La B. O. de « Pretty In Pink » a ouvert la voie à la révolution prolétarienne (rien que ça)
Image tirée de « Pretty In Pink » d'Howard Deutch, 1986

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Noisey

La B. O. de « Pretty In Pink » a ouvert la voie à la révolution prolétarienne (rien que ça)

Son message est clair : il n'existe pas d'autre guerre que la guerre des classes.

Cet article, initialement publié sur Noisey UK, est diffusé dans le cadre du festival Smells Like Teen Spirit, qui se tient à partir du samedi 28 octobre au Grand Action, à Paris.

Le début des années 1980 a connu une pléthore de bons singles pop. Vers le milieu de la décennie, en revanche, la qualité s'est mise à décliner. Les mecs de Duran Duran ont sombré dans la cocaïne, le hair metal a joui d'une hégémonie et Madonna s'est lancée dans des projets plus matures et moins déconneurs. Il y a bien sûr eu deux-trois exceptions, mais cette période a été, de manière générale, un interrègne d'ennui béant.

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Parmi cette foule de morceaux insipides, une chose s'est toutefois démarquée : la bande originale de Pretty In Pink. Âgé de 13 ans à l'époque, je cherchais désespérément quelque chose d'intelligent, de substantiel, de jeune et d'un peu plus cool qu'Howard Jones. Et la bande originale du film, produite par John Hughes et inspirée de la chanson éponyme des Psychedelic Furs, a pleinement répondu à mes attentes. Je ne le savais pas encore, mais mes goûts musicaux étaient sur le point de changer radicalement – au même titre que mes opinions politiques.

Les Psychedelic Furs, pour ceux qui ne connaîtraient pas, ne sont pas psychédéliques pour un sou. Formé par les frères Butler en 1977, le groupe de rock londonien a fait son entrée sur une scène rétrospectivement qualifiée de post-punk. Le chanteur à la voix éraillée, Richard Butler, ressemblait à un mélange de Bowie et Johnny Rotten – j'en suis tombé profondément amoureux. La version originale de « Pretty In Pink » est finalement sortie en 1981 sur l'album Talk Talk Talk et, si elle était similaire à la version OST, elle était encore plus sordide.

Les membres du groupe étaient tout de cuir vêtus, émaciés tels des lévriers aux crinières sauvages. La plupart des autres groupes présents sur la bande originale avaient non seulement de bons morceaux, mais aussi de bons looks. Les membres de New Order, avec le titre « Shell-Shock » au sujet de l'aliénation, semblaient tout droit sortis de la bande à Baader. Les Echo and the Bunnymen étaient maigres, rasés de près ; ils avaient des chevelures abondantes et chantaient des inepties sur le fait d'amener les chevaux dansants « sans tête et tous seuls ». Mais qu'est-ce que cela pouvait bien vouloir dire ? Ces groupes m'ont appris quelque chose sur ma vie, ce que Kenny Loggins avait échoué à faire.

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Hughes a écrit et produit Pretty in Pink, sans pour autant le réaliser (Howard Deutch s'en est apparemment chargé). Il a pourtant tout d'un film de Hughes, puisqu'il est dans la même veine que le Breakfast Club ou Seize bougies pour Sam et qu'il met en scène Molly Ringwald, princesse rousse du Brat Pack et coqueluche des comédies romantiques pour adolescents. C'est d'ailleurs Ringwald qui a fait écouter à Hughes la chanson des Furs et qui lui a conseillé d'en faire quelque chose.

« Il a écouté la chanson et a écrit Pretty In Pink », a déclaré Butler à Mojo en 2010. « Le scénario avait tout faux, rien à voir avec l'esprit de la chanson. » Apparemment, le morceau évoquait « une fille qui couche à droite à gauche, qui pense qu'elle est cool et que tout le monde l'aime, alors que ce n'est pas le cas du tout. Tout le monde se sert d'elle. C'est très cinglant. »

Pretty in Pink est typique de Hughes dans le sens où il traite des classes et des structures sociales, le lycée américain faisant office de microcosme. Le Breakfast Club met en retenue « un surdoué, un athlète, une détraquée, une fille à papa et un délinquant » ; Pretty In Pink confronte sexuellement les nantis et les indigents. Il loue les mérites de fabriquer ses propres vêtements et d'acheter des chaussures d'occase à 15 dollars, tout en montrant à quel point les aristocrates sont oppressifs et sans âme. James Spader et ses chinos blancs, qui parade dans l'école une cigarette à la main sans jamais en subir les conséquences, est le pire bourge qui soit. D'autant plus qu'il a toutes les meilleures répliques (et les plus méchantes), comme lorsqu'il dit à son meilleur ami Blaine qu'il « bande pour une plouc ». Ou comme quand il qualifie, de manière tout à fait charmante, le personnage de Molly Ringwald, Andie, de « prolo ». Avec son rôle de brute snob, Spader lui vole aisément la vedette.

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Cette dichotomie des classes sociales laisse beaucoup de place aux chansons traitant de l'aliénation sociale et, fidèle à cette division thématique, Hughes a également sélectionné avec justesse « Would Not It Be Good » de Nik Kershaw (« Ne serait-ce pas bien d'être à tes côtés ? L'herbe est toujours plus verte là-bas »). Pour une raison quelconque, il n'a pas pu obtenir d'autorisation de la part de RCA et a dû se contenter d'une atroce version contrefaite. Le seul autre point négatif est l'omission de « Try A Little Tenderness » d'Otis Redding sur l'album – qui accompagne pourtant la scène la plus mémorable du film, dans laquelle on voit danser John Cryer.

Le hasard veut que « Please, Please, Please, Let Me Get What I Want » des Smiths soit également sur la bande-son. L'ode au pessimisme succincte et romantique du groupe passe lors d'une scène où Duckie, éperdument amoureux de sa meilleure amie Andie, se morfond dans sa chambre car il ne trouve pas le courage de le lui dire. La pièce de résistance reste toutefois « If You Leave » d'OMD – probablement le meilleur morceau du duo de synth-pop originaire de la péninsule de Wirral. Il est tellement bon que le réalisateur le passe pendant huit minutes lors de la scène finale. Fait intéressant, le groupe avait prévu une autre de ses chansons pour le film, mais le public test a mal réagi à une fin alternative. L'expérience a sans doute été très utile à Andy McCluskey qui, des années plus tard, a produit des morceaux pour les Atomic Kitten et Gary Barlow.

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La bande-son de Pretty in Pink m'a appris qu'il existait tout un univers de musique alternative intéressante pouvant traiter de l'abstraction et de l'aliénation, et pas forcément de la préservation de la planète comme le voulait Bono. Elle m'a aussi appris que les reines du lycée étaient plus susceptibles de sortir avec des mecs riches appelés Blaine que des boute-en-train surnommés Duckie, même si ça ne valait qu'à l'école. Mais par-dessus tout, elle a planté les graines du socialisme. Je n'en avais pas conscience à l'époque, mais il va sans dire que je me suis plus identifié aux protagonistes prolétaires qu'aux jeunes bourgeois.

Selon moi, ce n'est pas une coïncidence si Pretty In Pink a rencontré un succès dans les salles de cinémas britanniques en 1986, à savoir en plein Big Bang financier, quand le parti conservateur britannique a réformé les banques. Vu sous cet angle, Hughes nous a prématurément mis en garde contre les dangers du capitalisme incontrôlé et des inégalités massives. Notez que les deux conférences présentées dans le film portent sur la révolution russe et l'Emergency Banking Relief Act de 1933 du président Roosevelt. Et qu'en est-il de la scène où Duckie attaque Steff dans le couloir ? Il pourrait s'agir d'une simple querelle d'adolescents, mais je pencherais plutôt pour un renversement symbolique des classes dirigeantes par le prolétariat.

Si Hughes n'était pas coco, il était tout au moins à gauche du centre. Nous le savons parce que « Left of Center » de Suzanne Vega figure également sur la bande-son. Alors d'accord, « Left of Center » n'est peut-être qu'une chanson d'amour, mais j'y vois un message politique implicite. Ce que Suzanne dit vraiment, c'est ça : « Si tu me veux/Tu peux me trouver/à gauche du centre/en marge… Oh et d'ailleurs/Mort au fascisme et liberté pour le peuple ! »

Quelle que soit sa position sur le spectre politique, Hughes est le Marx du Brat Pack, et Pretty In Pink est son Das Kapital. Le message est clair : il n'existe pas d'autre guerre que la guerre des classes.

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