirateur – il se présente non pas comme un pro-fumeur, mais comme « quelqu'un motivé par la vérité – et soutient que toutes les questions n'ont pas reçu de réponse.

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« Les non-fumeurs sont tellement agressifs. Je n’ai pas besoin, à mon âge, de quelqu’un pour m’apprendre ce qui est bien ou mal » – Olga Glišić, 55 ans et fumeuse depuis 38 ans

« Le mot "provoquer" est très catégorique, dit-il. Certes, on peut voir les effets du tabagisme, notamment la toux du fumeur… Il y a des indicateurs, mais cela ne signifie pas nécessairement que le tabac provoque le cancer. »

Richard affirme que les médecins ont un préjugé inhérent dans le traitement des fumeurs, et que des rats et des souris génétiquement prédisposés au cancer sont utilisés pour produire les résultats souhaités, parce que les lobbyistes de l’industrie pharmaceutique ont une grande influence sur la communauté scientifique.

« Ce qui m’importe, bien sûr, c’est la vérité. mais il doit y avoir intégrité là-bas. Il est important que nous puissions faire confiance à la science et à ceux qui financent le secteur. Nous avons besoin de transparence », affirme Richard.

Comme on pouvait s'y attendre, le scepticisme de Richard se heurte à l’exaspération des médecins. « La fumée de cigarette contient beaucoup de substances cancérigènes. Grâce à de nombreuses études, nous savons que ces substances provoquent des mutations de l'ADN visibles dans les gènes associés au développement du cancer », explique le Dr Stephen Hecht.

Stephen est professeur au département de médecine de laboratoire et de pathologie de l’université du Minnesota. Il explique que bien que le cancer ne survienne que chez 20 % des fumeurs, nous ne devons pas ignorer le fait que les fumeurs ont 20 fois plus de risques de développer un cancer du poumon. En outre, il fait valoir que même si certaines études présentent des données contradictoires, cela ne signifie pas qu’elles les réfutent. « Fumer n’a que des conséquences négatives, dit-il. Ne craquez pas. »

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Des conséquences négatives, mais peut-être pas fatales. C’est précisément ce manque de certitude qui est au cœur du mouvement en faveur du tabagisme. Étant donné que des campagnes antitabac aux images violentes sont utilisées comme prétexte pour augmenter les prix du tabac et imposer des règles de vente, chaque fumeur qui ne meurt pas crée le doute.

« Je pense que le tabac en lui-même n'est pas nocif… mais je sais aussi que les entreprises de tabac mettent certains ingrédients dans leurs produits pour créer une dépendance », déclare Olga Glišić, une Serbe de 55 ans qui fume depuis 38 ans.

Olga tire sa conclusion de son expérience personnelle. Tous ses proches fument. Pourtant, aucun d'entre eux n'est malade. Même son fils est en parfaite santé, malgré le fait qu'Olga a fumé tout au long de sa grossesse. Un témoignage qui apporte de l'eau au moulin de ceux qui doutent du jugement des experts. Dans un commentaire qui n'a rien à voir avec le sujet, Olga mentionne sa réticence à s’entourer de non-fumeurs : « Les non-fumeurs sont tellement agressifs. Je n’ai pas besoin, à mon âge, de quelqu’un pour m’apprendre ce qui est bien ou mal. »

Cette notion selon laquelle l'expérience personnelle et les émotions l'emportent sur les propos d'un expert semble être la pierre angulaire de la communauté favorable au tabagisme, à l'instar de nombreux autres groupes partisans d’une théorie du complot. Étant donné que nous vivons à l'ère de la post-vérité où tout est affaire d’opinion, il n’est peut-être pas si surprenant qu'il y ait aussi des gens qui défendent le tabagisme, même s'il est toxique pour le corps. C'est profondément tragique. Comme pour le changement climatique, l'immigration et la vaccination, des millions de vies sont en jeu.

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