Life

Comment cracher est devenu un kink

Quand « crache-moi dans la bouche » remplace « marche-moi dessus » sur Twitter, on sait que notre culture a changé.
A topless man spitting
Photo: Elke Van de Velde / Getty Images 

Découvrir que j’aimais qu’on me crache dessus a été une de ces révélations qui changent la vie, comme de décider que je ne voulais pas d’enfants, ou ouvrir un compte épargne retraite. Ça a commencé innocemment. Un baiser un peu trop mouillé par-ci, des léchouilles dégoulinantes par-là - avant d’atteindre son apogée durant le meilleur date de ma vie, durant lequel un chef végétalien et moi avons passé la soirée dans un pub branché de l’est de Londres, avant de baiser, en crachant du rhum et du coca dans la bouche de l’autre comme deux bébés oiseaux excités. 

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Apparemment, je ne suis pas la seule à adhérer à cette pratique - les échanges de salive saturent nos écrans depuis quelque temps déjà, The Ringer annonçant l’année dernière que « La tendance culture pop la plus chaude de l’automne serait... « cracher », faisant référence à des exemples tels que Dune et Ted Lasso, entre autres. Le moment qui a tout déclenché est sans aucun doute cette scène dans Désobéissance en 2017, et depuis, on ne cesse d’être captivé (ma scène préférée est Carey Mulligan crachant dans le café de Bo Burnham dans Promising Young Woman, pour des raisons personnelles).

En 2022, même les crachats les plus platoniques sont devenus sexy à souhait. Récemment, le monde s’est arrêté de tourner quand Harry Styles a semblé cracher sur Chris Pine lors de la projection de Don’t Worry Darling (même si les agents des deux acteurs ont depuis démenti), et notre obsession pour les échanges salivaires est plus forte que jamais. Depuis, « step on me» (marche-moi dessus), la réponse standard sur Twitter est rapidement remplacée par « spit in my mouth » (crache-moi dans la bouche), et les hashtags TikTok pour #spit et #spittok explosent, avec respectivement 413,1 millions et 146,1 millions de vues.

Mais qu’est-ce qui éveille tant notre intérêt pour la salive ? Isabelle Uren, spécialiste du sexe chez Bedbible, pense que l’attrait de cette pratique tient en partie au fait qu’elle permet aux partenaires d’explorer différentes dynamiques de pouvoir. « L’un des grands attraits psychologiques des jeux de salive est qu’ils amplifient la dynamique dominant/soumis que les gens recherchent dans les jeux de pouvoir », explique-t-elle à VICE. « Ce type de jeu peut être vraiment libérateur et nous permet d’explorer des facettes de notre personnalité habituellement ignorées. Une étude menée par [le professeur de psychologie Brad] Sagarin et ses collègues a également révélé que les doms et les subs peuvent entrer dans des états de conscience altérés positifs pendant un jeu BDSM. » Cela explique peut-être pourquoi j’ai, brièvement, souhaité être un carnet en regardant cette scène de Succession particulièrement chaude.

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Isabelle reconnaît également que cracher est généralement perçu comme vulgaire, ce qui rend la chose d’autant plus intéressante au lit. « Cracher brise un grand tabou social. Briser une règle si profondément ancrée dans la société apporte une réelle excitation », explique-t-elle. « Notre cerveau interprète les choses différemment dans le contexte du sexe et du plaisir, et nos inhibitions ont tendance à tomber, donc des choses que nous pourrions habituellement considérer comme dégoûtantes peuvent devenir excitantes. »

En consultant mes amis, Twitter et mes matchs Feeld, j’ai constaté que cette pratique leur plaisait pour des raisons similaires. « Pour moi, c’est définitivement l’aspect dégradant et aussi le fait que c’est un bon lubrifiant naturel », me dit Selene, 19 ans, qui a voulu s’exprimer anonymement. « En plus, c’est sympa pour jouer. » 

Luke, 27 ans, apprécie le jeu de pouvoir et les aspects dégradants du jeu de la salive, mais il pense aussi que cela peut être assez sensuel. « Parfois, lors de sessions sensuelles et lentes avec un partenaire, cracher dans la bouche de l’autre ajoute un certain sentiment d’intimité et de complicité dans le feu de l’action », admet-il. « Pour moi, c’est un geste très fort et engagé pendant le sexe. Quand quelqu’un est sur moi et qu’il veut me cracher dans la bouche, ça me donne l’impression d'être vraiment désirée. »

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Penny, 25 ans, partage cet avis, reconnaissant le crachat comme le dénominateur commun entre violence et passion - assez shakespearien, si vous voulez mon avis. « Je trouve ça très intime et violent à la fois », dit-elle. « Et le geste est beaucoup plus intentionnel. Quand vous embrassez quelqu’un, c’est évidemment beaucoup plus affectueux, mais il y a quelque chose dans la violence du crachat, et la vulgarité de ce geste, que je trouve très explicite et intime. » 

Mais à quel point cette pratique est-elle populaire, et a-t-elle augmenté ces dernières années ? Selon Isabelle, ce kink a toujours été populaire, mais il connaît juste une période de gloire, facilitée par notre ouverture d’esprit sur le kink en général. « Il y a beaucoup de raisons qui peuvent contribuer à ce que le jeu de salive soit plus répandu dans les médias. Tout d’abord, le fait que le kink, en général, soit devenu plus grand public y est pour beaucoup », explique-t-elle (et avec le #kinktok qui a fait irruption sur nos feeds TikTok avec 11,5 milliards de vues, elle n’a pas tort). « Il y a aussi des choses qui font que c’est plus facile à adopter que d’autres kinks. C’est pervers sans être trop extrême ou explicite, et on peut facilement s’y mettre. »

Selene admet que cracher est définitivement « in » en ce moment, même avant le Spitgate. « J’ai l’impression d’en avoir entendu parler plus souvent ces dernières années, surtout sur Twitter ou TikTok, où les gens commentent qu’ils veulent que telle ou telle célébrité leur crache dessus. » Certaines célébrités ont intégré cette idée et ont fait du crachat un élément central de leur performance - Slowthai et Yungblud en sont des exemples notables, bien que pas très sexy. 

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De la même manière que le pegging a défini l'ère des girlboss, je me demande si la pandémie n’a pas suscité un désir irrésistible pour un kink qui terroriserait sûrement n’importe quel microbiologiste.

Isabelle n’est pas sûre. « Si le Covid a effectivement mis la salive sous les feux de la rampe, je ne suis pas sûre que cela se traduise par une volonté d’essayer davantage cette pratique. » (Honnêtement, je pensais que je tenais quelque chose.) « Cela a toutefois rendu le sujet plus tabou, ce qui pourrait plaire à certaines personnes. »

Alors, si vous êtes intéressé par le fait de briser ce tabou, comment intégrer ce jeu sexuel en toute sécurité ?

« Il est important d’éviter de cracher dans les yeux pour éviter les risques d’infection », explique Isabelle à VICE. « Il faut vous faire tester et vous assurer que vous n'êtes pas actuellement infecté par une IST ou une autre maladie infectieuse qui peut se propager par la salive. » 

Pour que votre salive ait un goût de fruit juteux et, plus généralement, pour que ce soit aussi agréable que possible pour l’autre partie, il faut aussi prendre soin de vos dents. « Il est également important d’avoir une hygiène bucco-dentaire irréprochable pour rendre l’expérience plus agréable sur le moment et limiter le transfert de bactéries dangereuses », explique Isabelle.

À l’approche d’Halloween, les filles de WitchTok affirment que cracher dans la bouche de votre partenaire pendant l’amour, ou le laisser cracher dans la vôtre, peut servir de sortilège pour le rendre accro à vous. Malgré les arguments discutables présentés, il est important de s’assurer que vous ne faites pas ceci simplement pour prendre part à une tendance virale, et surtout, assurez-vous que les deux parties ont donné leur consentement explicite et éclairé. « Vous devez également définir vos limites, afin de savoir quelles sont les parties du corps sur lesquelles vous pouvez cracher et celles qui sont hors limite », explique Isabelle. « Choisissez un safe word qui permet de stopper le jeu immédiatement si l’un de vous est mal à l’aise. »

Je dois rencontrer une nouvelle personne la semaine prochaine, alors j’y vais à tâtons en glissant les jeux de salive dans notre conversation. « Ça a l’air plutôt sexy », me répond-il en minuscules. « Je marche avec la plus chelou des érections. » J’espère que la météo pour notre premier rendez-vous sera plus humide et plus sale que jamais.

@laurahday

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